Comprendre l'économie : www.leconomiste.eu

"Les hommes n'étant pas dotés des mêmes capacités, s'ils sont libres, ils ne sont pas égaux, et s'ils sont égaux, c'est qu'ils ne sont pas libres" - Alexandre SOLJENITSYNE

"Hélas! Qu'y a-t-il de certain dans ce monde, hormis la mort et l'impôt ?" - Benjamin FRANKLIN

"Il y a deux types de problèmes dans la vie : les problèmes politiques sont insolubles et les problèmes économiques sont incompréhensibles" - Alec DOUGLAS-HOME

"La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres" - Winston CHURCHILL

"L'étonnante tâche des sciences économiques est de démontrer aux hommes combien en réalité ils en savent peu sur ce qu'ils s'imaginent pouvoir modeler" - Friedrich HAYEK

"J'ai déjà croisé le mensonge, le fieffé mensonge. Mais avec le ministère de l'économie, je découvre le stade ultime: la statistique" - Benjamin DISRAELI

"Quand un économiste vous répond, on ne comprend plus ce qu’on lui avait demandé " - André GIDE

"L’avenir ne se prévoit pas, il se prépare " - Maurice BLONDEL

"Gold is money. Everything else is credit " - J.P. MORGAN

"En période de mobilité économique, la souplesse est une condition vitale du plein emploi" - Alfred SAUVY

Citation Suivante

Rwanda : autopsie d’une désinformation

13 septembre 2019

Le génocide rwandais de 1994 a été utilisé dans un mouvement de désinformation contre la France pour la chasser de la région des Grands Lacs. La désinformation autour de l’intervention française est un modèle de propagande et un bon exemple du rôle de l’information et de la désinformation dans les guerres que se livrent les États, notamment la guerre économique. Les guerres coloniales et d’indépendance nous avaient habitués à la désinformation contre la puissance coloniale en faveur des groupes politiques qui tentaient de prendre le pouvoir. Les nouvelles formes de désinformation se font cette fois-ci au bénéfice d’États tiers. Comprendre son ressort est nécessaire pour mener des politiques de contre-insurrection d’information face à ces politiques de déstabilisation.

Drapeau Rwanda

Par Jean-Baptiste Noé, IdL

 

Génocide au Rwanda, contexte chronologique

Commençons par définir le contexte chronologique du drame du Rwanda pour ensuite comprendre où s’insère l’offensive de désinformation.

Le pays est composé de deux ethnies principales : les Tutsis (environ 15% de la population) et les Hutus (environ 85%). Les Tutsis ont toujours contrôlé le pays, jusqu’à l’indépendance du Rwanda (ancienne colonie belge). Avec le jeu de la démocratie, c’est l’ethnie majoritaire qui a pris le pouvoir (les Hutus), opérant un renversement historique. Paul Kagamé, descendant de la famille royale tutsis, n’a eu de cesse de vouloir récupérer le pouvoir à l’avantage de son ethnie. La voie démocratique étant impossible puisque les Tutsis sont minoritaires, il ne pouvait prendre le pouvoir qu’en faisant usage de la force.

1961 : proclamation de la république par les Hutus. Plus de la moitié de la population Tutsis quitte le Rwanda pour se réfugier dans les pays environnants, notamment l’Ouganda et le Congo.

1973 : coup d’État du Hutus Juvénal Habyarimana qui prend le pouvoir au Rwanda.

1975 : accords militaires techniques entre la France et le Rwanda. La France s’engage à former l’armée rwandaise ; des instructeurs sont envoyés à Kigali. Quelques instructeurs sont encore présents en 1994 (et il s’agit bien d’instructeurs, non de militaires opérationnels).

Au cours des années 1970, les Tutsis réfugiés en Ouganda participent à la déstabilisation du régime ougandais. Parmi eux, l’on trouve Paul Kagamé, qui fonde le FPR (Front patriotique rwandais). Ils aident au renversement du régime et au changement de direction. Le FPR lance des attaques contre le Rwanda depuis l’Ouganda, ce qui oblige Kigali à protéger sa frontière et à mener des opérations militaires de défense.

1990 (octobre) : opération Noroit menée par la France et la Belgique, avec des troupes du Zaïre. Protection de la frontière nord du Rwanda qui subit les attaques du FPR. À la fin de l’opération, des militaires français restent au Rwanda.

1992 (août) : massacres de Tutsis et d’opposants hutus par des milices hutus progouvernementales.

1993 (février) : le FPR lance une offensive contre Kigali, arrêtée par la France. Cela met un terme aux massacres et permet de faire appliquer les accords d’Arusha du mois de janvier 1993. Le régime Hutus s’engage à l’ouverture démocratique, à accepter le pluralisme politique et à donner des postes administratifs aux Tutsis.

Octobre : Création de la MINUAR par l’ONU : envoie de 2 500 Casques bleus pour pacifier la région.

Décembre : fin de l’opération Noroit. Les militaires français basés au Rwanda (600) quittent le pays.

1994 : le début de l’année est marqué par des violences, des massacres et des assassinats de chefs politiques hutus par des hutus extrémistes. Tensions extrêmes dans le pays.

Le 6 avril, le Falcon présidentiel revient d’un sommet à Dar es Salam, avec à son bord les présidents du Rwanda et du Burundi. Celui-ci est abattu par un missile.

Après de nombreuses années d’enquête, il appert que ce missile a été lancé par les Tutsis et que l’ordre d’assassinat a été donné par Paul Kagamé.

7 avril : début des massacres à Kigali. La France et la Belgique organisent le rapatriement de leurs ressortissants.

21 avril : l’ONU réduit la MINUAR de 2 500 à 270 hommes.

23 juin : début de l’opération Turquoise, qui a une durée de deux mois. La France intervient au Rwanda avec l’aval de l’ONU, pour protéger les populations civiles et sécuriser des zones humanitaires. Comme convenu, la mission se termine le 22 août 1994.

De cette chronologie il ressort que la France n’avait plus de militaire au Rwanda au moment du début du génocide (7 avril 1994). Celui-ci a donc pu durer plus de deux mois avant le début de l’opération Turquoise. La France a respecté le mandat de l’ONU : sécuriser des zones humanitaires et protéger les populations civiles.

L’acte déclencheur du génocide (même si la tension était forte depuis de nombreuses années) fut l’assassinat du président rwandais par la destruction de son avion. Le but recherché par Paul Kagamé était de provoquer un mouvement de panique et de vengeance chez les Hutus afin que ceux-ci s’en prennent aux Tutsis. Cela légitimait alors une intervention du FPR pour protéger les Tutsis et pour installer Kagamé au pouvoir. La voie démocratique n’étant pas possible, il fallait obligatoirement passer par celle de la violence ; ce qui a réussi.

 

La désinformation à l’égard de la France

Celle-ci a commencé dès l’opération Turquoise. La France a été accusée d’avoir participé au génocide en fournissant des armes aux Tutsis (ce qui n’est pas le cas) et d’être ensuite restée impassible face aux massacres des mois d’avril-juin. Or à cette époque-là, il n’y avait pas de militaires français au Rwanda.

La désinformation a été le fait de médias américains. L’objectif étant de chasser la France de la région des Grands Lacs afin d’y substituer la présence américaine. Cette région est stratégique, car elle permet de contrôler la région du Kivu et la partie orientale du Congo qui regorgent de matières premières. L’opération de désinformation a bien réussi puisque la présence française a effectivement été affaiblie.

Mais pour cela il fallait aussi que des médias français s’emparent de la propagande. Ce fut le cas avec un certain nombre de journalistes qui reprirent les informations américaines (sciemment ou non ?) pour les diffuser. Cela se poursuit aujourd’hui puisque l’on voit régulièrement surgir des articles sur le rôle supposé de la France dans le génocide. Une telle propagande est régulièrement servie par le régime de Paul Kagamé, qui veut faire oublier qu’il a été à l’origine du génocide en détruisant l’avion présidentiel et qu’il a organisé de nombreux massacres avec son FPR.

Nous sommes-là dans un cas typique de désinformation, de mensonge et de propagande visant à déstabiliser un allié pour asseoir les intérêts stratégiques d’un autre État. Vladimir Volkoff, dans un de ses ouvrages célèbres, La désinformation, arme de guerre, dresse une typologie de l’organisation de celle-ci.

 

L’arme de la désinformation

Tout d’abord il est indispensable que tous les médias disent la même chose et qu’il y ait unanimité sur la question. Le feu roulant de l’information rend impossible toute idée contraire et tout débat puisqu’une seule opinion est affirmée. Cette désinformation est couplée à de la surinformation : quantité de données et de faits sont fournis, avec beaucoup de détails, souvent insignifiants. Cela permet d’avoir l’apparence de la crédibilité et de donner l’illusion du vrai. Ensuite vient l’information binaire : les bons sont d’un côté, les mauvais de l’autre. On oublie toute mise en contexte, toute prise de distance. Il y a les bons et les mauvais et l’opinion est sommée de choisir son camp. Enfin, cela aboutit à la mésinformation : il faut rendre impossible le sens critique, l’interrogation, le doute. De ce qui est donné, rien ne doit être remis en question, tout doit être approuvé. Ceux qui émettent un avis contraire, même appuyé sur des faits et des chiffres réels, sont anathémisés : négationniste, vendu à tel ou tel pays (ou entreprise), extrémiste, faisant le jeu de tel ou tel camp. Celui qui donne une opinion contraire ne le fait jamais de façon désintéressée, mais toujours parce qu’il est le suppôt et la marionnette d’un camp. Cela permet de le décrédibiliser et de rendre d’avance caduque son propos.

Le mieux étant de trouver des médias du camp d’en face qui se font les propagateurs de la désinformation. Ces idiots utiles donnent de la crédibilité à la désinformation et affaiblissent encore davantage ceux qui s’opposent à la propagande.

 

Désinformer en profitant des faiblesses de l’autre

Le cas de la France au Rwanda est typique de ce processus. L’idée que la France a participé au génocide et en est l’une des complices rejoint en plus la haine de soi, la flagellation permanente de sa mémoire et la culpabilisation qui ne cesse d’avoir lieu. On en vient à penser que la France ne pouvait pas avoir une bonne action, que si elle intervenait ce ne pouvait être que de façon négative.

On retrouve des cas similaires d’usage de la désinformation dans d’autres parties du monde : Roumanie lors du renversement de Ceausescu ; Serbie, pour justifier l’invasion du Kosovo par l’Albanie ; Irak, pour légitimer le renversement de Saddam Hussein ; Libye, pour cette fois renverser Kadhafi ; Birmanie, pour chasser Total de ses champs de pétrole.

Quand la vérité est connue, il est trop tard. L’objectif politique a été atteint et l’adversaire a été vaincu. Le facteur psychologique est un aspect fort présent de la géopolitique. On ne peut méconnaître le fait que les États ont des objectifs antagonistes et qu’ils ne sont pas amis ; ils sont tout au mieux alliés. Cela interroge aussi sur le rapport à l’information. Les réseaux sociaux et les médias indépendants permis par l’internet peuvent-ils servir de bouclier à la désinformation et être utilisés dans la contre-insurrection communicationnelle ? Oui, à condition qu’ils soient sérieux et qu’ils ne sombrent pas dans le travers du complotisme qui peut être un effet inversé de la désinformation.

Sachant désormais comment fonctionne cette guerre de la désinformation et de la propagande, il revient aux États et aux entreprises d’élaborer des stratégies de contre-insurrection, notamment pour remporter les batailles de la guerre économique. Cela est encore loin d’être le cas.

 

Pour approfondir le sujet, on peut se rapporter à l’ouvrage du colonel Jacques Hogard, Les larmes de l’honneur. 60 jours dans la tourmente du Rwanda, rééd. 2016.