"Mes clients sont libres de choisir la couleur de leur voiture à condition qu’ils la veuillent noire" - Henry FORD
"On a voulu, à tort, faire de la bourgeoisie une classe. La bourgeoisie est tout simplement la portion contentée du peuple" - Victor HUGO
"N'acceptez ni les vérités d'évidence, ni les illusions dangereuses" - Maurice ALLAIS
"Les gouvernements ont une vision très sommaire de l’économie. Si ça bouge, ajoute des taxes. Si ça bouge toujours, impose des lois. Si ça s’arrête de bouger, donne des subventions" - Ronald REAGAN
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"Il serait un mauvais économiste celui qui ne serait qu’économiste" - Friedrich HAYEK
"Les hommes n'étant pas dotés des mêmes capacités, s'ils sont libres, ils ne sont pas égaux, et s'ils sont égaux, c'est qu'ils ne sont pas libres" - Alexandre SOLJENITSYNE
"Une démocratie peut se rétablir rapidement d'un désastre matériel ou économique, mais quand ses convictions morales faiblissent, il devient facile pour les démagogues et les charlatans de prêcher. Alors tyrannie et oppression passent à l'ordre du jour" - James William FULLBRIGH
"Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France " - Maximilien DE BETHUNES, Duc de Sully
18 juin 2013
Depuis environ deux décennies, l'économie de l'archipel nippon se trouve dans une situation économique préoccupante avec une croissance atone et une inflation négative. Le pays a longtemps supporté cette situation grâce notamment à des excédents commerciaux liés à une industrie très innovante. Néanmoins, la montée de la concurrence étrangère et l'éclatement de la crise globale sont venues remettre en cause cette situation, et le Japon doit maintenant faire face à une situation très préoccupante sur le plan économique. Les électeurs japonais ont élu en décembre 2012 un nouveau pouvoir politique afin qu'il développe une politique économique ambitieuse : les "Abenomics". Le terme de Abenomics renvoie au nom de famille du premier ministre Japonais instigateur de ces politiques : M. Shinzo Abe. Il fait également référence à la politique menée sous le Président Ronald Reagan au cours des années 80 aux Etats-Unis : les Reaganomics. Si ces deux politiques sont opposées quant à leurs buts et leurs moyens, elles se rapprochent du point de vue de la rupture avec les politiques menées précédemment et dans la détermination à lutter contre un problème identifié. Les Abenomics se déclinent sous la forme imagée de trois flèches à décocher successivement, et visant chacune un objectif précis. In fine, ces trois flèches sont censées former un tout cohérent apte à lutter contre la déflation et permettant les conditions de la reprise de la croissance économique.
Une situation économique très préoccupante de longue date
Le Japon ne s'est jamais réellement remis de l'éclatement de la bulle financière de 1989-1990 qui a stoppé net l'irrésistible ascension du pays observé durant les années 80. Depuis cette époque, le Japon doit composer avec une croissance économique faible à laquelle est venue s'ajouter une déflation (inflation négative) depuis une quinzaine d'années qui bride les investissements, les salaires et la consommation, renforçant ainsi la faible croissance que connaît le pays. Le tissu économique japonais et les mentalités ont profondément changé au cours des deux dernières décennies et le pays s'est habitué à évoluer dans un environnement économique très particulier.
Un des résultats de cette situation économique est le creusement de la dette publique qui atteint actuellement près de 240% du PIB. Autrement dit, la dette publique totale du Japon s'élève à presque 2,5 fois la richesse créée annuellement dans le pays, ce qui constitue un record mondial. En effet, la faible croissance économique et une croissance négative des prix (déflation) creusent mécaniquement la dette.
De plus, le creusement de la dette intervient dans un contexte de vieillissement accéléré de la population japonaise qui fait peser un réel problème de financement des retraites et de la dette publique. Si la population totale diminue, ainsi que la population active (voir définition), cela va encore plus peser sur la consommation, l'investissement et la croissance potentielle du pays. Il y a actuellement un quart de la population qui est âgée de plus de 65 ans et ce phénomène est appelé à s'amplifier. La population du pays du soleil levant s'élève actuellement à 125 millions d'habitants, mais elle devrait diminuer à 90 millions en 2050 et chuter à 60 millions en 2100.
Le Japon ne pourra vraisemblablement pas faire face au remplacement de sa population active pour deux raisons essentielles. Tout d'abord, il est encore basé sur une société très traditionnelle qui n'intègre pas suffisamment les femmes sur le marché du travail. Ensuite, et notamment pour des raisons historiques, le pays est très refermé sur lui-même, l'empêchant ainsi de faire appel à l'immigration pour subvenir à ses besoins de main d'œuvre et ainsi soutenir la croissance et financer les retraites et les déficits. Dans ces conditions, la seule solution pour le Japon, est d'améliorer sa productivité en produisant plus avec des facteurs de production moindre (notamment le travail, c'est-à-dire les employés). Le progrès technique et l'investissement sont dès lors des éléments indispensables à l'amélioration de la productivité. Néanmoins, ces éléments seront probablement insuffisants au regard des enjeux et étant donné le niveau déjà élevé de la productivité dans un pays qui est peut-être le plus moderne et innovant du monde.
Malgré plusieurs tentatives échouées pour sortir de cette impasse économique, le Japon s'était plus ou moins habitué à évoluer dans un environnement économique contraint. Le pays a longtemps réussi à supporter cette situation, notamment grâce à une industrie très innovante qui permettait de réaliser des excédents commerciaux (exportations supérieures aux importations). Néanmoins, l'émergence de nouveaux acteurs régionaux (notamment Corée du Sud et Chine) est venue progressivement éroder les parts de marché du Japon, dégradant ainsi la balance commerciale du pays (voir définition), jusqu'à obtenir une balance des transactions courantes (voir définition) très dégradée. Or, c'est justement grâce à cette capacité à générer des excédents d'épargne que le Japon pouvait jusque-là faire face au financement de sa dette. La crise est venue amplifier cette situation, et du point de vue symbolique, le fait que la Chine (l'éternel adversaire) soit passée devant le Japon en terme de richesse totale, a fini d'entériner le fait que le Japon était en phase de déclin.
Les trois flèches des Abenomics ou la politique de la dernière chance
La première flèche consiste en une politique monétaire expansive. Le principe est de déverser énormément de liquidités dans l'économie afin de créer de l'inflation et de relancer la consommation, mais aussi de faire perdre de la valeur au Yen (la devise nationale) afin de stimuler les exportations pour ainsi augmenter la production et l'activité économique du pays. En pratique, cela implique que la banque centrale du Japon (BoJ - Bank of Japan) achète des bons du trésor japonais (de la dette) et finance directement les entreprises, perdant au passage son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique. L'objectif en terme de montant est de doubler la masse monétaire disponible, autrement dit de doubler la quantité de monnaie en circulation.
Le problème d'une telle politique est qu'elle a deux faces. En effet, d'un côté cela stimule les exportations, mais d'un autre le coût des importations augmentent. D'ailleurs, le Japon observe certes depuis sa mise en place, une légère amélioration des exportations, mais ce sont surtout les coûts des importations qui augmentent, notamment ceux des importations pétrolières et énergétiques. Au demeurant, c'est d'ailleurs un des effets négatif, à court terme, recherché. En effet, en augmentant le coût des importations, le Japon cherche à "importer" de l'inflation, en espérant que, pour faire face à cette hausse des prix, les salaires augmenteront à leur tour, enclenchant ainsi un cercle que le gouvernement espère vertueux. Au bout de ce cercle vertueux, la Japon espère retrouver suffisamment de croissance et d'inflation pour réduire mécaniquement le poids de la dette. La BoJ s'est fixé comme objectif 2% d'inflation. Pour le moment, cette politique n'a pas les effets escomptés sur l'inflation car cette dernière est négative (-0,9%). Cependant, les résultats en terme de croissance, sont beaucoup plus encourageants car elle s'élève au premier trimestre 2013, à 1,6% en rythme annuel nominal, c'est-à-dire sans prendre en compte l'inflation.
Pour le moment, cette politique monétaire ultra accommodante a surtout permis de doper la bourse de Tokyo (le Nikkeï) qui a augmenté de 80% depuis le début de l'année (malgré une baisse de -7% dernièrement). Il a y a donc un effet de richesse pour les personnes qui détiennent des actifs financiers. Le gouvernement peut donc espérer que cela puisse ensuite se déverser dans l'économie pour soutenir la croissance et l'investissement. Néanmoins, la perspective d'une hausse de l'inflation fait craindre une "euthanasie " de l'épargne qui perdrait alors de sa valeur. Les détenteurs de titres sont alors incités à vendre pour se protéger contre un risque de dépréciation de leurs actifs. Un des effets est que les investisseurs japonais achètent massivement de la dette européenne, ce qui contribue à garder les taux d'intérêts bas en Europe et à rendre le poids de la dette plus soutenable pour les pays européens.
La deuxième flèche correspond à une politique de relance budgétaire traditionnelle. L'Etat se lance dans des projets de grands travaux pour plus de 110 milliards de dollars. L'idée est de soutenir l'activité économique en finançant des projets de construction d'infrastructures de transports notamment (routes, aéroports, etc). Le gouvernement espère ainsi stimuler la production nationale, l'emploi et la consommation. Combinée à une politique monétaire expansionniste, cela devrait stimuler d'autant plus l'inflation, la production et la consommation.
Une telle politique peut permettre de stimuler l'activité des entreprises nationales mais elle maintien les déficits et augmente le poids d'un endettement déjà très important. De plus, il n'y a pas en parallèle de perspectives de plan d'assainissement budgétaire. Dès lors, rien n'indique que ce plan ne se traduise pas uniquement par une augmentation de la dette à moyen terme.
La troisième flèche correspond à des réformes structurelles. L'idée est de développer des politiques de régulation et de soutien à l'investissement destinées à dynamiser la production. Parmi les pistes de réformes, le gouvernement envisage de s'ouvrir davantage sur le commerce international en développant, notamment, plusieurs accords de libre-échange (voir définition). Il envisage également de fluidifier (voir définition) le marché du travail, et d'améliorer l'intégration des femmes. Plusieurs mesures de dérégulation sont également à l'étude, dans le but de stimuler l'investissement et la concurrence pour soutenir les secteurs de la robotique et des biotechnologies dans une optique d'amélioration de la productivité (voir définition).
La troisième flèche doit normalement soutenir les deux premières avant de prendre le relais. Cet élément est fondamental pour espérer que les deux précédents (politique monétaire et budgétaire) puissent s'avérer positifs sur l'économie. Néanmoins, cet aspect est pour le moment le plus flou car aucune mesure concrète n'a encore été prise ni même annoncée de manière certaine. Le manque de visibilité autour de cette troisième flèche créée des incertitudes quant à la capacité des Abenomics d'atteindre son objectif final. La nécessité de cette troisième flèche est pourtant d'autant plus importante, que malgré la croissance du PIB plus élevée que prévue, l'investissement continue de diminuer et les salaires continuent à stagner, dans un contexte où maintenant, près d'un tiers des emplois correspondent à des emplois à bas salaires et temporaires, et donc peu propices à la consommation.
Les craintes et les doutes quant à la pertinence et l'efficacité des Abenomics sont d'autant plus fortes que pour réussir une dévaluation comme celle ambitionnée par la première flèche, elle doit normalement répondre à un certain nombre de conditions. En effet, (1) la première condition est que l'autorité monétaire garde le contrôle sur l'opération. Or dans le cas présent, la BoJ est relativement assujettie aux décisions politiques et conditionnée aux comportements des marchés financiers. Ensuite, (2) la deuxième condition est que la demande mondiale soit suffisamment forte, ou en tout cas en hausse, pour absorber les exportations rendues moins chères. Or, la crise globale et les tentations protectionnistes rendent le contexte peu propice à une reprise par le commerce international, ne serai-ce car il y a peu de pays qui peuvent émettre une forte demande de biens importés. Enfin, (3) la banque centrale qui met en place de telle politique monétaire doit être relativement seule à dévaluer sa monnaie pour ne pas être en concurrence avec d'autres devises. Or, dans le cas présent, et même si le Japon est le pays qui dévalue le plus, d'autre pays sont entrés dans une forme de guerre des monnaies en dévaluant massivement, à commencer par les Etats-Unis mais également par énormément de pays asiatiques.
CONCLUSION
D'un point de vue théorique (voir schéma ci-dessus), les trois flèches des Abenomics semblent pourvoir répondre à la situation économique dans laquelle se trouve plonger le pays. Cependant, il apparaît que les conditions du succès soient fortement contraintes et que les résultats escomptés ne soient pour le moment pas à la hauteur des espérances.
De plus, et même s'il y a pour le moment une certaine forme d'attentisme (tout relatif) de la part des autres grandes banques centrales, il convient de se demander combien de temps les pays directement pénalisés par cette politique (Etats-Unis, Allemagne et pays asiatiques) pourront éviter une appréciation trop importante de leurs monnaies respectives. En effet, les Abenomics sont certes ambitieux, mais ils sont surtout non-coopératifs, et cette perspective peut inciter à aller encore plus en avant dans une guerre des monnaies dont le résultat serait nécessairement délétère pour l'économie mondiale.
Sun TZU a écrit dans "L'art de la guerre", pour qualifier un bon combattant que : "Son énergie sera comme la corde bandée d’un arc et sa décision rapide comme le départ de la flèche". A ce titre, si l'énergie du Soldat Shinzo Abe, et plus largement celle du peuple japonais ne font pas de doute, il est cependant permis de douter de la rapidité avec laquelle les flèches ont été décochées, et surtout si celles-ci ne l'ont pas été trop tardivement. Et même dans ce cas, reste également à savoir si la cible visée est la bonne.
Notons enfin que la situation du Japon avec une croissance faible, une population vieillissante, des dettes publiques très élevées et des tensions déflationnistes, présente beaucoup de similitudes avec la France et plus généralement avec l'Europe. Dans ce cadre, ce qui se déroule actuellement au Japon doit interpeller les dirigeants européens à plus d'un titre.
Décryptage connexe
Sylvain Fontan, “Abenomics : la nouvelle politique économique très agressive du Japon”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 21/05/2013.
Citation
Sylvain Fontan, “Abenomics : les trois flèches de la stratégie économique du Japon”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 18/06/2013.