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Modification fondamentale mais en catimini du droit des contrats

16 mars 2016

 « Un papier initialement publié sur le site de l’Institut des Libertés par Emmanuelle Gave »

Le code civil est pour beaucoup d’entre nous un vague souvenir des bancs d’université entre Portalis et Carbonnier pour les plus assidus et pour les autres juste « un  gros bouquin rouge » dont on reconnait les pourtours.

Pourquoi en parler aujourd’hui ?

Tout simplement parce que l’air de rien, le Journal Officiel a publié il y a un mois (11 février 2016) une ordonnance de modification du droit des contrats (passée par la loi de modernisation l’économie). Le lecteur cultivé est déjà sans nul doute surpris, dans cette période ou son attention a été drainée sur des sujets aussi valables que la refonte ministérielle, la déchéance de nationalité et la réforme orthographique, d’apprendre que ce gouvernement a donc choisi de passer voie d’ordonnance, comme si cela ne relevait que d’une retouche mineure – ou, dénomination en vogue, d’une « simplification du droit ». Le citoyen intelligent peut déjà s’interroger sur la nécessité de voir le pouvoir réglementaire, donc le politique, intervenir sans passer par un vote de la loi dans un cadre parlementaire surtout dans un domaine qui relève, après tout, de la sphère commerciale puisqu’il s’agit  du droit des contrats.

Droit des contrats

 

Loin de moi l’idée d’être réfractaire au changement mais j’aimerai quand même débroussailler ces derniers plus avant :

Concernant le contrat aléatoire et malgré l’ambition affichée d’une « recherche d’équilibre » dans le contrat de droit français, la réforme entend en réalité donner au juge le droit d’intervenir a posteriori dans la relation contractuelle au prétexte de pouvoir protéger la partie qu’il estimera la plus faible dans ce rapport économique. Cette réforme entend donc donner le pouvoir aux juges d’intervenir dans une relation entre professionnels.  De là, se pose donc inéluctablement la question de l’indépendance de la justice surtout quand on connait le travail parfois prodigieux accompli par certains tribunaux de commerce (on pense aux adjudications Adidas, la vie claire etc.).Les tribunaux civils avaient jusqu’à maintenant été épargnés en ce que la loi était claire et non soumise à interprétation. Une jurisprudence relativement constante et logique assurait à l’ensemble une issue judiciaire encadrée.

Désormais, compte tenu de l’imprécision des termes des nouveaux articles du Code civil qui figurent dans cette ordonnance, le juge pourra aussi bien, à travers la jurisprudence qu’il dégagera, veiller à l’exécution des obligations que les parties ont librement consenties ou, au contraire, faire absolument ce qui lui semble, à lui, juste au détriment de la volonté initiale affirmées des parties au contrat.

Nombres de penseurs, dont Hernando de Soto, ont par le passé démontrés l’absolu nécessité d’un système contractuel sain et pérenne dans la perspective de croissance optimale de richesse et de bien-être d’un pays. Comment imaginer qu’une société étrangère, en dehors de toutes implications de droit du travail ou de la concurrence, souhaiterait investir dans un pays ou sa relation contractuelle avec des tiers pourrait être soumis à l’impartialité d’un tribunal plus ou moins indépendant du pouvoir politique ? Cette ordonnance réglementaire nous expose donc au risque majeur de rendre aléatoire les contrats soumis à notre droit et donc de pénaliser gravement l’attractivité juridique de la France.

Par ailleurs, le second effet mécanique de cette réforme sera, sans nul doute, de multiplier les contentieux contractuels, notamment dans les premières années d’application et donnera lieu à l'introduction parallèle des clauses abusives dans les contrats commerciaux. Je n’ai aucun doute sur le fait que cela va ravir nos entrepreneurs déjà bien mal en point dans une économie compétitive difficile.

Pour les juristes ou les curieux, j’aimerai citer des extraits du projet gouvernemental en question afin d’asseoir mes propos :

Sur la forme :

Le ministère de la justice a, sur le fondement d’une habilitation issue de la loi du 16 février 2015, élaboré un avant-projet d’ordonnance, qui a ensuite été soumis à une consultation publique sur internet du 28 février au 30 avril 2015, qui s’est révélée particulièrement efficace, nous dit-on. Je me pense une personne informée, connectée or, cette initiative populaire, à laquelle j’aurai aimé participer m’a échappé mais passons.

Sur le fond, plusieurs remarques :

Extrait : »Concrètement, lorsqu’un contractant craint que son contrat ne soit pas valable, il pourra interpeller son partenaire sur cette difficulté afin que ne plane pas, indéfiniment, une menace d’annulation du contrat ». Quand j’étais avocat, j’avais appris que le consentement des partis  prévalait sur toute autre interprétation ainsi tant que les parties au contrat arrivaient entre elles à un accord synallagmatique sur la chose et sur le prix, le contrat avait valeur légale. Ainsi, je m’interroge sur l’avancée que représente « l’interrogation de la partie adverse »…

Poursuivons.

Extrait : « Ainsi, en cas d’inexécution grave, une partie pourra mettre fin au contrat sans nécessairement passer par une décision judiciaire, par une simple notification au créancier ».  Laissons de côté qui évalue ce qui constituerait le cas d’une inexécution grave pour le moment pour se concentrer sur ce que représente « mettre fin au contrat par AR ». Cas d’école: je suis une entreprise de service à la personne  Suédoise qui viendrait s’implanter en France; pour ce faire, je vais contracter avec un sous-contractant à qui je délègue disons la partie restauration de mon service à la personne et plus spécifiquement la partie plat sucrés  (TPE). Cette TPE estime un jour que je n’ai pas fait droit à ses demandes de congés payés aux dates par elle demandées et me signifie par simple notification, la fin de notre contrat. Elle en a tous les droits désormais. Difficile quand même pour un entrepreneur il me semble de se projeter sereinement dans une croissance future avec une telle épée de Damoclès au-dessus de sa vie contractuelle avec les tiers! Notons que les clients aussi pourront en faire de même et dénoncer le contrat dans cette logique globale.

Extrait : « La réforme consacre la notion de bonne foi à tous les stades de la vie du contrat, y compris au moment de sa formation. Ainsi notamment une personne devra communiquer une information dont elle dispose mais que son partenaire ne peut pas connaître, si elle est essentielle pour qu’il prenne sa décision de contracter ou non (par exemple, dans le cadre de la vente d’un appartement avec vue sur la mer, la construction à venir d’un immeuble bouchant cette dernière). 

Encore une fois, mes bancs d’universités  datent mais j’ai quand même un vague souvenir que les notions de dol, d’erreur et de violence, sanctionnés par une nullité du contrat sous entendaient relativement la même idée de fond. L’article 1116 du code civil  prévoit ainsi que le dol : « le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l’une ou l’autre des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manœuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et il doit être prouvé. »

Je pense que nous devons donc en déduire que désormais, à l’inverse de ce qui était le droit antérieur, l’avancée résulterait donc d’une présomption inversée. En pratique, je comprends donc que là ou auparavant il vous incombait de prouver que le vendeur avait connaissance de la construction en face de la mer, cette simple construction emporte désormais charge de la preuve.  Cette question n’est pas propre au droit français et s’est posée aussi outre Atlantique ce qui me permet de tenter cette ouverture: Que cédez-vous dans une vente théoriquement?

Réponse : un droit de propriété.

Ce droit de propriété porte sur un appartement, une maison dans sa configuration physique au jour de la vente. L’espace extérieur, s’il est évidemment une des considérations dans votre achat ne peut en revanche, juridiquement, être un des aspects de la cession, pas plus que vous ne sauriez contracter sur un ciel bleu parfait pendant toute la durée de vos vacances.

Mon avis est qu’assurément le droit n’est pas  ce qui sous-tend cette réforme, nous sommes en face d’une intention de faire le bien. »La réforme protège la partie faible, en sanctionnant par la nullité du contrat l’abus de l’état de dépendance d’une partie « . Je crains de ne pas avoir développé….

Et ce n’est pas fini: »Afin de parachever le chantier de modernisation du droit des obligations, le Gouvernement, comme l’a annoncé le Président de la République le 5 février dernier, s’attèlera prochainement à réformer le droit de la responsabilité civile, qui repose aujourd’hui essentiellement sur cinq articles inchangés depuis 1804. »A titre personnel, le fait qu’une loi soit restée inchangée depuis pas mal de temps ne me fait pas pencher vers l’idée qu’elle serait obsolète, bien au contraire. Notre code civil a assurément ses défauts mais faire valoir qu’une loi devrait être changée sous le prétexte qu’elle serait la même depuis 1804 me semble à peu près aussi farfelu que de déclarer que l’autoroute A1 réclamerait un nouveau tracé car elle serait restée inchangée depuis Napoléon III!

Et de nous replonger dans notre Histoire de France, quand les bourgeois de Saint Malo face à Louis XIV leur demandant comment il pouvait les aider afin de les remercier pour leur bravoure face au siège de la perfide Albion de déclarer : « Sire, Sire, surtout ne faites rien, vous nous avez suffisamment aidé ».

 

Citation

Sylvain Fontan, « Modification fondamentale mais en catimini du droit des contrats », analyse publiée sur «www.leconomiste.eu» le 03/16/2016.