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Abenomics : la nouvelle politique économique très agressive du Japon

22 mai 2013

Parmi les politiques économiques mondiales mises en place pour sortir de la crise, le Japon détient sans conteste la palme de l'agressivité. En effet, le pays met en place depuis maintenant six mois, une expérience économique grandeur nature, sans commune mesure, et dont les effets à venir sortent du cadre des connaissances actuelles de la science économique. La politique menée actuellement est appelée "Abenomics" du nom du nouveau Premier Ministre Japonais Shinzo Abe, élu en décembre 2012, et qui est l'instigateur de cette politique. Le développement de cette politique trouve ses origines dans les caractéristiques spécifiques du Japon. Si les premiers résultats sont encourageants du point de vue japonais,  il n'en demeure pas moins que des risques non négligeables pour l'ensemble de l'économie mondiale sont sous-jacents à cette politique.

Japon : évolution mensuelle du taux d'inflation

 

Les caractéristiques du Japon font que le pays est dans une situation préoccupante

Avant de présenter la politique appelée Abenomics, il convient dans un premier temps de présenter la situation du Japon afin de comprendre ce qui pousse ce pays à développer de telles mesures. 

Le Japon est un pays riche mais où les fragilités sont nombreuses et anciennes. Le pays est la troisième économie mondiale en termes de richesse, juste après les Etats-Unis et la Chine. Le commerce extérieur japonais est dynamique car le pays est le quatrième pays qui commerce le plus au monde, mais sans pour autant réaliser de surplus car ses importations sont supérieures à ses exportations. Après une décennie faste du point de vue économique dans les années 80, les années 1990 ont vu une bulle financière éclater qui a laissé le système économique avec une demande privée très faible. Depuis 15 ans, le pays se trouve dans une spirale déflationniste (voir graphique ci-dessus) dont le pays n'arrive pas à sortir et qui se traduit par des prix et des salaires qui sont tirés vers le bas, tout comme la consommation, l'investissement et la production. De plus, le pays connaît depuis deux ans une stagnation économique avec une croissance nulle.

Le Japon bénéficie d'une population nombreuse mais très vieillissante (la plus vieille du monde) et qui est appelée à décliner très rapidement (1 million d'habitants en moins par an). Le pays étant très refermé sur lui-même, il est très peu ouvert à l'immigration qui ne peut donc pas venir grossir la population active. Dès lors, avec une dette publique record (245% du PIB en 2013) née des différents plans de relance, d'une croissance faible et d'une inflation négative augmentant mécaniquement le stock de dette, le pays va se trouver confronter à une problématique majeure concernant le financement de cette dette.

En plus des éléments structurant présentés précédemment qui expliquent pourquoi le Japon se trouve incité à mettre en place des mesures drastiques, il existe des éléments plus diffus mais tout aussi importants dans le déclenchement de cette politique. Le nouveau Premier Ministre Shinzo Abe est un politicien nostalgique de l'époque impérialiste japonaise, au point d'être considéré par certains, comme un négationniste au sens où il ne reconnaît pas certains aspects de la domination japonaise que ses voisins asiatiques reprochent au Japon. A ce titre, cet élément vient assombrir l'environnement géopolitique tendu dans la région et amène le japon à développer des stratégies non coopératives. Enfin, le peuple japonais a subit des traumatismes récents avec le tsunami, et surtout par le fait que la Chine (l'ennemi historique) soit passé devant le Japon en 2010 en terme de PIB. La combinaison de ces deux derniers éléments a fait prendre conscience au Japon de sa fragilité et de son déclin, ce qui s'est traduit par l'élection de M. Abe pour mettre en place des réformes drastiques.

Abenomics, ou la politique économique ambitieuse du Japon

La politique économique lancée en décembre 2012 par le nouveau Premier Ministre japonais Shinzo Abe consiste principalement à relancer l'investissement et les dépenses publiques, tout en injectant des liquidités dans l'économie de façon extrêmement massive. Néanmoins, c'est essentiellement le dernier point qui constitue l'originalité et l'idée directrice de cette politique.

Concrètement, cela consiste à ce que la banque centrale du Japon (la BoJ - Bank of Japan) rachète massivement des actifs risqués aux banques ainsi que des obligations publiques. D'un point de vue quantitatif, l'objectif recherché est d'injecter ainsi 1'400 milliards de dollars en deux ans, ce qui aurait pour effet de doubler la quantité de pièces et de billets en circulation dans l'économie. A terme, les autorités ambitionnent d'atteindre l'objectif de 2% d'inflation.

L'objectif stratégique est clair : faire sortir le Japon de la crise économique et sortir de la spirale déflationniste dans laquelle le pays est plongé depuis une quinzaine d'années. L'idée est que les énormes quantités de liquidité injectées dans l'économie vont créer de l'inflation (importée dans un premier temps, puis en interne) et ainsi revitaliser la demande domestique japonaise selon la mécanique suivante :

1) Les liquidités injectées dans l'économie vont mécaniquement déprécier le Yen. Autrement dit, la valeur de la monnaie nationale va diminuer, ce qui développera d'une part les exportations qui seront ainsi rendues plus compétitives sur les marchés internationaux, et d'autre part, cela augmentera le prix des importations.

2) Les importations devenant plus chères, et notamment les énergies telles que le pétrole et le gaz dont le Japon est totalement dépourvu, les prix à la consommation (l'inflation) devraient normalement augmenter.

3) Après avoir importé de l'inflation via notamment les prix de l'énergie, le Japon se mettrait ensuite à créer lui-même de l'inflation en augmentant les salaires et les prix pour s'adapter à cette hausse des prix importés.

4) Dès lors, les ménages commenceraient à consommer davantage. L'augmentation de la consommation des ménages et des prix participeront  à l'amélioration des anticipations de profit des entreprises qui augmenteront ainsi leurs investissements.

5) Au final, le Japon aurait suffisamment d'inflation dans son pays pour créer une dynamique de croissance saine et déclencher un cercle vertueux.

Il convient d'ajouter deux éléments de réflexion qui entrent en compte dans cette stratégie :

  • l'épargne des retraités japonais est placée en grande partie dans des actifs libellés en dollars. Dès lors, si le Yen diminue, comme expliqué ci-dessus, lorsque les épargnants japonais rapatrient leur épargne, celle-ci prend de la valeur, ce qui leur permet de consommer plus, et donc de participer à la hausse de l'inflation
  • L'inflation est le moyen le plus rapide et direct de diminuer le poids de la dette. Plus l'inflation est élevée, plus le remboursement de la dette (capital et intérêts) se trouve amoindri et donc plus le stock de dette est susceptible de diminuer rapidement et naturellement sans efforts particuliers. Etant donné l'importance de la dette japonaise, le recours à l'inflation est le seul moyen pour rendre la dette soutenable.

Les premiers résultats sont encourageants

Depuis 6 mois et le lancement de Abenomics, plusieurs signes indiquent que les agents économiques accueillent avec bienveillance cette politique. En effet, la bourse de Tokyo représentée notamment par l'indice boursier Nikkeï a augmenté de +40%. Notons au passage que cette hausse des cours de Bourse améliore le portefeuille action des détenteurs et crée un effet de richesses permettant d'augmenter la consommation. De plus, plusieurs indicateurs avancés de la consommation et de l'investissement s'orientent positivement.

Concernent la valeur du Yen et des exportations, le Yen a perdu près de 30% de sa valeur face au Dollar, ce qui a certes stimulé les exportations, mais moins que les importations. Résultat, le déficit commercial japonais a augmenté de 70% en Avril car les importations, notamment énergétiques, deviennent beaucoup plus chères.

Notons cependant au passage que certains épargnants dont l'épargne est en yen s'inquiètent de cette politique pour leur pouvoir d'achat. Ils ont donc déplacé une partie de leur épargne vers l'Europe où la politique monétaire est stable. Au final, cet afflux de capitaux japonais en Europe participe à maintenir des taux d'intérêt historiquement faibles sur les obligations de certains pays tels que la France.

Au final, même si l'inflation est toujours négative, la croissance économique est de retour avec +0,9% au 1er trimestre 2013, soit +3,5% en rythme annuel. Pour le moment, les effets escomptés se font attendre mais ce qui est encourageant c'est que les effets déjà perceptibles le sont alors même que la plupart des mesures ne sont pas encore en vigueur. En effet, tous ces résultats sont pour la plupart la conséquence des anticipations des agents économiques. Ceux-ci anticipent les actions annoncées par le Japon et adaptent leur comportement en fonction de mesures qu'ils jugent crédibles dans leur mise en place.

Une politique qui risque de déstabiliser la région asiatique et toute l'économie mondiale

Le premier risque concerne le Japon lui-même. En effet, si cette politique échoue l'effet aura été de faire exploser la dette à des niveaux tels que la soutenabilité de celle-ci et son financement deviennent impossible. La situation du pays sera alors critique à tous points de vue. L'autre risque pour le Japon est que cette politique fonctionne trop bien et qu'à moyen ou long terme l'inflation ainsi créée devienne absolument incontrôlable. Le gouvernement se trouverait alors renvoyé et la fuite des capitaux serait massive, rendant tout aussi insoutenable la dette. En d'autres termes, la politique du Japon peut être résumée de façon triviale comme ceci : "ça passe ou ça casse".

Un autre risque, avéré en réalité, est celui de voir la banque centrale du Japon (BoJ) perdre de fait son indépendance. La BoJ a perdu son indépendance car elle est maintenant au service d'objectifs d'inflation décidés par des instances politiques. Or, à long terme, on sait que c'est l'indépendance des banques centrales qui permet de garantir la crédibilité des politiques monétaires menées et d'éviter le risque de mesures guidées par la démagogie et/ou l'intérêt politique de court terme. Le développement de ces politiques serait de ce point de vue un retour en arrière préjudiciable, potentiellement source de problèmes importants à plus ou moins long terme.

Le risque ultime est celui de la guerre des monnaies. En effet, en dépréciant sa monnaie, le Japon manipule sa devise pour la rendre plus compétitive. Or, les parts de marché que le Japon compte gagner se feront nécessairement au détriment de ses partenaires commerciaux, à commencer par ses voisins asiatiques. Dans ce cadre, on assiste depuis plusieurs mois à la multiplication des politiques monétaires plus accommodantes dans la région : Australie, Corée du Sud, Nouvelle-Zélande, Vietnam et même outre-Atlantique aux Etats-Unis. Le résultat est la réalisation de politiques monétaires effectuées dans un cadre qui n'est pas coopératif. Ainsi, comme il n'est pas possible que tous ces pays deviennent plus compétitifs en même temps, les effets des différentes politiques risquent de s'annuler, sans atteindre les résultats escomptés en terme de croissance. Le seul résultat certain serait de développer une spirale inflationniste qui deviendrait d'autant plus hors de contrôle qu'elle serait généralisée. Le pendant de ce risque de guerre des monnaies est de rentrer dans une forme de protectionnisme qui n'est bon pour personne au final car il diminue la croissance mondiale. L'Histoire montre à chaque fois que les conséquences sont catastrophiques et se terminent généralement par des guerres.

Citation

Sylvain Fontan, “ Abenomics : la nouvelle politique économique très agressive du Japon ”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 21/05/2013.

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