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Biais cognitifs et effet momentum

3 janvier 2022

Quel investisseur n’a pas rêvé de battre le marché sur la base de ses propres analyses des cours boursiers ? Il est certes loin d’être impossible de réaliser des plus-values de manière continue.  Mais au-delà des aspects techniques de la finance moderne, pour que se produise un tel évènement un investisseur doit être également capable d’anticiper sur la base d’informations publiques certains mouvements de marché, d’identifier les entreprises qui vont réaliser des performances et de prendre des positions pour se couvrir sans que cela ne réduise son gain potentiel.

La tâche n’est pas aisée et mieux vaut ne pas succomber à l’excès de confiance ou à tout autre comportement hasardeux. De l’auto-attribution, aux effets momentum, en passant par les biais individualistes, nombreuses sont les raisons pour démontrer que battre le marché continuellement repose sur une douce illusion.

Biais cognitifs et effet momentum

 

Résumé :

- Les biais cognitifs génèrent un comportement d’excès de confiance chez certains investisseurs individuels, ce qui contribue à baisser le rendement de leur portefeuille d’actions.

- Ces biais, via les phénomènes d’auto-attribution et d’individualisme, se caractérisent par une hausse des transactions et de la volatilité pour ces investisseurs.

- Dans les pays où le degré d’individualisme est important, ces baisses de rendement sont plus significatives et aux Etats-Unis les performances des portefeuilles des hommes ont alors tendance à être plus mauvaises que celles des femmes.

- Les risques de voir apparaître des effets momentum peuvent s’avérer très dangereux dans certains cas et remettre en cause la stabilité financière.

Excès de confiance

La finance comportementale, un courant assez « jeune » en économie, se penche sur l’analyse des stratégies d’investissements en se basant sur différents aspects, qui peuvent être tant économiques, sociologiques que psychologiques. Le but de ce courant est d’identifier les liens de corrélation entre le comportement des investisseurs, leurs choix stratégiques dans la gestion de leurs portefeuilles d’actions et du rendement de ces portefeuilles.

Une large littérature a mis en évidence l’existence de plusieurs biais cognitifs qui poussent les investisseurs à prendre des décisions non optimales en termes de gestion de portefeuille. Parmi ces biais, l’auto-attribution et l’individualisme sont deux  comportements pouvant aboutir à des phénomènes d’excès de confiance.

L’auto-attribution consiste à s’attribuer toute forme de succès et nier toute responsabilité en cas d’échecs. Ainsi l’individu va baser ses choix uniquement sur l’information personnelle et sous-estimer toutes les autres sources d’informations (ici toutes les informations sont publiques et non privées, auquel cas c’est un délit d’initié, passible d’une peine de prison).  L’individualisme peut également contribuer à amplifier l’excès de confiance. En effet, dans certaines sociétés avec une forte culture individualiste (Etats-Unis par exemple), les individus ont plus tendance à être optimiste en se focalisant sur leurs propres compétences et ainsi estiment leurs capacités supérieures à la moyenne.

Hausse du volume des transactions + forte volatilité = rendements en berne

Les implications de ce genre de comportements sont assez multiples et contribuent généralement à réduire le rendement des portefeuilles des investisseurs  en excès de confiance. La surévaluation de ses capacités peut amener un individu à surestimer le gain attendu sur ses investissements, ce qui va l’entraîner dans un second temps à vouloir compenser cette moindre performance par la réalisation de nouvelles transactions. Le volume de transactions de ce type d’investisseurs a tendance à  être donc assez élevé. Plus ce volume est important, plus il s’accompagne de coûts de transaction élevés, sans qu’il y ait une logique de diversification de portefeuilles.

Si un nombre important d’investisseurs (représentant un volume important des transactions totales effectuées) agit de la sorte, le risque est de générer une forte volatilité (fluctuation essentiellement due aux opérations répétées d’achats et de ventes d’une même catégorie d’actifs) sur le rendement des titres échangés, ceci étant une menace supplémentaire tant pour la transmission de l’information que pour le rendement global des portefeuilles d’actions contenant ces titres.

Plusieurs études montrent qu’aux Etats-Unis les hommes sont plus enclin que les femmes à surestimer leurs capacités, à développer des biais cognitifs et penser battre sans difficultés le marché. Globalement selon ces études, les portefeuilles masculins performent moins que les portefeuilles féminins. Ces résultats sont encore plus exacerbés dans les pays faisant preuve d’un fort degré d’individualisme, avec en tête de classement des pays comme les Etats-Unis, l’Angleterre, l’Australie ou le Canada. La France, l’Allemagne ou la Suède sont moins concernés par ce problème mais leur résultat reste assez « moyen » par rapport à des pays comme le Japon, Israël ou encore l’Argentine.

Effet Momentum, le vrai danger !

Jusqu’à maintenant, nous nous sommes principalement intéressés aux investisseurs individuels ou isolés, n’ayant pas forcément accès facilement à toute l’information ou qui n’ont pas nécessairement les capacités d’expertises des spécialistes et des opérationnels en salle de marché (même si aucun analyste n’est à l’abri de comportements amenant à un excès de confiance !). Mais pour autant, certaines attitudes provenant même des experts, peuvent menacer les marchés financiers : les effets momentum.

L’effet momentum se définit comme la tendance des titres ayant enregistré une bonne (respectivement une mauvaise) performance par le passé à enregistrer une bonne (respectivement mauvaise) performance dans le futur. La stratégie momentum consiste à acheter les titres qui ont surperformé au cours des 3 à 12 derniers mois et à vendre les titres qui ont sous-performé. Le premier article à avoir fourni une preuve formelle de son existence et de sa profitabilité sur le marché américain date de 1993. Depuis d’autres articles ont révélé que c’était également le cas pour l’Europe. Toutefois les stratégies momentum ne génèrent du rendement qu’à court terme (moins d’un an).

Cet effet et la stratégie qui en découle sont intimement liés aux comportements d’excès de confiance, caractérisés par le biais d’auto-attribution ou d’individualisme. Il en résulte donc que l’effet momentum peut engager les investisseurs, experts ou non, sur la voie du chartisme, qui consiste à établir une stratégie de gestion de portefeuille avec une vision court-termiste en suivant les hausses et les baisses des cours. La course au rendement (rendement annuel, corrigé du risque des stratégies momentum, de 12,83 % sur la période 1965 – 1989 aux Etats-Unis) et la hausse des cours prennent le dessus et les choix des investisseurs ne se réfèrent plus nécessairement aux fondamentaux économiques, ou que très marginalement. Ceci est d’autant plus dangereux que l’ensemble des études empiriques sur le sujet démontre que les stratégies momentum se retournent dès le moyen terme (des rendements négatifs au-delà d’un an) et dégradent progressivement l’espérance de rendement du portefeuille momentum.

Ce comportement est d’autant plus dangereux qu’il peut contribuer à la formation de hausses des prix inopinées, autoalimentées, voire dans le pire des cas à la création de bulles sur certains actifs, dans un contexte proche de ce que Minsky nomme « le paradoxe de la tranquillité ». Toutes les hausses des prix ne se transforment pas en bulle (heureusement !), cependant il est très difficile de savoir à partir de quel moment une bulle est en train de se former. Et comme « il vaut mieux avoir tort avec le marché, plutôt que d’avoir raison contre le marché », certaines hausses sont autoalimentées et conviennent à l’ensemble des investisseurs jusqu’au moment où une bulle apparait, et c’est souvent une fois qu’elle éclate que sa présence est détectée.

Conclusion

Sans même évoquer les hypothèses d’efficience de marché (qui ne sont vraisemblablement plus parfaitement adaptées à la réalité des marchés financiers, même s’il n’y a pas de consensus sur la question) battre continuellement le marché n’est ni rationnel ni concevable. Les biais cognitifs contribuent d’alimenter les croyances mystiques de certains, mais tant qu’ils sont les seuls à payer les conséquences de leurs actes, la stabilité du système financier n’est pas menacée. Mais l’existence d’effets mimétiques, conduisant aux effets momentum peuvent être redoutés et actuellement malheureusement peu de solutions émergent pour observer ou encadrer ce type de risques.

Citation

Victor Lequillerier, BSI Economics « Biais cognitifs et effet momentum », analyse publiée sur «www.leconomiste.eu» le 06/05/2014.

Victor Lequillerier travaille au sein d'un service d'études économiques en banque-finance.