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"Les profits sont le sang vital du système économique, l’élixir magique sur lequel repose tout progrès. Mais le sang d’une personne peut être le cancer pour une autre " - Paul SAMUELSON
20 mai 2020
Tournons nos regards vers l’Asie, qui est un peu l’angle mort de la diplomatie française, et vers la mer, pas encore assez considérée dans les réflexions géopolitiques. Cela permet de s’interroger sur les tourments en mer de Chine méridionale, où transite 30% du commerce maritime international. Là se joue l’influence future de la Chine, qui aspire à être une puissance maritime et une puissance régionale, les craintes du Japon, qui ne veut pas voir son voisin rival se déplacer dans une zone d’influence qui fut la sienne, et la présence des États-Unis, bien décidés à encercler la Chine pour éviter que celle-ci ne prenne trop de poids dans cette zone stratégique. Par Jean-Baptiste Noé, IdL.
La controverse des Spratleys et des Paracels
La mer de Chine est bordée par dix États et est l’une des mers les plus fréquentées au monde. Avec Singapour au sud, Taïwan et les ports de Chine au nord, le Vietnam à l’ouest et les Philippines à l’est, ainsi que le Japon plus au nord et au-delà de cette mer, c’est une petite Méditerranée qui attire bien des convoitises. L’enjeu est en effet de contrôler les eaux territoriales, à la fois pour accéder aux richesses halieutiques de celles-ci, mais aussi pour contrôler les zones de passage et donc avoir un droit de regard sur l’une des zones maritimes les plus fréquentées au monde.
Les frontières maritimes sont définies par la convention des Nations Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite convention de Montego Bay, du nom de la ville de Jamaïque où elle fut signée. Celle-ci est entrée en vigueur en 1994, même si les États-Unis ne l’ont pas ratifiée. La convention précise les frontières maritimes, notamment la notion de mer territoriale, de zone économique exclusive (ZEE) et de plateau continental ; notions qui permettent ensuite de tracer les frontières maritimes. Tous les États qui bordent la mer de Chine méridionale ont ratifié cette convention, ce qui n’empêche pas des points de désaccord. La Chine revendique plus de 80% de la mer, Vietnam et Philippines y étant bien évidemment opposés. Les revendications butent sur les îles, notamment les Spratleys et les Paracels, car elles complexifient la délimitation des frontières.
Tensions ente le Vietnam et la Chine
Les deux États revendiquent la souveraineté des Spratleys. Le Vietnam se fonde pour cela sur des arguments historiques. Il a effet contrôlé ces territoires jusqu’au XVIIIe siècle. Puis, à l’époque coloniale, la souveraineté est passée sous juridiction française. Or, le Vietnam étant divisé entre protectorat français (Annam et Tonkin) et colonie française (Cochinchine), il y voit aujourd’hui une continuité qui lui confère la juridiction de la région. La Chine réplique en arguant de la note du 14 septembre 1958, rédigée et signée par le Premier ministre de la République démocratique du Vietnam, Pham Van Dong, dans laquelle il reconnaît et approuve la déclaration sur la mer territoriale du 4 septembre 1958, signée par la Chine et par laquelle ce pays statue sur la largeur des eaux territoriales qui doivent être de 12 milles marins, ce qui inclue les îles Spratleys. Le Vietnam considère que la Chine fait une interprétation abusive de la note du 14 septembre. L’argument historique se heurte ainsi à l’interprétation juridique.
Poldérisation intensive
Il n’y a pas qu’avec le Vietnam que la Chine entretient des antagonismes, mais aussi avec les Philippines. Pékin a tendance à jouer la politique du fait accompli et à coloniser les espaces litigieux pour s’en assurer le contrôle. C’est ainsi que la Chine s’est emparée du récif de Scarborough, situé à 220 km des côtes philippines. Manille a été d’autant plus scandalisé que Pékin empêche désormais les pêcheurs philippins de s’approcher de la zone et bâtit également le récif, en y installant une tour de radar, une piste d’atterrissage et en y installant une garnison militaire. C’est un petit collier de perles que Pékin tisse dans la mer de Chine méridionale, en s’emparant des récifs, des ilots et des hauts fonds, en étendant les polders et en intensifiant la colonisation. Or, le droit international stipule bien que les îles artificielles ne peuvent servir à délimiter une ZEE. Pékin n’en a cure. Il ne s’agit pas tant de faire reconnaître sa légitimité juridique sur la zone que de la contrôler et de s’y installer afin de rendre le fait accompli définitif et qu’aucun État ne puisse le remettre en question. Les Philippines ont eu beau protester auprès des instances internationales et diffuser des photos de l’extension de la Chine, rien n’y fait. Il est vrai aussi que rares sont ceux qui osent lever la voix à l’égard de Pékin, chacun ayant de multiples intérêts à ménager le voisin chinois.
Le retournement de Manille
Manille a par ailleurs opéré un spectaculaire retournement diplomatique. En visite à Pékin le 20 octobre 2016, le président philippin Rodrigo Dutertre a déclaré vouloir tourner le dos aux États-Unis et se rapprocher de la Chine. C’est une rupture manifeste, car les Philippines ont toujours été l’alliée des États-Unis, de par les liens coloniaux, et l’opposant de Pékin. Reste à voir ce que cela donnera réellement. Dutertre a violemment attaqué Donald Trump, étant assez coutumier des propos à l’emporte-pièce. Sa guerre contre la drogue et la violence, qu’il déploie à l’égard des consommateurs, qu’il fait abattre en pleine rue, l’a mis à la périphérie du monde occidental. Il semble aujourd’hui vouloir tisser une diplomatie asiatique et faire des Philippines un acteur à part entière de ce monde, se détachant ainsi des États-Unis et de l’Occident. Nous assistons là à un des effets de la multipolarisation du monde.
Les voies du pétrole
Pékin cherche à sécuriser ses accès en pétrole. La plupart de celui-ci provient du Moyen-Orient et transite donc par la mer de Chine méridionale, notamment pour atteindre les terminaux pétroliers que sont Hong-Kong et Singapour. Des gisements pétroliers ont été découverts au large de Hong-Kong, entre les Paracels et Taïwan, et des gisements supposés sont en cours de sondage, aussi bien au large des Spratleys que des Paracels. De quoi raviver l’intérêt de la zone. Tous ces gisements sont situés dans la zone revendiquée par Pékin. Les experts ont toutefois du mal à évaluer la richesse réelle de ces gisements, dont il semblerait qu’ils ne soient que de faible intérêt.
Le grand intérêt de la mer de Chine, pour Pékin comme pour les autres capitales, réside dans l’importance des passages et des flux qui y transitent. C’est ce que les experts appellent une ligne de communication maritime stratégique. 80% des importations de pétrole de la Chine, de la Corée du Sud et du Japon transitent par cette mer. D’où l’importance du contrôle des détroits (Malacca, îles de la Sonde et Singapour) et de la présence militaire, ce qu’ont les États-Unis avec leurs bases aux Philippines. Ce que les États redoutent, c’est la piraterie aussi bien que le blocus de la mer par l’un des autres États riverains. Si tel était le cas, la tension serait à son comble et la guerre proche.
Le Japon s’immisce dans la partie
Tokyo est en train de rompre avec sa politique d’isolationnisme pratiquée depuis 1945. Le Japon se dote d’une marine plus performante, participe à des exercices de lutte contre la piraterie et des exercices militaires, seul ou avec ses voisins, et ne cache plus sa volonté de jouer un rôle régional. Là aussi, le Japon s’émancipe des États-Unis, qui avaient pris en charge sa diplomatie et son armée et tentent de faire contrepoids face à la Chine. L’ordre du monde hérité de la Seconde Guerre mondiale est en train de se dissiper. C’est moins spectaculaire que l’effondrement de l’URSS, mais c’est un signal faible important pour la suite.
La Chine a fait plusieurs incursions dans les eaux japonaises, que ce soit avec des avions militaires qu’avec des bâtiments. Le Japon a, à chaque fois, menacé de réagir pour repousser ces incursions. Si rien ne s’est passé pour l’instant, cela a tendance à fâcher les deux pays et à faire monter les tensions entre eux. Chacun teste l’autre et veut fixer les limites qu’il refuse de voir dépasser. Dans notre Europe pacifiée et policée, ces rodomontades peuvent paraître dérisoire ou surprenante, mais elles sont la preuve que le monde est loin, dans son ensemble, à tendre vers la paix et la coopération, et que les idées de puissance, de force et d’expression militaires ne sont pas remisées par tout le monde.
Le Japon craint la menace chinoise, tout comme il craint celle de la Corée du Nord, et il a fixé la défense face à la Chine dans ses priorités diplomatiques. Mais l’agitation de la menace chinoise revêt aussi un intérêt stratégique. Cela permet de convaincre l’opinion de changer de politique, en tissant des liens diplomatiques plus étroits avec les pays occidentaux et en investissant dans du matériel militaire. Agiter une menace, réelle ou supposée, permet de lever les doutes et les réticences d’un peuple japonais souvent circonspect face à l’engagement militaire de leur pays. Le Japon est là en train de rompre avec un héritage datant de la fin de la Seconde Guerre mondiale, ce qui n’est pas la moindre des nouveautés dans cette mer de Chine méridionale et ce qui permettra, peut-être, de redessiner les équilibres du globe.