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Tensions territoriales en Asie du Sud-Est: impacts économiques

15 avril 2013

Les tensions territoriales en Asie du Sud-Est sont historiques. Elles ont donné lieu à plusieurs conflits armés au cours du XXème siècle. Toutefois, la fin de la seconde guerre mondiale (1945), de la guerre de Corée (1953) et de la guerre du Vietnam (1975) avait globalement stabilisé les frontières de la zone. Cependant, avec notamment la montée en puissance de la Chine et l’existence d’enjeux économiques stratégiques, on assiste à une recrudescence des tensions politiques dans cette région. Pour le moment ces tensions se traduisent par des confrontations diplomatiques, des démonstrations de force et des impacts économiques, notamment pour le Japon. 

 

Le conflit des "Senkaku" cristallise l'attention:

Le point de friction le plus médiatisé, et potentiellement le plus conflictuel, est celui des îles Senkaku (en japonais) ou Diaoyu (en chinois). En effet, ces îles sont administrées dans les faits depuis plusieurs décennies par le Japon mais la décision de ce dernier de les nationaliser a amené la Chine à revendiquer ce territoire. Avant de rentrer dans des considérations économiques il convient de mettre en avant les intérêts politiques de ces deux pays à revendiquer ces territoires. Pour le Japon, cela permet au nouveau Premier Ministre (Shinzo Abe) nouvellement élu en décembre 2012 d’affirmer son autorité face à son voisin chinois, et ce faisant, de satisfaire la frange la plus conservatrice de son électorat. Du côté chinois, cela représente une opportunité pour le gouvernement central de fédérer la population autour d’un intérêt national pour faire oublier les revendications sociales qui émergent dans le pays. Ces tensions se traduisent dans les faits par des démonstrations de force militaire, par l’organisation de manifestations (parfois violentes) et la mise en place du boycott des produits des pays en question sur fond de montée des nationalismes.

D’un point de vue économique, c’est surtout le Japon qui pâtit de ces tensions:

Les effets commencent à se ressentir sur trois aspects, le commerce, le tourisme et les investissements :

  1. Concernant le commerce, on observe une chute brutale des exportations du Japon (-16% depuis la fin 2012), notamment dans le secteur automobile où les exportations ont diminué de 22% en décembre 2012 alors que dans le même temps le marché chinois de l’automobile augmentait de 20%. Tous les grands producteurs japonais sont touchés : Honda, Suzuki, Toyota, Nissan, Mazda. 
  2. Les impacts sur le tourisme sont encore plus marqués. La baisse du nombre de touriste chinois se rendant au japon a diminué de près de 40% par mois en moyenne depuis Octobre 2012. Dans le même temps, le tourisme japonais en Chine a lui aussi diminué (-30% au quatrième trimestre 2012). Cependant, la part des touristes japonais en Chine est marginale (3%) alors que 20% des touristes au Japon sont chinois. Dès lors une baisse comparable est ressentie de façon beaucoup plus forte au Japon qu’en Chine. 
  3. Enfin, les investissements entre ces deux pays diminuent sensiblement sans qu’il soit pour le moment possible de quantifier précisément la baisse. Les entreprises chinoises annulent des investissements au Japon alors que les firmes japonaises sont confrontées à des difficultés accrues pour investir en Chine et pour trouver des débouchés. De plus, les investissements japonais en Chine sont beaucoup plus importants que l’inverse. En effet, le japon a investi massivement en Chine pour pénétrer ce marché afin de bénéficier de sa croissance. Toutefois, ce travail de long terme pourrait se trouver réduit à néant très rapidement au regard de l’asymétrie des relations entre les deux pays : la Chine peut se passer du marché japonais pour se développer, alors que le Japon ne peut pas faire « l’économie » du marché chinois.

L'Asie du sud-Est voit plusieurs conflits coexister:

Plus largement que les tensions autour des îles Senkaku, plusieurs autres tensions viennent émailler la Mer de Chine. Parmi les plus importantes citons (1) les Iles Paracels au large du Vietnam et de la Chine où ces deux pays continuent à exprimer des revendications sur cet archipel qui a plusieurs fois changé de main et qui appartient de fait à la Chine depuis 1974 avec l’installation d’une garnison ; (2) les Iles Spratleys au large Nord de Bornéo où la Chine, le Vietnam, les Philippines, Brunei, Taïwan et la Malaisie se disputent une multitude de petites iles sur une surface relativement restreinte avec la tenue d’exercices militaires de part et d’autre ; (3) les îles Dodko et Takeshima entre la Corée du Sud et le Japon où ce dernier revendique la souveraineté de l’Ile administrée par la Corée sur fond de rancœur concernant l’occupation japonaise jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale ; et enfin (4) les hauts fonds de Scarborought entre la Chine, Taïwan et les Philippines où ces pays s’interdisent mutuellement l’accès aux zones de pêche et veulent s’assurer le contrôle des routes maritimes.

Les conflits sont justifiés par des enjeux économiques stratégiques:

Au-delà de l’aspect purement symbolique de ces conflits en termes de relations internationales, les enjeux économiques sont stratégiques. Afin de bien appréhender ces enjeux il faut comprendre un élément important du droit international : un pays à qui on reconnait la souveraineté sur un territoire bénéficie également de la souveraineté sur l’espace maritime qui lui correspond. Cet espace maritime peut s’étendre sur plusieurs milliers de kilomètres de diamètres et donne accès aux ressources naturelles se trouvant dans ce périmètre. A titre d’exemple, la France, malgré sa taille réduite et la faible étendue des côtés de la métropole, bénéficie du deuxième espace maritime mondial (environ 11 million de km²) après celui des Etats-Unis grâce au DOM-TOM. Dès lors, on comprend comment ces conflits territoriaux cachent en réalité des enjeux considérables en termes d’accès aux routes maritimes, aux ressources minérales et de la pêche et aux ressources énergétiques (pétrole et gaz). Ce dernier point est fondamental quand on sait que ces conflits ont tous lieu en Mer de Chine où on estime les réserves de pétrole à 10 fois les réserves américaines, et les réserves de gaz aux réserves prouvées du Qatar. 

La hausse des tensions dans cette zone se traduisent par une course aux armements:

Les tensions diplomatiques et politiques visibles cachent donc des enjeux économiques stratégiques pour tous les pays de cette zone. Outre les effets économiques que nous avons souligné précédemment, un effet préoccupant est la montée de la course aux armements. Aucun pays n’a intérêt à un conflit ouvert, notamment à cause de l’interdépendance de ces pays qui ferait qu’une guerre aboutirait à une chute du commerce international et un renchérissement du prix de l’énergie et des matières premières dont tous ces pays sont extrêmement dépendants. Néanmoins, tous les pays se préparent à cette éventualité et multiplient les commandes d’armes, la dernière en date étant celle passée par les Philippines pour 443 millions de Dollars d’avions et de frégates. 

Les risques de conflit armé sont minces mais existent:

Plus qu’un conflit armé entre « petites » nations c’est la confrontation sur une même zone des trois principales économies mondiales (USA – Chine –Japon) qui peut inquiéter. En effet, même si les Etats-Unis ne semblent pas impliqués au premier abord il n’en demeure pas moins qu’ils ont beaucoup d’intérêts économiques et stratégiques dans la région, ainsi que plusieurs bases militaires installées chez leurs alliés, au premier rang desquels on retrouve le Japon. On ne peut imaginer qu’en cas de conflit armé, les Etats-Unis ne viennent pas en aide à leur plus important allié dans la région, ce qui ne manquerait pas de déboucher sur une troisième guerre mondiale. Toutes les parties sont parfaitement conscientes de cela, et même si officiellement la Chine et le Japon vont se montrer intransigeants pour satisfaire leurs opinions publiques, il est vraisemblable que des négociations soient déjà en place pour tenter de limiter les effets des positions officielles. De plus, s’il doit y avoir un conflit la Chine n’a pas intérêt à ce que ce dernier éclate maintenant. La Chine de par son ambition hégémonique et son importance économique grandissante dans la région se trouve impliquée dans presque la totalité des tensions territoriales de la région. Toutefois, elle sait que la puissance des Etats-Unis est appelée mécaniquement à diminuer pour tout un ensemble de raisons, voyant ainsi son influence sur la région s’amoindrir. C’est à ce moment-là que les choses pourraient s’envenimer.  

Conclusion:

Il est possible de dire que l’existence d’enjeux stratégiques en Asie du Sud-Est concoure à l’émergence de tensions territoriales entre les pays formant cette région. Ces tensions débouchent sur des conséquences économiques où le principal perdant à l’heure actuel est le Japon. Ces tensions sont potentiellement explosives et peuvent dépasser le cadre économique et diplomatique pour se transformer en conflits armés. Cependant, les pertes économiques potentielles engendrées par un conflit armé sont tellement importantes qu’il est peu probable qu’un pays décide de dépasser le cadre purement diplomatique des tensions.  Mais attention, même si la raison pousse à être relativement optimiste quant aux possibilités de conflit, il ne faut pas pour autant oublier les leçons de l’histoire. Soyons conscient qu’un incident est vite arrivé et que les effets en chaîne sont généralement incontrôlables. Comme en Europe au début du XXème siècle, il y a actuellement dans cette région, une montée des nationalismes, combinée à des enjeux économiques stratégiques sur fond de jeux politiques complexes et pas forcément très habilles qui font que nous sommes peut être confrontés à un cocktail explosif. 

Citation

Sylvain Fontan, “Tensions territoriales en Asie du Sud-Est: impacts économiques”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 15/02/2013.