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Rapport du Sénat : "La France grande perdante des sanctions contre l'Iran"

25 novembre 2014

Un récent rapport de la délégation de la commission des finances du Sénat montre que la France est la "grande perdante des sanctions contre l'Iran", que notre "application stricte, voir zélée, des différents régimes de sanctions" est "destructeur d'un point de vue économique", et que notre jusqu'au-boutisme "contraste avec les stratégies de nos concurrents" qui n'attendent pas de permission de revenir en Iran afin de défendre leurs intérêts.

France et Iran sanctions

 

La délégation, qui s'est rendue en Iran du 22 au 29 avril, indique également que les banques françaises (et européennes) "sont évincées sous la pression du droit américain" qui exerce un "deux poids-deux mesures" qualifié par le rapport d'"hypocrisie américaine". Cette hypocrisie se démontre notamment par la présence d'un nombre important de ses compagnies sur place qui contournent les sanctions.

Cette délégation composée de six sénateurs (M. Philippe MARINI, Mme Michèle ANDRÉ, MM. Jean-Claude FRÉCON, Aymeri de MONTESQUIOU, Philippe DALLIER et Gérard MIQUEL) s'est rendue en Iran dans le but "d'étudier les perspectives d'évolution de l'Iran en matière économique et financière" après l'escalade des tensions qui a mené à plusieurs séries de sanctions draconiennes contre Téhéran ces dernières années.

L'Iran et les puissances mondiales ont signé le 24 novembre 2013 le JPOA (Joint Plan of Action) qui lève partiellement les sanctions (qui sont majoritairement américaines et européennes) en échange de concessions sur le programme nucléaire de Téhéran.

La délégation montre que "la France est la grande perdante des sanctions contre l'Iran" et déclare même se demander "à qui les sanctions faisaient le plus mal". Son rapport indique:

"Ces dernières [les sanctions] sont en effet douloureuses et pénibles pour l'Iran, mais aussi pour les compagnies occidentales, en particulier européennes, surtout pour les entreprises françaises, qui avaient des échanges importants avec l'Iran. En tout cas, les sanctions pénalisent davantage les pays européens, et la France en premier lieu, que les États-Unis."

Bien qu'étant douloureuses, le rapport note toutefois les effets limités des sanctions sur une économie "de résistance" iranienne qui "fait preuve d'une résilience remarquable", et qui "bien qu'affaiblie, est loin de s'effondrer".

Le rapport continue en expliquant que les échanges commerciaux de la France avec l'Iran sont passés de 4 milliards d'euros en 2004 à 500 millions d'euros en 2013 avec une chute nette des exportations à partir des sanctions mises en place en 2012 puisqu'elles "se sont brutalement contractées de 52% entre 2011 et 2012, puis de 38% entre 2012 et 2013, les ventes iraniennes vers la France diminuant respectivement de 90% puis 64%".

Cela pourrait sembler logique étant donné la décision d'imposer un embargo mais la délégation a remarqué l'inefficacité de celui-ci en indiquant que "sur place, les entreprises françaises ont été remplacées par des firmes européennes mais surtout par des entreprises asiatiques ou turques". L'un des exemples flagrant en Iran et le cas de l'industrie automobile française qui est la grande perdante des sanctions contre l'Iran. Le rapport explique:

"Nos entreprises, Renault et surtout PSA, ont auparavant été des leaders (plus de 35% du marché). Mais elles ont désormais fortement réduit leurs activités, voire les ont totalement interrompues dans le cas de PSA, et ce sous l'effet des sanctions américaines. [...] Renault, qui produisait environ 100.000 voitures par an avant 2012, a réduit ses activités par trois et provisionné 800 millions d'euros de pertes à ce titre. PSA, qui produisait environ 500.000 voitures par an avant 2012, a tout abandonné et a enregistré, à cet égard, de l'ordre de 900 millions d'euros de pertes".

Les sanctions américaines offrent donc principalement le marché iranien à la Chine qui pèse désormais 10% du secteur automobile iranien contre seulement 1% avant les sanctions. Ceci représente un cas de perdant-perdant puisque les entreprises françaises enregistrent des pertes colossales et les Iraniens se plaignent du remplacement des pièces françaises usagées par des pièces chinoises jugées de faible qualité. D'autres groupes sont concernés comme Total, Alstom, Schneider ou les laboratoires pharmaceutiques "qui se sont progressivement effacées avec le durcissement des sanctions". Ces constats ont laissé la délégation perplexe quant au bien fondé de la stratégie des sanctions.

L'hypocrisie américaine 

La délégation française affirme que les compagnies américaines sont favorisées par les régimes de sanctions contre l'Iran. Ainsi, le rapport fait part d'un phénomène de "deux poids-deux mesures" qui se confirme par la présence "de nombreuses entreprises américaines, comme les firmes automobiles ou comme Boeing" ou encore par la forte présence de Coca-Cola qui est sans doute le soda le plus consommé en Iran.

Par conséquent, des "phénomènes de contournement des sanctions" ont été rapporté à la délégation qui explique que "le lobby anti Iranien [...] puissant et très organisé aux États-Unis" comme United Against Nuclear Iran (UANI) "semble plus actif contre les entreprises européennes et notamment françaises, que contre les entreprises américaines". Les entreprises françaises comme Nexans (l'un des leaders mondiaux de l'industrie du câble et des fils électriques) sont donc sous pression, et ce "à la demande explicite de l'UANI", et ont dû mettre un terme à leurs activités en Iran, contrairement à de nombreuses entreprises américaines.

Enfin, la délégation française parle d'une forme particulière de violence qui s'apparente à une sorte de "kidnapping économique". Elle exprime sa vive désapprobation face aux sanctions extraterritoriales imposées par le droit américain et indique que, s'agissant de la France et de l'Iran, "nous vivons un temps où les États-Unis veulent imposer au monde entier leur volonté, leur droit et leurs règles en utilisant toute leur puissance politique et économique".

En effet, malgré l'accord du JPOA "les flux financiers restent bloqués entre la France et l'Iran" et "aucune banque française n'accepte aujourd'hui d'accompagner nos entreprises". Ainsi, la Société Générale avait "refusé d'être le canal de paiement entre la France et l'Iran pour les denrées humanitaires autorisées par le JPOA" de crainte de devoir régler des amendes records comme ce fut le cas pour BNP Paribas. Par conséquent, la délégation sénatoriale exige des conditions juridiques permettant "aux entreprises françaises, dans le respect du JPOA, d'investir en Iran et de gagner des parts de marché, dans un contexte concurrentiel".

"Le zèle français"  

La délégation a relevé que "la France témoigne d'une application stricte, voire zélée, des différents régimes de sanctions". La stratégie française surprend de nombreux responsables iraniens qui voient d'autres pays défendre "plus directement leurs intérêts économiques" alors que "les Français semblent attendre la permission de revenir". La délégation française indique dans son rapport que "le jusqu'au-boutisme de la France est destructeur d'un point de vue économique et, surtout, contraste avec les stratégies de nos concurrents". Elle ajoute que "des distorsions dans l'application des sanctions peuvent être observées" entre les Etats occidentaux puisque certains de nos partenaires européens semblent s'être implantés "pendant la période des sanctions les plus dures" alors que la France reste en retrait.

Recommandations pour l'avenir 

Maintenant que des signes de reprise sont tangibles, la France devra défendre à son tour ses intérêts en Iran et la délégation formule pour cela cinq recommandations:

  • Fonder nos relations bilatérales sur des valeurs de respect et de transparence
  • Rétablir de façon effective les flux financiers et bancaires entre la France et l'Iran
  • Construire un partenariat économique profond et durable avec l'Iran
  • Promouvoir une politique volontariste de coopération en matière culturelle
  • Encourager les entreprises françaises à travailler avec l'Iran

Pour aller plus loin

Sylvain Fontan, « Origines et conséquences du marasme économique en Iran », bulletin économique publié sur «www.leconomiste.eu» le 07/15/2013.

Citation

Milad Jokar, Analyste spécialiste de l'Iran et du Moyen-Orient « Rapport Sénat: "La France grande perdante des sanctions contre l'Iran" », analyse publiée sur «www.leconomiste.eu» le 25/11/2014.

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