"Casser l’inflation se fait toujours au détriment de l’emploi" - Nicholas KALDOR
"La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres" - Winston CHURCHILL
"L’Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas" - Jacques RUEFF
"Hélas! Qu'y a-t-il de certain dans ce monde, hormis la mort et l'impôt ?" - Benjamin FRANKLIN
"Les profits sont le sang vital du système économique, l’élixir magique sur lequel repose tout progrès. Mais le sang d’une personne peut être le cancer pour une autre " - Paul SAMUELSON
"Tout chômage quelconque a uniquement sa cause dans le fait que des changements dans les conditions de la demande ont lieu sans cesse, et que les résistances de frictions empêchent que l’ajustement des salaires appropriés ne s’effectue instantanément" - Arthur Cecil PIGOU
"En général, on parvient aux affaires par ce qu'on a de médiocre, et on y reste par ce que l'on a de supérieur" - François-René de CHATEAUBRIAND
"L’économie est fille de la sagesse et d’une raison éclairée : elle sait se refuser le superflu, pour se ménager le nécessaire " - Jean-Baptiste SAY
"Les urgences ont toujours été le prétexte sur lequel les protections des libertés individuelles ont été érodé" - Friedrich HAYEK
"Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice." - MONTESQUIEU
4 février 2014
Alors que les signes de reprise économique en zone euro sont encore modestes et inégalement répartis au sein des différentes économies formant cette union monétaire, un nouveau risque émerge de plus en plus clairement. En effet, le processus de désinflation se confirme, laissant ainsi présager la possibilité d'enclencher un cycle déflationniste potentiellement destructeur. A ce titre, il convient tout d'abord d'analyser la situation actuelle, puis de souligner les effets néfastes d'une déflation, avant enfin de présenter les différentes options envisageables.
Eléments de compréhension
Plusieurs termes économiques permettent de caractériser l'évolution des prix :
Dans ce cadre, il apparaît que la désinflation est l'étape forcément préalable à tout période de déflation. En d'autres termes : un manque d'inflation (désinflation) peut conduire à la déflation.
Situation de l'évolution des prix en zone euro
L'inflation européenne s'éloigne de plus en plus de l'objectif d'inflation de la BCE. En effet, le mandat de la BCE fixe une cible de hausse des prix « proche, mais inférieure à 2 % ». Or, depuis le début de l'année 2013, et à fortiori depuis l'automne dernier, l'inflation moyenne en zone euro est bien en-deçà de cet objectif car elle s'élève à +0,7% en janvier 2014 en rythme annualisé, c'est-à-dire au cours des 12 derniers mois. Pour rappel l'inflation était encore de +3% fin 2011. L'évolution des prix en zone euro souligne donc un processus de désinflation très marqué depuis maintenant un peu plus de deux ans.
Les raisons de cette désinflation sont multiples :
L'inflation moyenne cache néanmoins des situations très différentes selon les pays. En effet, les niveaux nationaux d'inflation sont parfois très différents entre par exemple l'Allemagne à +1,6% (donc proche de la cible de 2%) et la Grèce à -2,9% (les prix reculent depuis le mois de mars). La France, quant à elle, connaît une inflation de +0,8% (inflation positive mais en désinflation depuis maintenant trois ans). Les disparités de situations nationales compliquent la tâche des autorités monétaires car leurs décisions s'imposent indifféremment à tous les pays. Or, le principe de la politique monétaire de la zone euro est qu'elle est censée convenir à tous les pays membres alors même que certaines économies sont diamétralement opposées : avec par exemple d'un côté l'économie allemande qui est en croissance, qui voit ses prix augmenter et dont les taux d'emprunts sont à des niveaux historiquement bas, alors que pour d'autres, au premier rang desquels il convient de citer la Grèce, la situation est exactement inverse. Autrement dit, la politique monétaire de la BCE ne peut pas satisfaire tous les pays dont les situations, et donc les besoins, sont différents selon grosso modo la dichotomie suivante : pays du Sud et pays du Nord.
Le risque de déflation
Contrairement à l'idée populaire instinctive, la baisse des prix est un des phénomènes les plus pervers en économie. En substance, le mécanisme sous-jacent est le suivant :
1) les entreprises et les consommateurs anticipent que les prix seront inférieurs demain à ce qu'ils sont aujourd'hui ;
2) ce qui les incite à repousser leur projets dans le temps car leur réalisation sera moins coûteuse dans le futur. La consommation diminue et l'épargne augmente car les ménages préfèrent attendre avant de dépenser.
3) ce qui se traduit par une baisse des commandes faites aux entreprises et une activité bancaire qui vacille car le crédit ne se développe plus ;
4) les entreprises doivent alors diminuer leurs investissements et leurs effectifs pour tenter de conserver leur profitabilité et ne pas faire faillite ;
5) le tout aboutissant à une diminution des salaires et une accélération des anticipations à la baisse des prix de la part des agents économiques privés ;
6) pour finalement former une spirale autoentretenue : le jeu des anticipations fait que les agents économiques attendent de nouvelles baisses de prix avant de se remettre à dépenser, même lorsqu’ils le peuvent ; ainsi, les prix, le volume de l’activité et l’emploi baissent conjointement.
In fine, c'est un processus qui mène quasi inexorablement au blocage de l'économie et dont il est extrêmement compliqué et long de s'extirper. Historiquement, les deux cas probablement les plus connus sont les Etats-Unis des années 1930 qui auront dû attendre grosso modo la seconde guerre mondiale pour sortir définitivement de la déflation, et le Japon qui lutte contre la déflation depuis près de 20 ans sans réussir à en sortir.
Parallèlement au phénomène de blocage de l'économie, la déflation a des impacts forts en matière de gestion de la dette. En effet, si l'inflation devient négative (déflation), alors le poids des dettes et des intérêts de la dette (qu'elles soient privées ou publiques) n'est pas amoindri comme il l'est mécaniquement sous l'effet de l'inflation (l'inflation diminue la valeur des dettes à rembourser). Au contraire, la déflation accroît le poids des dettes, ce qui oblige au niveau d'un Etat à dégager un excédent budgétaire conséquent, alors même que les recettes fiscales diminuent eu égard au ralentissement de l'activité, entraînant une spirale d'insolvabilité des Etats et des entreprises; ce qui est de nature à provoquer dans les milieux d’affaires un profond affaiblissement de la confiance et donc avoir des effets cumulatifs très préjudiciables sur l'économie.
Articulation entre la politique budgétaire et la politique monétaire : le "Policy-Mix"
La zone euro n'est certes pas en déflation mais la question se pose déjà. En effet, même si les risques de déflation ne sont pour le moment qu'hypothétiques au niveau de la zone euro, il n'en demeure pas moins que le risque n'a jamais été aussi marqué et que la tendance semble clairement aller dans ce sens. Dès lors, si les autorités estiment qu'il existe une probabilité pour que cette hypothèse de déflation se réalise, alors elles doivent dès à présent évaluer les options possibles.
L'utilisation de la politique budgétaire est impossible. En effet, le niveau de la dette et le manque de compétitivité dans de nombreux pays de la zone euro sont tels qu'une politique de "reflation" (processus visant à accélérer la hausse des prix) par des mesures de relance budgétaire sont devenues totalement impossibles.
Or, c'est ce que préconise justement la théorie keynésienne standard. En effet, comme les agents économiques ne consomment pas assez en anticipant que les prix vont diminuer dans le futur, il faut selon cette théorie que la demande publique (relance budgétaire) se substitue à la demande privée pour faire "gonfler" les prix dans le présent et ainsi éviter que le cercle vicieux de la déflation ne s'enclenche. Le problème c'est que là où la déflation menace le plus (et où elle peut même être déjà avérée), c'est dans les pays du Sud de l'Europe (ainsi que l'Irlande), c'est-à-dire justement là où les marges de manœuvres budgétaires sont nulles, et où la baisse des prix internes (salaires) renvoie à une stratégie d'ensemble voulue dite de "déflation compétitive" afin de pallier au déficit de compétitivité de ces pays. Face à ce type de politiques conjoncturelles (court terme) impossibles, les politiques structurelles (long terme) sont elles aussi inopérantes car les effets escomptés sont par définition trop longs à apparaître.
Dans ce cadre, seule la politique monétaire peut être utilisée pour éviter la déflation. Toutefois, sans être nulles, les marges de manœuvres de la politique monétaire sont devenues très restreintes. En effet, les capacités d'action des autorités monétaires ne sont plus celles qui étaient disponibles en 2009 lorsque la zone euro a connu un bref épisode de déflation. Dorénavant, les outils monétaires traditionnels ne peuvent plus être envisagés comme pouvant répondre à une problématique de déflation.
Le taux d'intérêt directeur est (généralement) le principal outil monétaire pour lutter contre le risque de déflation. En effet, Les taux d'intérêts sont un moyen indirect d'agir sur l'activité de crédit des banques. Lorsque les banques empruntent des liquidités pour se refinancer auprès de la banque centrale, elles doivent s'acquitter d'un taux d'intérêt, dont le principal est appelé "taux directeur". Le taux directeur est le moyen le plus traditionnel pour agir sur les taux d'intérêts. Lorsque le taux directeur diminue, les banques répercutent cette baisse sur leurs clients qui sont ainsi incités à accroître leur demande de crédit. Le phénomène inverse apparaît quand les taux augmentent : diminution de la demande de crédit. Ainsi, si la demande de crédit augmente, l'inflation est stimulée; et inversement si la demande de crédit diminue. En zone euro, l'autorité en charge du pilotage de la politique monétaire est la BCE (Banque Centrale Européenne) depuis 1999 et la création de la monnaie commune.
Or, les taux directeurs sont à un plus bas historique, proche de 0%. En effet, lors du déclenchement de la crise globale, ces taux étaient de l'ordre de 4%, laissant ainsi la capacité à la BCE de les diminuer assez largement pour relancer l'activité économique et la dynamique haussière des prix. Actuellement, ces mêmes taux sont à 0,25%. Autrement dit, la seule latitude encore possible pour la BCE avec cet outil monétaire est de passer à 0%. En outre, même si cette étape devait être actée, l'effet sur l'activité serait trop marginal pour envisager une quelconque remontée de l'inflation induite par cette décision. Dès lors, les autorités monétaires sont incapables d'augmenter les anticipations (seuls phénomène susceptible de sortir de la déflation) et alors la zone euro se trouverait dans ce que la théorie économique appelle une "trappe à liquidité" où toute augmentation de l'offre de monnaie est absorbée pour des motifs de spéculation.
Dès lors, la BCE peut envisager des mesures dites "non-conventionnelles. Plusieurs mesures de ce type existent. Les Etats-Unis avec le Quantitative Easing et le Japon avec les Abenomics sont d'ailleurs à ce titre les plus en pointe sur ce sujet et font rentrer le monde dans une zone totalement inconnue, avec des conséquences à moyen et long terme potentiellement catastrophiques. Néanmoins, il existe trois principales mesures que la BCE pourrait envisager :
1) Une des mesures non-conventionnelles consiste à mettre à la disponibilité des banques des liquidités.
2) Une autre solution pourrait alors consister à prêter directement aux Etats en difficulté. L'idée serait alors de racheter massivement de la dette publique pour faire remonter l'inflation, mais avec le risque très probable que cela soit un signal désincitatif à poursuivre les efforts de bonne gestion budgétaire. Toutefois, cette solution, et au-delà des aspects purement techniques et économiques, se heurte directement à des considérations politiques et institutionnelles, et il est peu probable qu'une solution allant dans ce sens puisse être trouvée à court terme.
3) L'arme "ultime" pourrait enfin d'appliquer des taux d'intérêts négatifs. En substance, le but serait d'inciter à emprunter d'avantage car emprunter rapporte de l'argent. En effet, et à titre d'exemple pour comprendre le raisonnement, un taux d'intérêt négatif correspond au moment à partir duquel pour une banque emprunter 100 euros permet de ne devoir rembourser que 90. Notons cependant qu'outre certains aspects techniques problématiques (ex: intégrer des signes négatifs dans des systèmes informatiques n'ayant pour vocation que de "raisonner" en positif), cette expérience n'a encore jamais été réalisée dans l'histoire, et qu'il est peu probable que cela se produise avant une éventuelle déflation avérée.
Citation
Sylvain Fontan, “Zone Euro : de la désinflation au risque de déflation”, analyse publiée sur «www.leconomiste.eu» le 04/02/2014.