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Complexité et effets pervers autour du CICE en France

4 juin 2013

Le Crédit d'Impôt pour la Compétitivité et l'Emploi (CICE) est une des réponses pratiques à la perte de compétitivité des entreprises françaises. Le CICE est la mesure principale issue du rapport dit "Gallois" qui a été remis au gouvernement en novembre 2012. L'idée initiale de ce crédit d'impôt est d'alléger le coût de travail pour les entreprises afin qu'elles puissent être plus compétitives à l'exportation. Au final, cela doit permettre de créer 300'000 emplois en France selon les déclarations ministérielles officielles. Dès lors, l'amélioration de la compétitivité est perçue comme le moyen de développer l'emploi en France. Il convient de souligner que l'objectif recherché est légitime et nécessaire, mais que le fonctionnement pratique du CICE est d'une rare complexité et crée de nombreux effets pervers.

Ventilation de la répartition du montant du CICE par branche

 

Un objectif louable et un principe simple...

L'actuel Président de la République française, François Hollande, n'a jamais évoqué la notion de compétitivité durant sa campagne présidentielle, l'empêchant ainsi de souligner un des problèmes majeurs de l'économie de la France (voir bulletin). Une fois arrivé au pouvoir, et officiellement sur la base d'un rapport, il a souhaité mettre au centre de son action politique l'amélioration de la compétitivité (voir définition) des entreprises. Pour ce faire, l'outil principal destiné à atteindre cet objectif est un crédit d'impôt appelé CICE, applicable depuis janvier 2013.

Un crédit d'impôt sert à orienter l'activité économique (voir définition) via une incitation fiscale. En pratique, cela se traduit par une diminution fiscale qui peut prendre des formes différentes : réduction d'impôts ou remboursement d'impôts. Dans le cas du CICE, le principe est de calculer un crédit d'impôt de 4% pour les salaires inférieurs à 2,5 SMIC, autrement dit sur les salaires inférieurs à 3'875 euros bruts par mois. En échange de cette réduction d'impôts, les entreprises doivent réaliser  des investissements sensés améliorer leur compétitivité. Le montant du CICE sera normalement porté à 6% en 2015 et devrait représenter environ 20 milliards d'euros au total sur trois ans.

Au final, le gouvernement prévoit que le CICE créera 300'000 emplois nets (400'000 emplois crées moins 100'000 emplois détruits à cause de son financement). Il devrait apporter 1% de croissance supplémentaire et bénéficier essentiellement à l'industrie, à hauteur de 4,4 milliards d'euros, et au commerce, à hauteur de 3,7 milliards d'euros (voir graphique ci-dessus). Le CICE est financé à 50% par la baisse des dépenses publiques, et à 50% par la hausse de la TVA. Néanmoins, la baisse des dépenses publiques n'ayant pas commencé, et la hausse de la TVA ne devant intervenir qu'à partir de 2014, le gouvernement a dû trouver un système administratif et bancaire compliqué pour rendre possible le CICE.  

... mais un fonctionnement pratique complexe...

En effet, le gouvernement a voulu lancer le CICE dès janvier 2013 mais son financement réel ne pourra commencer à être effectif qu'à partir de 2014, essentiellement à cause de raisons politiques. Dès lors, le ministère de l'économie a développé un système d'avance sur crédit d'impôts. Même si le système est relativement alambiqué, il peut se résumer dans sa forme la plus simple comme ceci :

1) Tout d'abord, l'entreprise doit déterminer en début d'année le montant des impôts qu'elle devra payer en fin d'année sur la somme des salaires inférieurs à 2,5 SMIC afin d'effectuer sa demande de crédit d'impôt.

2) Ensuite, l'Etat n'ayant pas les moyens de financer cette mesure directement, il fait appel à l'intermédiaire des banques. L'entreprise qui fait appel au CICE doit donc demander à une banque de lui accorder la somme qui correspond au montant auquel elle estime pouvoir bénéficier au titre du CICE relativement au bénéfice 2013 mais payable en 2014.

3) Puis, la banque accorde un crédit à l'entreprise en anticipant le remboursement de l'Etat. La banque fait payer son service en appliquant un taux d'intérêt. Mais ce n'est pas l'entreprise qui rembourse la banque, mais l'Etat sur lequel la banque détient alors un titre de créance. Une fois que le financement sera assuré, l'Etat ne remboursera donc pas les entreprises mais les banques qui auront donné la somme nécessaire au financement du CICE.

Dès lors, au lieu de mettre en place une baisse immédiate des charges sociales financée directement par la baisse de la TVA et qui aurait tout de suite produit ses effets, tout en donnant une lisibilité claire et un traitement égal selon les entreprises, la France propose un système très administratif, non-financé, qui profite aux grandes structures plutôt qu'aux petites et qui est propice à toutes sortes d'effets pervers.

... qui créé de nombreux effets pervers.

Le premier aspect qui peut paraître évident, mais qui semble ne pas avoir été pris en compte par les autorités compétentes, est le décalage temporel de cette mesure. En effet, alors que les problèmes de compétitivité et de trésorerie auxquels sont confrontées les entreprises sont immédiats, le mécanisme du CICE fait qu'il y a nécessairement un décalage entre le moment où la demande est effectuée et le moment où les fonds sont débloqués, ce qui peut encore alourdir les difficultés.

Aussi, pour bénéficier du CICE, l'entreprise doit s'engager à effectuer un "effort" d'investissement. Le mot est suffisamment vague pour s'interroger sur cet aspect. En effet, cette notion d'effort d'investissement ne précise pas si c'est le montant total des investissements qui doit être important ou l'évolution des dépenses d'investissements. Autrement dit, une entreprises qui avait déjà beaucoup investi dans le passé ne sera pas nécessairement considérée comme investissant beaucoup maintenant car les investissements les plus important ont déjà effectué; et inversement, une entreprise qui n'a jamais investi mais qui investit un peu pourra être considérée comme investissant beaucoup par rapport au niveau antérieur.

Ensuite, il est important de préciser que cette mesure convient parfaitement pour les salariés qui travaillent à temps plein, qui ne sont jamais absents, qui n'effectuent pas d'heure supplémentaires, et qui sont donc plafonnés au 35 heures, soit 1'820 heures par an maximum. En revanche, dans le cas de salariés à temps partiel, qui ont pu être malade ou qui ont effectué des heures supplémentaires, le calcul peux s'avérer complexe. Dès lors, les grandes entreprises avec les services RH (Ressources Humaines) et comptabilité seront certainement aptes à faire face à cette complexité, mais il est fort probable que les très petites entreprises (TPE) en soient incapables et renoncent très vite à engager les démarches nécessaires pour bénéficier de ce crédit d'impôt par manque de compétence et/ou de temps.

De plus, rappelons que le CICE est basé sur les revenus anticipés. Autrement dit, il faut pouvoir dire à l'avance quels seront les revenus de l'entreprise dans un an. Cet exercice est déjà compliqué pour les grandes structures, mais il paraît complétement hors de portée pour les petites entreprises, à fortiori sans logiciel et ne pouvant connaître quel sera le montant des rémunérations sur l'ensemble de l'année 2013 par exemple.

Egalement, le fait de pouvoir bénéficier du CICE uniquement pour les salaires inférieurs à 2,5 SMIC crée un effet de seuil. Dans ces conditions, l'employeur risque de repousser ou annuler des augmentations de salaires qui pourraient faire passer certains employés dans la tranche salariale supérieure empêchant de bénéficier du CICE. Dès lors, l'employeur sera incité à conserver une échelle des salaires basse. De plus, les salariés pourraient subir une double peine. En plus des salaires qui risquent de ne pas augmenter, les salariés qui bénéficiaient d'une participation aux bénéfices pourraient dorénavant en être empêchés, au moins pour partie, pour des raisons techniques de calcul avant et après imposition.

Un autre effet pervers, et non des moindres, est qu'il faut en réalité payer pour bénéficier du CICE. En effet, et sans même parler du temps passer par les entreprises à comprendre et demander le CICE, le fait de devoir passer par une banque implique nécessairement des frais bancaires et le paiement d'un taux d'intérêt qui peuvent, au final, annuler ou diminuer l'intérêt fiscal du CICE. De plus, au cas où l'entreprise aurait mal estimé le montant de son CICE (chose probable comme nous l'avons vu précédemment) l'Etat a annoncé qu'il se désengagera, faisant ainsi peser le risque de non remboursement sur la banque. Dès lors, les banques sont beaucoup plus frileuses et demandent des taux plus élevés pour se prémunir contre ce risque.

Signalons aussi que le montant de 20 milliards d'euros est très en-dessous des besoins en terme de compétitivité des entreprises françaises. En plus d'être déjà très faible au regard du retard de compétitivité des entreprises françaises et de la lourdeur administrative et législative qui freinent dans la compétition internationale, ce montant ne sera en plus pas annuel mais diluer sur trois ans. Rendant ainsi très douteuse la volonté de réellement vouloir soutenir les entreprises. Dans la même veine, le CICE qui s'élève à 20 milliards d'euros intervient peu après une hausse historique de 30 milliards d'euros sur leur fiscalité eu cours de l'été 2012. Au final, les entreprises supportent un jeu à somme négative avec 10 milliards d'impôts supplémentaires au niveau global.

Contrairement aux déclarations politiques, les entreprises publiques devraient être les grandes gagnantes du dispositif. En effet, quatre des six entreprises qui vont le plus bénéficier du CICE se trouvent être des entreprises publiques : La Poste, France Télécom, EDF, GDF. A titre d'exemple, La Poste devrait ainsi bénéficier de 180 millions d'euros en 2013 et 270 millions d'euros en 2014. Au final, une grande partie de la somme totale sera destinée à des entreprises publiques qui ne sont pas concernées par la concurrence internationale et dont le statut protège beaucoup l'activité et les employés.

Conclusion

Au final, le CICE est un système pensé pour deux ans et qui n'est pas pérenne car pas financé. Il permet sur le plan de la politique intérieure et extérieure de donner l'impression que des choses sont faites pour stimuler la croissance alors qu'en réalité la stratégie du gouvernement français semble plus être celle de l'attente du retour de la croissance. Parallèlement, cette mesure alourdit le cadre administratif et législatif, tout en créant de nouveaux risques et en diminuant encore la visibilité déjà très faible des agents économiques. Seules les plus grandes entreprises, et les entreprises publiques non exposées à la concurrence internationale peuvent espérer bénéficier des effets positifs. Par conséquent, en créant le CICE, il est légitime de se demander si le gouvernement français actuel avait réalisé la complexité de ce système et avait anticipé l'ensemble des effets pervers, ou alors s'il les découvre.

Citation

Sylvain Fontan, “Complexité et effets pervers autour du CICE en France”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 04/06/2013.