17 janvier 2022
Considéré comme un des pères de l’économie libérale, David Ricardo (1772-1823) a exprimé une vue très inattendue concernant la question de la substitution des machines aux hommes lors de la Révolution industrielle : s'il condamne les luddites et est favorable au progrès, il scandalise ses contemporains en soutenant que la mécanisation a un effet nocif sur l’emploi à court terme. Par Romain Treffel.
Dans le chapitre 31 de ses Principes de l’économie politique et de l’impôt, intitulé « Des machines », le célèbre économiste britannique écrit ainsi que « l'opinion des classes ouvrières sur les machines qu'elles croient fatales à leurs intérêts ne repose pas sur l'erreur et les préjugés, mais sur les principes les plus fermes, les plus nets de l'économie politique ».
Il semble aujourd’hui que Ricardo aurait changé d’avis en cours de route, même si les interprétations se battent encore sur la réalité et l’ampleur de cette volte-face. Son avis sur les effets de la mécanisation est dispersé dans différents écrits, seul le chapitre « Des machines » y est donc spécifiquement consacré. Il aurait été ajouté par la modification de son opinion sur « cette grave matière », même s’il ne reniait pas pour autant ses analyses précédentes. Dans la vision originelle de Ricardo, l'introduction des machines bénéficie ainsi à toutes les classes (propriétaires fonciers, capitalistes, travailleurs) ; seuls les travailleurs n'en retirent qu'un bénéficie limité dans le temps, car les salaires réels augmentés par la baisse des prix liée à la mécanisation vont dans un second temps baisser jusqu’au seuil à partir duquel le travailleur peut nourrir sa famille et lui-même – c’est la loi d’airain des salaires. Contrairement à Malthus, avec lequel il a échangé une abondante correspondance sur le thème, Ricardo ne pense pas que les machines fassent baisser la demande de travail. Puis il change d’avis en comprenant que la mécanisation fait changer la composition du capital : plus de capital technique, moins de capital salarial, d’où une contraction du fonds des salaires (montant que l'entreprise emprunte pour payer ses employés avant de commercer à vendre) à l’origine du chômage.