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Géopolitique électorale

22 avril 2020

La géographie électorale est une discipline qui avait le vent en poupe dans les années 1960-1970 et qui a été un peu laissée à l’abandon. Il s’agit pourtant de constater que les territoires, régions ou départements, votent majoritairement pour un parti ou pour des idées, et de se demander pourquoi les personnes habitant dans ce territoire votent pour tel parti ou telle idée plutôt que pour d’autres. Il y a ainsi deux visions du vote qui s’opposent : une vision sociologique et une vision territoriale. Pour la vision sociologique, les gens votent en fonction de la classe sociale à laquelle ils appartiennent. Le vote n’est donc pas lié au territoire. Pour la vision territoriale, il y a au contraire des traditions politiques ancrées dans les lieux, qui s’affranchissent des cadres sociologiques. La cartographie électorale permettant alors de représenter cette géopolitique de l’élection. Les deux visions ne s’excluent d’ailleurs pas, le danger étant de les fixer dans un déterminisme figé sans voir les dynamiques qui les parcourt. Un territoire a pu voter pour un parti à un moment donné et pour un autre ensuite. C’est le cas notamment de la Bretagne, bastion de la droite jusque dans les années 1980 et qui a basculé très rapidement, au point d’être aujourd’hui un bastion de la gauche. Aux dernières élections régionales Jean-Yves Le Drihan fut le candidat le mieux élu. Or la composition sociologique de la Bretagne est similaire à d’autres régions, y compris des régions qui votent à droite. À appartenance sociologique similaire il y a donc des votes différents, et c’est la logique territoriale, donc géopolitique, qui permet de comprendre ces différences. Par Jean-Baptiste Noé, IdL.

géopo électorale

 Un vote ancré dans l’histoire des régions et dans les mémoires collectives

La géographie électorale est aussi une discipline historique puisqu’elle s’attache aux permanences. Ainsi, en Ardèche, on constate que les villages protestants votent à gauche, et les villages catholiques à droite. Si la distinction religieuse a perdu sa pertinence aujourd’hui et n’a plus la vivacité aigüe du XVIe-XVIIsiècle, en revanche les clivages politiques demeurent. Permanence également du midi toulousain, terre radicale, dont on peut faire naître la vocation politique à l’époque de la croisade contre les cathares (XIIe-XIIIe siècle). Même si cet épisode ne fut pas la lutte du Nord contre le Sud, comme certains régionalistes veulent le faire croire, mais une guerre beaucoup plus complexe avec des alliances de part et d’autre, elle a laissé l’impression que le nord capétien avait conquis le sud libre. De cette impression est restée une méfiance vis-à-vis du pouvoir central, et notamment du roi, qui s’est traduit par une adhésion à la république, et ensuite à la gauche et au socialisme.

 

Cartographie électorale

La France de droite recoupe essentiellement la France de l’Est et du Sud-Est -avec une bande continue de la Bourgogne à la Savoie. À cela s’ajoute la France de l’Ouest, de la Mayenne à la Vendée et l’ouest de l’Île-de-France.

La France de gauche recoupe elle le Sud-ouest, la Bretagne, le centre de la France : Corrèze, Limousin, Auvergne.

Ce que dessine la géographie électorale, cette carte de la France de gauche et de la France de droite, c’est la carte de la France protégée et de la France ouverte. La France protégée vote majoritairement à gauche, quand la France ouverte et exposée vote à droite. Cette coupure Est/Ouest et Nord/Sud en est un grand révélateur.

La France ouverte, c’est celle des invasions et du contact avec l’ennemi : frontière avec l’Allemagne, la Bourgogne et l’Italie, zone de marche (le Maine et l’Anjou sont les marches de la Bretagne), zone de guerre (la Vendée et la lutte contre la révolution), zone d’invasions (la Provence et  les razzias musulmanes, la Normandie et les raids Vikings). Cette France-là, c’est celle qui a connu toutes les guerres, depuis la guerre de Cent ans jusqu’à la Première et la Deuxième Guerre mondiale. C’est l’Alsace, la Lorraine, la Provence et la Corse.

La France ouverte c’est aussi la France industrieuse, celle qui innove et investit. La Mayenne et la Vendée ont des entreprises dynamiques, de même que l’Alsace et l’ouest parisien (Yvelines, Hauts-de-Seine). C’est la France qui est ouverte au capitalisme, c’est-à-dire qui subit une autre guerre, économique cette fois.

La France protégée en revanche, n’a pas connu les guerres récentes et les risques d’invasions. Les théâtres d’opération des deux conflits mondiaux se sont tenus très loin du Limousin, du Quercy et de la Gascogne. La Bretagne intérieure a elle aussi été épargnée. Cette France a évité les invasions de l’Empire et la guerre de 1870. Les populations ont connu la guerre parce que des membres de leur famille y ont participé, mais celle-ci est demeurée un front lointain. L’exemple de Toulouse et de l’aéronautique est à cet égard saisissant. L’aéronautique a d’abord été conçu dans l’Est, notamment pour le travail des moteurs et du fuselage. Puis les usines ont été transférées dans la région toulousaine, sur ordre du gouvernement, et cela pour deux raisons : d’abord pour éviter que ces usines ne soient détruites ou occupées en cas de conflit, puisque Toulouse est très éloigné du front, et ensuite parce que cela permettait aux avions de se rendre à Dakar sans avoir à faire d’escales, ce qui était beaucoup plus commode pour l’aéropostale. À Toulouse l’aviation est tombée du ciel, si l’on peut dire. C’est une activité économique exogène, qui n’a pas été créée et développée par des locaux.

D’autre part demeure, dans le Sud-ouest, un côté rebelle et revanchard qui fait se dresser les habitants contre Paris. Paris ayant longtemps été à droite, être à gauche était une façon concrète et politique de montrer son opposition à la capitale. La France de gauche recoupe de nombreux pays d’Etat qui, sous l’Ancien Régime, étaient des territoires tardivement rattachés à la couronne et qui conservaient une grande indépendance politique : Bretagne, Artois, Languedoc, Bourgogne. Cela correspond aujourd’hui à des bastions de la gauche.

 

Coupures et frontières

La carte des résultats aux législatives de 2012 montre elle aussi une nette coupure politique au niveau des grandes villes. À Lyon, le nord vote à droite et le sud à gauche. À Marseille, c’est l’inverse. À Lille, à Strasbourg, à Paris, on trouve aussi une séparation très nette entre les circonscriptions de droite et celles qui sont à gauche. Les villes semblent séparées en deux, sans mixité politique. La force de la carte témoigne d’un clivage territorial.

 

Deux évolutions intéressantes

Mais dans cette cartographie électorale il y a deux régions à l’évolution dissymétrique intéressante, à savoir la Bretagne et la Provence du sud. En 1965, lors du deuxième tour de l’élection présidentielle opposant le Général de Gaulle à François Mitterrand, la Bretagne a voté à droite à plus de 60% quand la Provence a voté à gauche à plus de 50%. À cette époque-là la Bretagne était un bastion de la droite, et la Provence un bastion de la gauche. Aujourd’hui, c’est exactement l’inverse. À partir des années 1980-1990 la Bretagne s’est fortement socialisée, quand la Provence est revenue à droite. Nous disons revenue car cette région a toujours été conservatrice. En 1815 et 1830 elle est restée fortement monarchiste quand la France était tentée par la république. Que s’est-il passé pour que cette évolution se fasse ?

La victoire du socialisme en Bretagne, c’est la victoire de la démocratie chrétienne marxisante. Sous la férule d’un clergé omniprésent fortement teinté de progressisme dans les années délicates de la décennie 1960-1970, la population bretonne a commencé à changer de bord. En Provence, cette évolution est due à une modification démographique causée par l’arrivée des Français d’Algérie, qui ont transformé la composition sociale et démographique de la région. Pour les deux provinces le changement politique opéré il y a trente ou quarante ans semble irréversible.

 

Géographie sociologique et politique

À l’aune de cette cartographie électorale nous pouvons déterminer quatre types de gauche et de droite.

À gauche d’abord. Il y a la gauche d’État, celle de la fonction publique, que celle-ci dépende de l’État, des régions ou des départements. C’est bien une France protégée car elle n’est pas soumise aux aléas économiques. Il y a ensuite la gauche bourgeoise, qu’elle soit bohème ou liée aux affaires. C’est la gauche des grandes villes, Paris, Toulouse, Nantes, Bordeaux, Lyon … Vient ensuite la gauche marxiste, fortement imprégnée de socialisme et d’idéologie. C’est la gauche des périphéries, des bassins ouvriers. C’est une gauche plus exposée que les autres aux affres de la mondialisation, mais une gauche en forte réduction, la grande majorité des ouvriers ayant virée à droite. Vient enfin la gauche immigrée. Les immigrés d’Afrique, que ce soit l’Afrique du nord ou l’Afrique noire votent massivement à gauche, si bien que le think thank socialiste Terra Nova a conseillé au PS de se détourner des ouvriers et de se concentrer sur l’attraction du vote immigré. Message reçu par la direction de Solférino qui tient à autoriser le droit de vote des immigrés aux élections locales afin de gagner un supplément d’électeurs. L’évolution de ce vote sera une des clefs des prochaines consultations électorales.

Pour la géographie électorale de droite quatre types peuvent là aussi être distingués.

La droite de l’ouest, à la culture monarchiste et antirévolutionnaire. La droite de l’est, au contraire, est républicaine et fidèle à l’histoire des combats du drapeau tricolore. La droite provençale ou du grand sud, c’est la droite qui doit faire face à une nature hostile et difficile, par le manque d’eau ou la rigueur du climat (en Savoie par exemple). Enfin la droite francilienne, c’est la droite d’affaire, du capitalisme et du travail.

La géographie électorale demeure une science pertinente car au-delà des idées et des programmes politiques ce qui fonde la conscience politique d’une personne c’est avant tout son milieu social, son terreau familial et son imprégnation culturelle. Les personnes ont tendance à voter comme les gens qu’elles fréquentent, et à fréquenter les personnes qui votent comme elles.

 

Quid du vote immigré ?

Voilà une question complexe et délicate. Au deuxième tour de 2012, l’écart entre Nicolas Sarkozy et François Hollande fut de 1.2 millions de voix. C’est un des écarts les plus faibles de la VRépublique. Or selon une étude de Opinion Way 93% des électeurs musulmans ont voté pour François Hollande. La même étude estime leur nombre à deux millions de personnes. Ce qui donne donc 1.8 millions pour Hollande et 0.2 pour Sarkozy. Si on retire cet électorat du vote final Sarkozy passe en tête avec une avance de 500 000 voix. Pour l’instant les musulmans votent largement à gauche, mais il n’est pas certain que cela dure, cet électorat peut changer, comme a changé le vote de la Bretagne et de la Provence. Sur les questions de la licence des mœurs le programme du Parti socialiste est bien opposé à leur vision du monde. Il est possible que ce ne soit qu’un vote de circonstance, destiné à s’assurer une meilleure visibilité, et qu’il pourront abandonner une fois qu’ils auront obtenu les places souhaitées. Verra-t-on un vote islamiste en France dans les prochaines années ? Peut-être. Lors de l’élection présidentielle tunisienne les Tunisiens vivant en France ont majoritairement voté pour le candidat islamiste. Or ces Tunisiens ont souvent la double citoyenneté. C’est donc eux qui ont ensuite soutenu François Hollande. Jusqu’à quand ? Si le PS veut contenter cet électorat jusqu’au bout il risque de se détacher de ses trois autres strates électorales. Et si le vote immigré s’émancipe du PS il ne pourra plus revenir au pouvoir. Voilà une question diabolique à laquelle sont suspendues ses victoires futures.

Nous avions vu ainsi que la France est divisée entre une France ouverte, une France des frontières, qui a vécu avec la proximité de la guerre et des invasions, et une France protégée, pour qui cette réalité était beaucoup plus lointaine. Le terme limogé vient ainsi de la ville de Limoges, qui servait de garnison de repos ou de garage pour les officiers. Limoges est une ville située dans la France protégée, quand Metz, Verdun, ou les villes provençales sont sur les lignes de front.

 

Les raisons d’un vote

À cette question il y a plusieurs types de réponses possibles.

Une réponse politique : on vote pour des idées et pour un programme. Dans ce cas le vote ce fait selon des intérêts particuliers : l’électeur choisit le candidat qui répond le mieux à son cas et à ses besoins. S’il est ouvrier il choisira un candidat qui soutient les ouvriers, s’il est chef d’entreprise, un candidat qui soutient les entrepreneurs. La notion d’intérêt général ou collectif est donc extrêmement faible, seul compte l’intérêt particulier et l’égoïsme politique.

Deuxième réponse : une réponse sociologique. On vote par esprit de classe et de corps. De manière schématique on considèrera ainsi que les ouvriers votent à gauche et les chefs d’entreprise à droite. Cette approche a l’avantage de pouvoir adopter un discours de classe, dans lequel il faut désigner un ennemi, qui est l’autre classe et que l’on combat.

Enfin troisième type de réponse, une réponse culturelle. Les individus votent en fonction de leur éducation, de leur tradition familiale, du milieu dans lequel ils vivent.

Ainsi pour la droite on se rend compte que la droite de l’Ouest et de l’Est sont très différentes culturellement, même si pour une présidentielle elles voteront pour le même candidat. La droite de l’Ouest vit dans le souvenir du génocide vendéen et des guerres de la révolution, elle a une tradition monarchique. Cela ne veut pas dire que toutes ces personnes attendent le retour du roi, mais que l’évocation de la royauté éveille en eux une certaine brume de l’âme.

La droite de l’Est en revanche vit dans le souvenir de Valmy et des combats de l’an II, ainsi que dans la déchirure de la perte de l’Alsace. C’est une droite républicaine, attachée aux idéaux de celle-ci.

De nombreux historiens ont aussi fait remarquer que le vote FN dans le sud était lié à la culture taurine. Vraie ou pas, cette théorie a un certain charme et montre que la culture des régions est au cœur de la formation politique. Et comme nous l’avons déjà dit les régions protestantes votent massivement à gauche, même si les temples sont vides depuis plusieurs décennies. L’esprit du désert et des camisards demeurent, au même titre que les vendéens dans l’Ouest.

Les trois réponses ne sont pas antinomiques et peuvent tout à fait se rejoindre. Mais la géographie électorale a pour elle deux ennemis farouches : la vision sociologique, qui a longtemps été reine et qui repose sur une vision marxiste de l’histoire, et la vision politique, qui voudrait que l’on vote pour un candidat parce que celui-ci a des idées qui nous plaisent. Or on sait très bien que dans certaines régions seule l’étiquette compte pour se faire élire, peu importe le programme défendu par le candidat élu. La géographie culturelle est donc intrinsèquement liée à la culture et à l’histoire, elle se fonde dans la transmission familiale des valeurs partagées. Les études politiques ont montré que seuls 20% des enfants votaient différemment de leurs parents. La vie familiale est donc cruciale pour la transmission des idées politiques. On retrouve ici la notion centrale de mimétique, défendue avec majesté par le philosophe René Girard. La mimétique vaut aussi pour la politique, et le meilleur prédicateur reste l’exemple donné.

 

Comment susciter l’adhésion ?

Ce fait surgir d’autres questions. Quelle peut-être alors le rôle d’une campagne électorale dans le domaine de la géographie électorale ?  Puisqu’il y a des terres de gauche et des terres de droite, à quoi bon faire campagne et défendre des idées puisque tout est déjà joué ? C’est que l’on distingue ici des régions acquises et des régions volages. Il y a des régions qui ne bougeront pas, quelque soit le candidat. L’Alsace vote à droite, en dépit de la tendance nationale, et Midi-Pyrénées et le Limousin semblent définitivement acquis à la gauche. Derrière ces blocs régionaux il y a bien évidemment des individus. En démocratie il faut faire 51% des voix pour l’emporter. C’est donc que dans ces régions il y a au moins 51% des électeurs acquis de façon définitive à un parti. Les 49%             autre peuvent bien bouger, aller tantôt là tantôt ailleurs, cela ne renverse pas l’équilibre établi.

Là où la campagne peut être importante c’est pour les régions volages, c’est-à-dire les territoires où le nombre d’électeurs non-fixes peut créer une majorité d’un côté ou de l’autre selon le candidat derrière lequel il se range majoritairement. S’il y a 60% d’électeurs fixes, composant, par exemple, 40% et 20% pour les partis, les 40% de volages seront déterminant pour faire basculer l’élection. Ces territoires volages sont en définitive assez nombreux. Pour les présidentielles ce sont les départements qui ont voté Sarkozy en 2007 et Hollande en 2012. Là, le combat peut être âpre.

De cela découlent plusieurs stratégies pour le candidat. S’il est dans un territoire fixe il faudra jouer sur la culture politique du pays, sur la filiation et la transmission politique, puisque c’est elle qui détermine le choix final. S’il est dans un territoire volage, la défense d’idées et d’un programme sera plus importante. De même, dans le premier cas le combat se fera essentiellement au niveau du parti, pour obtenir l’étiquette requise pour l’élection, et dans le deuxième le combat sera à mener auprès du peuple.

 

La démocratie n’est pas rationnelle

Ces considérations générales montrent surtout que la démocratie est loin d’être un système politique fondée sur la raison et l’analyse des idées, où le meilleur candidat l’emporterait forcément. S’il a la mauvaise étiquette un très bon candidat sera systématiquement battu. On voit aussi que la notion d’intérêt général est presque inexistante dans ce jeu, comme l’est la défense d’un programme politique construit et solide. Nous touchons là à une faille du système démocratique et à une imperfection majeure de son fonctionnement : non seulement le meilleur candidat n’a pas l’assurance de gagner, puisque l’élection n’est pas rationnelle, mais en plus une partie plus ou moins grande de l’électorat est systématiquement rejetée.

Dans un système majoritaire les minorités n’ont pas leur place. Malheur à ceux qui sont dans le camp d’en face dans un territoire fixe : ils sont condamnés à ne jamais voir leur candidat l’emporter. Cela cause alors de la frustration chez les minoritaires et génère un sentiment de guerre civile permanente lors des élections.

C’est là une des causes structurelles de l’abstention : pourquoi aller voter si on est certain que son candidat soit ne sera pas élu, soit sera élu quoi qu’il arrive ? Alors que la démocratie devrait être le summum du système de représentation du peuple, il n’en est qu’une pâle approche. Dans le système français il y a en plus cette impression du quitte ou double : celui qui gagne, même de peu, a tous les pouvoirs. Que François Hollande ait gagné avec une très faible avance n’a aucune importance pour lui. Une victoire très nette, à la Chirac ou à la Louis-Napoléon Bonaparte, lui aurait donné les mêmes pouvoirs et les mêmes prérogatives. La France de l’autre camp à ainsi la désagréable impression de se faire complètement flouer. La défiance du système démocratique vient de la défiance d’une partie du peuple qui comprend qu’il n’a pas de prise sur son destin politique. La fracture géographique entre la France bleue et la France rose risque ainsi de s’aggraver dans les années à venir, à l’intérieur même de nos territoires.

 

Sociologie et culture du vote

L’analyse marxiste reposant sur une raison sociologique du vote ne nous paraît pas opérante. Un ouvrier ne vote pas forcément à gauche. Les mineurs de Lorraine ont toujours été fidèle au Général de Gaulle quand, au même moment, les mineurs de Carmaux votaient socialistes. C’est que les premiers sont dans la France exposée, quand les seconds ont été marqués par la présence de Jean Jaurès. De même, dire que les femmes et les urbains voteraient à gauche n’est pas confirmé par les faits. On l’a vu, dans les grandes villes la coupure est nette entre le territoire de droite et le territoire de gauche. Il y a pourtant autant de femmes et d’urbains dans les deux partis. Dire aussi, comme le soutien Terra Nova, que les diplômés votent à gauche, n’explique pas pourquoi les Yvelines et les Hauts-de-Seine votent à droite, alors que ces deux départements comptent un nombre très importants de diplômés supérieurs, ainsi que des urbains et des urbaines.

L’explication sociologique du vote ne nous paraît pas pertinente, et c’est le grand mérite de la géographie électorale que de contribuer à démonter cette idée. Nous pensons au contraire que les éléments constitutifs d’un vote sont le vote culturel et le vote du choix public.

Dans les départements bastions, c’est le vote culturel qui l’emporte (la Vendée à droite du fait du génocide, le Tarn à gauche du fait de la personnalité de Jaurès) et la transmission familiale transmet ce vote parmi les nouvelles générations.

Dans les départements volages, c’est le choix public qui l’emporte, c’est-à-dire que les électeurs votent majoritairement pour le candidat qui défendra au mieux leurs intérêts du moment.

Dans les deux cas la démocratie est surtout la victoire du clientélisme électoral. Si la droite veut l’emporter lors des prochaine élections elle doit donc à la fois affirmer sa culture et son histoire pour fortifier les bastions, et offrir un projet attrayant et motivant pour rallier les volages.