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Viagers et Reverse Mortgages : financer sa retraite grâce à l'immobilier ?

27 novembre 2015

Le viager ? A l'évocation du mot, vous vous souvenez sans doute souvenu du film de Pierre Tchernia ou du fait que Jeanne Calment, doyenne "célèbre", avait vendu en viager à son notaire qui, malheureusement pour lui, s'en est allé avant elle. Ajoutez à cet héritage culturel, le fait que le viager soit un contrat lié à la mort, qu'il est parfois associé à une volonté de déshériter ses enfants et vous avez dès lors, de nombreuses raisons expliquant la connotation souvent négative de ce produit. D'ailleurs, le débat sur la « moralité » du viager ne date pas d'hier. Ce dernier existait dans l'Ancien Droit qui a prévalu jusqu'à la Révolution et la question de savoir s'il fallait le maintenir dans le cadre du code civil a donné lieu à un débat animé.

Alors pourquoi aujourd'hui un intérêt renouvelé pour le viager ? Pourquoi, par exemple, plusieurs investisseurs institutionnels ont-ils récemment décidé de créer un fonds d'investissement dédié au viager à hauteur de cent millions d'euro ? La présente analyse tentera de répondre à ces différentes questions et de mettre en parallèle le viager et son « équivalent » américain le reverse mortgage.

Viager

Résumé :

  • la vente en viager a aujourd'hui encore une connotation négative ;
  • cependant, ce type de vente peut permettre une retraite plus confortable et aider au financement de la dépendance ;
  • preuve de l'intérêt pour ce produit, plusieurs investisseurs français, dont la caisse des dépôts, comptent créer un fonds d'investissement en viager d'une valeur de 100 millions d'euro ;
  • la croissance récente du marché du reverse mortgage aux États-Unis peut amener à penser qu'un développement plus important du viager est possible en France.

 

Qu'est-ce qu'un viager en France ?

Le contrat de vente en viager est un contrat de vente d'un bien immobilier. Dans le cas d’un vendeur du bien en viager qui souhaite continuer à vivre dans celui-ci, le vendeur retient un droit d'habitation et, à sa mort, l'acheteur sera libre de disposer du bien. Le paiement effectué par l'acheteur pour obtenir ce bien est constitué de deux parties : un bouquet et une rente. Le bouquet est une somme versée au moment de la vente et la rente est une somme que l'acheteur doit verser au vendeur jusqu'au décès de celui-ci.

Dans le cas du viager, l'élément de controverse est la rente. Certains y voient un « pari sur la mort » puisque l'acheteur a intérêt à ce que le vendeur meurt tôt pour ne pas avoir à lui payer la rente. C'est toute la logique du film de Pierre Tchernia. Comme on le verra plus tard, un des avantages de créer des fonds d'investissement d'achat en viager est probablement de réduire cette idée de « pari sur la mort ».

 

A quoi sert un viager ? Trois explications.

La rente viagère est-elle si peu répandue ? En fait, non. Une rente viagère est par définition une rente versée jusqu'au décès du bénéficiaire. Or la plupart des retraités financent aujourd'hui leur retraite via une rente viagère : leur pension de retraite. Une rente viagère est un type particulier d'assurance où le bénéficiaire est assuré contre le risque de vivre longtemps. Avant l'instauration de systèmes de retraite publics, soit les gens n'étaient pas assurés contre le risque de longévité, soit ils pouvaient s'assurer d'autres manières : vente en viager, achat d'une rente viagère en échange d'un capital (ce qu'était en quelque sorte la tontine), via la famille (les plus jeunes entretenant les plus âgés).

Cela nous ramène à l'intérêt de vendre en viager. Pour une partie importante des ménages, en France ainsi que dans de nombreux autres pays, l'immobilier représente une part significative, voir même la majeure partie de leur patrimoine. Étant donné que de nombreuses personnes souhaitent rester dans leur logement, elles ont tendance à ne pas le vendre. Or, un moyen de pouvoir rester dans son logement tout en bénéficiant de revenus supplémentaires est la vente en viager. C'est notamment pourquoi, historiquement, les personnes vendant en viager ont souvent été des veuves : des personnes avec des pensions de retraites faibles mais avec un patrimoine immobilier parfois important.

On peut se demander si l'intérêt potentiel de la vente en viager est plus faible aujourd'hui qu'elle ne l'était auparavant, du fait de la généralisation des pensions de retraite. Une manière assez simple d'évaluer cet intérêt est de regarder la différence entre le montant des pensions de retraite et le coût de la dépendance, c'est-à-dire le coût lié à la perte d'autonomie à des âges avancés. En 2009, le coût de la dépendance à domicile était d'environ 1800€ par mois et de 2300€ en institution. Dans le même temps, la moitié des français touchaient une pension de retraite de moins de 1000€ par mois, le montant des aides de l’État étant en moyenne de 450€. On voit donc que les pensions de nombreux retraités sont insuffisantes pour financer leurs besoins s'ils tombent en dépendance. La vente en viager semble donc potentiellement intéressante pour de nombreux retraités, offrant en plus la perspective d'une retraite plus confortable.

Un avantage du viager est également qu'il peut permettre de léguer plus tôt à ses potentiels héritiers, peut-être à un moment où ceci leur est plus utile. C'est notamment une des fonctions du bouquet. Le viager n'est donc pas forcément en opposition à l'idée de vouloir léguer une partie de sa richesse à ses enfants par exemple.

 

Acteurs institutionnels : quel avantage pour le développement du viager ?

Les ventes en viager ne représentent à l'heure actuelle qu'une infime part du total des transactions immobilières en France (un peu plus de 0,5% de celles-ci). On peut toutefois penser que la plus forte implication d'acteurs institutionnels peut contribuer à augmenter le volume du marché et sa part dans l’ensemble des transactions immobilières.

Un premier avantage est de réduire cette idée de « pari sur la mort ». L'idée de contracter avec une personne qui a intérêt fort à ce que vous ne viviez pas trop longtemps est sans doute plus que désagréable et peut-être considérée parfaitement immorale. On peut imaginer que de nombreuses personnes refusent de vendre en viager pour cette raison et le considèrent comme un ultime recours. Un fonds important qui investit dans l'achat en viager joue lui sur la loi des grands nombres. La longévité d'un vendeur seul joue un rôle minime sur le rendement du fonds et donc on imagine moins l'acheteur institutionnel espérer plus que tout le décès du vendeur unique X ou Y, comme ce pourrait être le cas pour un acheteur individuel. 

Un deuxième avantage est que le risque de contrepartie est sans doute plus faible. En effet, il est assez imaginable que l'acheteur en viager puisse ne plus être en mesure de verser la rente, ce qui expose le vendeur au risque de ne pas recevoir la rente pour laquelle il a initialement signé le contrat. Il est probable que pour un fonds (bien géré), le risque de ne pouvoir verser la rente soit plus faible. Enfin, il est à noter que des individus seuls puissent être réticents à acheter en viager car ils sont très exposés au risque qu'une personne puisse vivre longtemps (voir le cas Jeanne Calment). Pour eux, il est certain que l'investissement en viager est à priori très risqué.

 

Un autre type de contrat aux Etats Unis : le reverse mortgage

Aux États-Unis, il existe un autre produit assez comparable au viager : le reverse mortgage. La logique derrière ce type de produit est la même que le viager : rendre liquide la richesse immobilière. En 2011, seulement 2,1% des ménages de plus de 65 ans possédaient un reverse mortgage. Cependant, ce montant était de moins de 0,5% en 2005, ce qui traduit une croissance forte du marché.

Cet emprunt hypothécaire se présente, à l'inverse du viager, le plus souvent sous la forme d'une ligne de crédit. Cependant, on notera que les personnes désirant bénéficier d'un reverse mortgage peuvent choisir entre une rente viagère ou une rente fixée pour une certaine période de temps. Il est possible de combiner également ces deux options. Ceci prouve qu'il est sans doute possible d'offrir des solutions plus flexibles que le viager classique et qui peuvent peut-être mieux convenir à certains besoins spécifiques des retraités.  On peut en effet penser qu'augmenter les possibilités pour les retraités de pouvoir bénéficier de revenus supplémentaires liés à leur bien immobilier est bénéfique. Par exemple, une personne ne peut souhaiter utiliser son bien immobilier que si elle doit s'acquitter de dépenses de santé importantes. Dans ce cas, elle pourrait préférer la solution d'une ligne de crédit à une solution de type viager classique.

Dans tous les cas, le développement récent du marché des reverse mortgages laisse présager une croissance possible des produits permettant l'utilisation d'un bien immobilier pour le financement de la retraite. Ceci pourrait s'effectuer en France sous la forme d'un développement du viager. Il est en particulier intéressant de noter que l'intérêt plus important du reverse mortgage aux États-Unis s'effectue alors que la plupart des contrats (90%) sont aujourd'hui administrés par une agence fédérale. Cela montre que les acteurs institutionnels peuvent sans doute jouer un rôle important dans le développement de ce type de produits. Ils peuvent créer un lien de confiance dans le cadre de contrats qui peuvent paraître complexes. Notamment aux États-Unis, les personnes désirant contracter un reverse mortgage doivent rencontrer un conseiller du HUD (U.S. Department of Housing and Urban Development) avant de pouvoir s'engager, ceci permettant sans doute de rassurer des personnes intéressées mais craignant d'être « flouées » par certains acteurs privés, ainsi que d'augmenter leur compréhension des produits.

 

Deux principales limites au développement du marché du viager

Il existe sans doute une limite principale à la vente en viager : le bien immobilier vendu. Autant il est potentiellement facile de vendre en viager et d'en retirer des revenus importants à Paris ou sur la Côte d'Azur, autant vendre dans une campagne un peu reculée peut être plus difficile. Cela ramène à un des problèmes principaux liés à l'immobilier : le manque de diversification. En effet, une personne détenant un bien immobilier qui serait la composante principale de son patrimoine, reste soumise au risque qu'au moment de la vente du bien, la valeur de celui-ci soit plus faible qu'escomptée. 

Il existe également un risque pour les fonds qui investiraient dans le viager : le risque systémique de chute des prix immobiliers. L'expérience récente (États-Unis, Espagne ou Japon depuis 2007 par exemple) montre que ce type de risque n'est pas à négliger et cela amène à la nécessité de bien penser la structure et la viabilité financière de ces fonds d'investissement.

Le financement de la retraite est une question complexe liée essentiellement à deux risques : celui de la longévité et celui de la dépendance. Les deux variables sont étroitement liées. En effet, plus la longévité est grande, plus le risque de faire un jour face à une situation de dépendance est élevé. Avec le vieillissement de la population, de nombreuses questions se posent quant à la capacité des systèmes de financement publics à répondre aux besoins des retraités. Ces besoins peuvent être de nature très variée : aménagement du logement, aide-ménagère, aide médicale... Ils recouvrent globalement l'ensemble des services représentant ce qui a été appelé la silver économie. Cette dernière est définie comme l'économie au service des âgés et certains y voient de grandes potentialités en terme de créations d'emploi. La Direction de l’Animation de la Recherche des Etudes et des Statistiques (DARES) estime, par exemple, qu'elle pourrait créer 300 000 emplois nets, d’ici à 2020. Même si ces chiffres peuvent porter à discussion, il est certain que le vieillissement de la population française, mais aussi mondiale, devrait mener à un développement des secteurs rattachés à cette silver économie.

Cependant, une question fondamentale reste le financement de ces services : les personnes âgées auront-elles les moyens de payer pour ceux-ci ? Étant donné qu'une partie importante de la richesse des retraités se trouve dans l'immobilier, le viager est un des moyens pouvant permettre aux retraités d'accéder aux services offerts par la silver économie, et ainsi de pouvoir bénéficier d'une retraite plus agréable. Il permet en plus aux personnes de pouvoir se maintenir dans leur logement plus longtemps si elles le souhaitent.

 

Conclusion

Le développement du viager ou d'autres produits type reverse mortgage peut participer au développement de la demande pour les services aux âgés, relaxant du coup certaines limites financières qui les restreignent dans les services pouvant être achetés. Il peut permettre aussi de financer des modifications du logement afin de l'adapter aux besoins du grand âge.

De part son poids dans le patrimoine des retraités, l'utilisation de l'immobilier pour financer la retraite a un rôle potentiellement majeur à jouer au niveau de la demande pour les services aux âgés. Le viager offre donc un ensemble de possibilités non négligeables aussi bien au niveau individuel qu'au niveau macroéconomique. En effet, on voit mal comment la silver économie pourrait se développer fortement sans une demande importante, d'où un avenir peut-être glorieux pour ce vieux produit qu'est le viager, lequel pouvait sembler moribond il y a peu encore.  

 

Citation

Bertrand Achou, Economiste, BSI economics « Viagers et Reverse Mortgages : financer sa retraite grâce à l'immobilier ? », analyse publiée sur «www.leconomiste.eu» le 12/11/2014.