"La machine a jusqu’ici créé, directement ou indirectement, beaucoup plus d’emplois qu’elle n’en a supprimés" - Alfred SAUVY
"Les investissements d'aujourd'hui sont les profits de demain et les emplois d'après demain" - Helmut SCHMIDT
"Un économiste est quelqu'un qui voit fonctionner les choses en pratique et se demande si elles pourraient fonctionner en théorie" - Stephen M. GOLDFELD
"Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice." - MONTESQUIEU
"Mes clients sont libres de choisir la couleur de leur voiture à condition qu’ils la veuillent noire" - Henry FORD
"Chaque génération se doit de payer ses propres dettes. Respecter ce principe éviterait bien des guerres à l'humanité" - Thomas JEFFERSON
"A long terme nous serons tous morts" - John Maynard KEYNES
"La productivité est la mesure du progrès technique" - Jean FOURASTIE
"La guerre n'est que la simple continuation de la politique par d'autres moyens" - Carl VON CLAUSEWITZ
"La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres" - Winston CHURCHILL
22 novembre 2021
Après l'affaire des Panama Papers, l'analyse ci-dessous éclaire de façon très pratique et très pédagogique la notion de société offshore, permettant ainsi d'échapper aux fréquents écueils sur ce sujet et aux fantasmes.
C'EST QUOI, UNE SOCIETE OFFSHORE ?
Une Société créée dans un pays, mais qui n'exerce aucune activité économique dans ce pays. Dès lors, le pays dans lequel elle est créée lui accorde des avantages particuliers: contraintes réglementaires réduites, pas d'obligation de tenir une comptabilité, fiscalité avantageuse (voire nulle), confidentialité. Pour cela, vous faites appel à un cabinet juridique local : c'est l'activité de Cossack Fonseca qui défraie la chronique.
JE PEUX EN AVOIR UNE ?
Bien sûr! C'est très facile. Il vous suffit de faire une recherche Google "créer ma société offshore" et vous tomberez sur des milliers de sites d'entreprises vous proposant de vous aider à le faire. Il y a quelques années, l'émission Planet Money avait créé la sienne au Belize (un petit pays d'Amérique Centrale). Cela coûte quelques centaines de dollars pour en créer une, un peu plus cher si vous voulez des options spéciales. A la portée de presque tout le monde!
QUELS OPTIONS PAR EXEMPLE ?
La plus pratique est l'anonymat intégral: votre société est enregistrée au nom du cabinet juridique qui la crée, sans que votre nom n'apparaisse nulle part. Ensuite, vous signez un contrat avec le cabinet qui agira pour la société en votre nom. Encore mieux : pour que cela soit plus discret, ces cabinets juridiques ont déjà des sociétés toutes prêtes qu'ils vous vendent. Le gros avantage, c'est que la société existe depuis des années, il est donc difficile de la relier à vous. Autre option indispensable : la société en question peut avoir un compte en banque dans le pays de votre choix. Ce qui est pratique pour transférer de l'argent ou des actifs à votre société.
MAIS....C'EST LEGAL ?
Bien évidemment! Rien ne vous interdit de créer une société dans le pays que vous voulez et qui vous y autorise. Vous devrez bien évidemment respecter la législation de ce pays, et en particulier, envoyer une copie de votre passeport et une preuve de votre adresse, afin qu'ils vérifient que vous n'êtes pas un terroriste ou un criminel connu. Ensuite, si vous oubliez par mégarde de déclarer au fisc de votre pays que vous êtes le vrai propriétaire de "mapetiteentreprise inc", société panaméenne détentrice de quelques millions d'euros sur un compte dans une banque Hong-Kongaise, bien évidemment, vous vous rendez coupable du délit de fraude fiscale, et de blanchiment de fraude fiscale. Mais en soit, créer une société offshore n'est pas illégal.
ET CA SERT A QUOI ? JE VEUX DIRE, LEGALEMENT ?
Il peut y avoir des usages licites de ce genre de société. Par exemple, vous êtes une célébrité et vous n'avez pas envie que votre adresse apparaisse sur la maison que vous venez d'acheter, pour éviter les paparazzis; vous pouvez faire acheter cette maison par votre société écran. Ou alors vous êtes une grande entreprise multinationale en pourparlers pour fusionner avec une autre, ou faisant des recherches dans une technologie spéciale et vous ne voulez pas que vos concurrents l'apprennent; dans ce cas loger vos activités dans une société offshore est aussi légal. Ou alors vous êtes riche, vous avez une garçonnière et vous ne voulez pas que votre épouse en apprenne l'existence, vous la confiez à une société offshore.
Il peut également y avoir des usages d'optimisation fiscale légale. Par exemple, vous êtes un laboratoire pharmaceutique et vous voulez réduire vos impôts : vous déposez tous les brevets de vos médicaments dans une société offshore, et vous faites en sorte que toutes vos filiales paient des redevances pour utilisation de ces brevets à la société offshore, dont les bénéfices ne sont pas taxés. Résultat, vous diminuez leurs bénéfices dans leur pays d'activité, et les bénéfices sont centralisés dans le pays dans lequel ils ne sont pas taxés. La moitié des profits réalisés à l'étranger par les entreprises américaines sont ainsi localisés dans des paradis fiscaux. Cette optimisation fiscale, rappelons-le, est parfaitement légale, aussi légale que toutes les formes de défiscalisation utilisables, comme au hasard acheter une propriété dans les DOM-TOM ou investir dans le cinéma, ou tout bêtement mettre vos actions dans un PEA.
ET ILLEGALEMENT ?
Soyons clairs : ce genre de structure sert à mettre des fonds et effectuer des opérations économiques de manière cachée et anonyme. C'est à dire, cacher de l'argent mal acquis, si par exemple vous avez reçu des pots de vins ou avez soustrait l'argent du pays dans lequel vous exercez une fonction dirigeante; Ou plus banalement, dans nos pays, vous voulez cacher de l'argent au fisc, vous créez une société offshore, avec un compte en banque dans un pays bien choisi, et votre argent sera bien difficile à trouver. A noter que c'est vous qui commettez le délit : mais il y a une vaste hypocrisie dans les pays qui permettent de créer ces structures, ce qui attire les capitaux et crée des activités juridiques, et savent très bien que c'est pour faire de la fraude fiscale.
L'utilisation de ces structures est à l'image des pays d'origines de leurs créateurs. En Russie, dans les pays de l'Est, vous trouverez des oligarques cachant l'argent de leur corruption. En Europe et aux USA, des dentistes ou des patrons d'entreprises moyennes qui veulent frauder le fisc.
C'EST TRES MAL
C'est surtout très hypocrite. La seule différence entre Panama et les USA, c'est que si vous créez une société offshore au Panama, vous devez apporter la preuve de votre identité : c'est devenu obligatoire dans le cadre d'accords internationaux pour lutter contre le financement du terrorisme et le crime organisé. Par contre, aux USA, comme l'ont remarqué les journalistes américains de la radio nationale, on ne vous demandera même pas de preuve d'identité pour créer une société dans le Delaware. Les USA sont ainsi en train de devenir le premier paradis fiscal du monde. En France aussi, l'hypocrisie règne. D'un côté, on affiche des taux d'imposition élevés, des règles strictes; de l'autre, on crée des mécanismes pour les contourner. D'un côté on prétend lutter contre la finance folle, de l'autre, on attire les investisseurs étrangers en leur promettant des carottes fiscales. Dans les années 60, l'accord entre la France et Monaco interdisait aux français de bénéficier des avantages monégasques, mais les laissait disponibles aux autres européens; une manière commode de soutenir l'activité dans un sud de la France dans lequel on voulait surtout attirer les capitaux des français chassés d'Algérie. De même, la fiscalité belge pour les riches français est bien commode pour éviter que les riches familles du Nord ne délocalisent des activités bien nécessaires dans une région en difficultés économiques. Il est possible, cela dit, que la multiplication de ce genre d'affaires très médiatisées ne conduise à changer les choses.
CE SERAIT BIEN, NON ? LA FIN DES PARADIS FISCAUX ?
Peut-être. Mais la situation actuelle présente des avantages; les paradis fiscaux représentent des soupapes, un peu malcommodes, qui permettent aux grands pays de maintenir une fiscalité élevée tout en permettant, en pratique, à leurs riches d'y échapper. On accepte qu'Amazon rapatrie ses profits au Luxembourg si c'est la contrepartie de la construction d'entrepôts chez nous; que Johnny Hallyday paie peu d'impôt sur le revenu, mais que ses ventes de disques génèrent des impôts en France. Le problème, c'est qu'avant, la fraude fiscale était une activité compliquée : il fallait transporter de l'argent liquide dans un autre pays, il y avait les barrières linguistiques... Avec la mondialisation et les nouvelles technologies c'est devenu bien plus facile. Vous pouvez, depuis chez vous, créer votre société offshore sans vous lever de votre bureau. De la même façon les nouvelles formes d'activité économique, qui mettent l'accent sur le capital immatériel (brevets, propriété intellectuelle, technologie) sont bien moins faciles à taxer que les activités traditionnelles qui nécessitaient du capital physique qui a une réalité tangible et qui ne bouge pas facilement.
Mais supposez que demain les paradis fiscaux disparaissent : la concurrence fiscale deviendrait frontale entre les grands pays. Si Amazon ou Microsoft doivent payer leurs impôts dans les pays dans lesquels ils exercent leur activité, ils choisiront d'exercer leur activité là ou ou les taxe le moins, au lieu comme aujourd'hui de s'installer un peu partout et de rapatrier une grosse part de bénéfices dans des paradis fiscaux. Que croyez-vous qu'il arriverait si, au hasard, Sanofi décidait de fermer ses usines de production de médicament pour les installer à Singapour? Combien de temps faudrait-il à nos politiciens (ou à ceux d'autres pays) pour leur offrir des avantages fiscaux? Ce n'est pas à cause des paradis fiscaux que le taux d'impôt sur les bénéfices s'effondre eu Europe: c'est le résultat de la concurrence fiscale entre grands pays. La Grande-Bretagne vient ainsi, encore, de baisser son impôt sur les bénéfices. Il est possible que dans quelques années, on regrette amèrement le bon vieux temps des micro-états et des sociétés offshore tropicales.
Citation
Alexandre Delaigue, professeur d'économie à Lille I, « Société offshore : mode d'emploi », analyse publiée sur «www.leconomiste.eu» le 01/06/2016.