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"Bien entendu, tout pays est sous-développé en ce sens que, n’étant pas encore parvenu à épuiser ses possibilités virtuelles, il est capable de continuer à avancer dans la voie du progrès technique" - Paul SAMUELSON
"Quand un économiste vous répond, on ne comprend plus ce qu’on lui avait demandé " - André GIDE
"Le rituel de l’échange est le rituel majeur de la neutralisation de la violence " - Jacques ATTALI
"En politique, ce qui est cru est plus important que ce qui est vrai " - TALLEYRAND
"L'argent public n'existe pas, il n'y a que l'argent des contribuables" - Margaret THATCHER
"La puissance productrice d’un pays peut s’accroître d’une façon plus que proportionnelle à l’augmentation du chiffre de sa population" - Alfred MARSHALL
"L’Europe se fera par la monnaie ou ne se fera pas" - Jacques RUEFF
26 mars 2021
Il y a un siècle déjà disparaissait la double monarchie d’Autriche-Hongrie. Disparition en plusieurs temps, comme les valses du bord du Danube : d’abord la dissolution de l’État à la suite de la défaite de 1918, puis la ratification de cette séparation avec les traités de Saint-Germain-en-Laye (1919) et de Trianon (1920). Un empire vieux de mille ans ne disparaît pas sans conséquence et sans secousse. La mémoire des peuples et le temps long de l’histoire le font ressurgir aujourd’hui, sous une autre forme, mais en replaçant le pôle danubien au centre de l’Europe. Par Jean-Baptiste Noé.
Un Habsbourg, deux couronnes
Étrange destin que celui de la famille Habsbourg, qui par suite de mariages, d’héritages et de victoires a fini par contrôler une grande moitié de l’Europe. À l’époque moderne, la diplomatie française a consisté à desserrer l’étau de cette famille présente à Madrid et à Vienne. Qui dit Madrid signifie également l’Amérique. Qui dit Vienne, signifie une grande partie de l’Europe centrale et de l’axe danubien. C’est Louis XV qui infléchit la diplomatie française, comprenant que l’adversaire est désormais du côté de la Prusse naissante et moins du côté de Vienne. D’où le mariage de son petit-fils, futur Louis XVI, avec une princesse autrichienne. Napoléon n’a fait que copier Louis XV lors de son deuxième mariage. L’Autriche est la grande puissance victorieuse de la Révolution et de l’Empire, raison pour laquelle c’est elle qui accueille le congrès qui doit redessiner la carte de l’Europe à partir de 1814. Un siècle plus tard, Versailles fut pour la France la revanche de ce congrès perdu.
En 1848, à dix-huit ans, François-Joseph devient empereur d’Autriche. Il le reste jusqu’en 1916. Né en 1830, ce jeune homme a été éduqué dans l’aversion pour la Révolution et la défense de la Sainte-Alliance conclue par Metternich avec la Russie et l’Angleterre. L’Autriche perdant son influence en Italie et en Allemagne, conséquence du mouvement libéral des nationalités, il se décide à définir un nouveau pacte politique avec la Hongrie. S’alliant avec l’aristocratie hongroise, il est couronné roi de Hongrie en 1867 et son empire prend désormais le nom d’Autriche-Hongrie. L’aigle à deux têtes, héraldique de l’Empire depuis l’époque médiévale, retrouve une nouvelle jeunesse. La Double monarchie, dite aussi Monarchie danubienne, est le résultat d’un compromis politique. Cela assure de nouvelles bases au royaume et lui permet de faire face à l’unification de l’Allemagne. Une union douanière complète cette union politique. Face à l’Allemagne qui redevient une puissance du Rhin, la Double monarchie tente d’être la grande puissance du Danube. Ce compromis austro-hongrois se fait au détriment des autres peuples, notamment les Tchèques, les Slovaques, les Serbes, qui aimeraient avoir une plus grande autonomie.
L’indépendance de la Hongrie
La défaite de 1918 change la donne politique. Charles d’Autriche est incapable de faire face à la poussée des nationalités. S’il perd la couronne de Vienne, il conserve celle de Budapest, même s’il quitte le pays. On arrive ainsi à une subtilité hongroise : la Hongrie est officiellement un royaume, mais, étant privée de roi, elle est dirigée par un régent. Il s’agit de l’amiral Horty, qui n’avait nullement l’idée de remettre un roi, qui conclut une alliance avec l’Allemagne nazie, et qui gouverna avec des méthodes brutales. Horty fut chassé après la défaite à la fin de seconde guerre mondiale. La Hongrie fut brièvement occupée par les Allemands puis par les Soviétiques. Elle ne redevint indépendante qu’en 1989, après avoir abattu le rideau de fer la séparant de l’Autriche. C’était le 2 mai 1989, soit six mois avant l’Allemagne. C’est parce que la Hongrie a démantelé le mur et qu’il n’y a pas eu de réaction des Soviétiques que la RFA a pu enclencher son mouvement. À partir de mai 1989, des Allemands de RDA se rendent en RFA en passant par la Hongrie et l’Autriche. L’appel d’air est trop important. Si la brèche n’est pas colmatée, c’est le système soviétique qui explose. Gorbatchev n’a plus trop à cœur de rejouer 1956 et d’envoyer les troupes du pacte de Varsovie. À partir de là, l’empire soviétique se fissure.
On ne peut pas comprendre la politique hongroise d’aujourd’hui si on oublie ces éléments. Les Hongrois ont lutté pour leur autonomie au sein de l’empire d’Autriche, puis ils ont essayé d’exister entre le Reich nazi et l’URSS. Puis ils se sont soulevés contre Moscou, et ils en ont subi les conséquences, enfin ils peuvent légitimement se considérer comme ceux qui ont fait chavirer l’empire soviétique. On comprend donc qu’ils n’aient nulle envie de se soumettre à un nouvel empire qui est celui de Bruxelles.
Le triangle de Višegrad
Le 15 février 1991, la Hongrie, la Pologne et la Tchécoslovaquie se retrouvent à Višegrad, en Hongrie, pour conclure une alliance de coopération visant à faciliter leur intégration dans l’Union européenne. Une alliance s’était déjà faite à Višegrad. C’était en 1335, avec les rois de Bohème, de Pologne et de Hongrie, qui y avaient conclu une alliance afin de lutter contre les Habsbourg. Aujourd’hui, le groupe de Višegrad lutte contre un nouvel empire. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes, car s’ils sont aujourd’hui les mauvais élèves de l’Europe de Bruxelles, ils étaient au contraire les jeunes pousses pleines d’espoir dans les années 1990. Sitôt le Mur tombé, l’Union européenne a cherché à intégrer ces pays. De là une pluie de subventions et d’aides qui se sont abattues sur les anciens territoires soviétiques pour les aider à rattraper leur niveau économique. Leur agriculture s’est modernisée. L’UE a financé la construction des autoroutes, la rénovation des ports et des aéroports, l’aménagement des villes. Aujourd’hui encore, beaucoup de travaux d’aménagement sont financés par l’UE. On comprend alors la frustration et l’énervement du gouvernement de Bruxelles, qui trouve injuste et malvenue que ces pays qui ont tant reçu se montrent aujourd’hui ingrats. Les incompréhensions légitimes sont des deux côtés du couple européen.
D’abord très europhile, le groupe de Višegrad est devenu beaucoup plus eurosceptique. Le refus d’accueillir les immigrés d’Afrique et de se soumettre aux quotas imposés par Bruxelles, les différences de vision quant aux valeurs européennes, fait que ce groupe autrefois enfant prodige est aujourd’hui enfant prodigue. L’Autriche s’est rapprochée de Višegrad, enclenchant ainsi un processus de création d’un pôle danubien. Il n’y a plus qu’à y intégrer les pays slaves et la Croatie, et le groupe de Višegrad redeviendra une nouvelle Autriche-Hongrie. Avec toujours comme ennemi la Prusse, dont la capitale semble s’est déplacée à Bruxelles.
Le compromis bruxellois
Jean-Claude Juncker est donc confronté à un dilemme assez proche de celui de François-Joseph. Soit imposer un empire unique, dirigé depuis Bruxelles, soit accepter un compromis bruxellois et se rallier au pluralisme, qui en Europe porte la notion de fédéralisme. Pourquoi tous les pays devraient-ils avoir la même politique et adhérer aux mêmes textes ? Pourquoi les décisions de Bruxelles devraient-elles s’appliquer partout de façon uniforme ? En acceptant le pluralisme des idées qui s’exprime dans le fédéralisme politique, Bruxelles pourrait trouver une solution à la crise qui la parcourt. Ce serait un moyen d’intégrer le groupe de Višegrad, tout en acceptant que ces pays aient une marge d’autonomie. Et pourquoi pas, aussi, une solution au Brexit, qui se révèle une impasse pour tout le monde ? Accepter la Grande-Bretagne, mais avec des exemptions sur certains traités. Ce qu’elle a d’ailleurs jusqu’à présent. Ce serait appliquer à l’Europe le multilatéralisme que le président Macron a vanté à la tribune de l’ONU le 25 septembre, l’opposant à l’unilatéralisme américain. Il a même dit vouloir combattre « la loi du plus fort ». Unilatéralisme et loi du plus fort sont aujourd’hui les deux bâtons de Bruxelles. Avant de se lancer à la conquête du monde, Emmanuel Macron pourrait déjà bricoler en Europe.