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Accord de libre-échange entre USA et Union Européenne: Opportunité ou Piège?

22 avril 2013

Les discussions autour de la pertinence de l’ouverture de négociations entre les Etats-Unis et l’Union Européenne (UE) concernant un accord de libre-échange existent depuis près de 20 ans. Toutefois, ce débat se précise depuis quelques mois et des négociations pourraient probablement débuter mi-2013 entre ces deux zones économiques. Le débat s’accélère car d’une part, (1) la faible croissance économique des deux côtés de l’Atlantique incite à la recherche de nouveau relais de croissance, et, d’autre part, (2) la montée en puissance de la Chine pousse à trouver des solutions pour contrer l’émergence de ce pays. Le tout dans un contexte où les échanges commerciaux entre ces deux zones diminuent de façon tendancielle depuis 2000. Malgré des négociations qui s’annoncent conflictuelles sur tout un ensemble de points, un accord pourrait être trouvé d’ici fin-2015 selon un calendrier initial. A première vue, les avantages d’un tel accord pourraient être bénéfiques aux deux zones. Cependant, les conséquences économiques pourraient également se révéler être un piège tendu à l’économie européenne si des considérations monétaires ne sont pas intégrées aux négociations. 

 

 

La signature d'un accord de libre-échange constituerait un évènement économique majeur:

Au même titre que le marché commun européen, un accord de libre-échange engendrerait une libre circulation des biens, des services et des capitaux entre l’Union Européenne et les USA. Un tel accord représenterait un évènement économique international majeur car :

  1. Il entérinerait de fait la fin du système commercial international tel qu’il fonctionne depuis plusieurs décennies. En effet, actuellement, dans le cadre de l’OMC (Organisation Internationale du Commerce) les négociations se déroulent de sorte que tous les pays négocient les uns avec les autres et qu’un avantage octroyé à un pays s’applique en général automatiquement à l’ensemble des autres pays. On appelle ce système le multilatéralisme. Or, avec cet accord, le système deviendrait bilatéral, c’est-à-dire où les avantages octroyés à un pays ne bénéficient pas nécessairement aux autres pays non signataires de l’accord. L’OMC existerait toujours mais les négociations sous son égide étant déjà bloquées depuis 2006, cet accord viderait l’OMC de sa substance.      
  2. Il acterait la création de la plus grande zone de libre-échange au monde. En effet, les USA et l’UE représentent au niveau mondial près de 50% de la richesse et des stocks d’investissements ainsi que 1/3 des échanges commerciaux.  De fait, les données du commerce international sans être fondamentalement changées, seraient néanmoins suffisamment impactées pour que la prise en compte de ce nouvel ensemble économique nouvellement créé, induise une évolution marquée de la globalisation. 

Les avantages économiques d'un accord de libre-échange peuvent être très importants:

Officiellement, les objectifs avoués de la mise en place d’un accord de libre-échange sont l’augmentation du commerce et des investissements transatlantiques afin d’améliorer le potentiel de croissance et diminuer le chômage, et ainsi pouvoir faire face à la Chine. Il est déjà possible de chiffrer les bénéfices attendus de cet accord. En termes de croissance, l’accord permettrait un gain de +0,5% de croissance par an en UE jusqu’en 2017 (+0,4%/an aux USA), soit une création de richesse de 86 milliards d’euros/an en UE (65 milliards euros aux USA). Concernant l’emploi, 400'000 emplois pourraient être créés en UE. Enfin, les échanges commerciaux entre les deux rives de l’Atlantique devraient augmenter de +7% du fait uniquement de cet accord. 

L'accord porterait sur la diminution des droits de douanes, ainsi que sur la règlementation: 

Pour atteindre ces objectifs, les négociations porteraient sur les barrières tarifaires (droit de douanes) et les barrières non-tarifaires (normes et réglementations). A ce stade il convient de définir brièvement la différence entre ces deux notions de barrières :

  1. L’existence de barrières tarifaires fait que l’exportation des biens et services est moins facile. En effet, un pays qui importe des biens sur lesquels sont appliqués des droits de douanes doit payer plus cher pour importer ce produit. Ensuite, l’importateur doit répercuter ce surcoût auprès du consommateur, rendant ainsi l’achat de ce produit moins attractif. 
  2. Les barrières non-tarifaires renvoient à la réglementation appliquées sur les produits ou services, mais aussi concernant les procédures administratives. Généralement, la justification de ces barrières non-tarifaires est liée à des aspects sanitaires, de pollution ou de processus de production  A ce titre il est possible d’interdire ou limiter certaines importations (ex : bœuf aux hormones US ou produits laitiers UE). Notons cependant que parfois la raison d’être de ces réglementations non-tarifaires ne sont pas fondées sur des considérations sanitaires ou de pollution, mais sont tout simplement du protectionnisme déguisé pour avantager les productions nationales au détriment des produits étrangers. 

Au final, la diminution de ces différentes barrières permettrait les gains économiques présentés précédemment grâce à la diminution des coûts et des délais dans les échanges tout en préservant un haut niveau de sécurité alimentaire, sanitaire, et plus largement de protection du consommateur dans son environnement.

Il y a peu de marge de manœuvre concernant les droits de douanes:

Concernant les barrières tarifaires les marges de négociations et les baisses possibles sont faibles car les niveaux de droit de douanes entre les deux zones sont déjà bas. En effet, on estime que les barrières tarifaires appliquées sont comprises entre 2% et 3% en moyenne. Ces niveaux cachent néanmoins des disparités notables, notamment sur les produits agricoles (13% en UE contre les importations US, et 7% aux USA contre les importations UE). Les produits les plus fortement taxés sont les viandes et les produits laitiers. C’est sur ces produits agricoles que les négociations seront les plus âpres. Les deux zones cherchent ainsi à protéger leurs agricultures respectives. De plus, les secteurs agricoles sont des secteurs fortement subventionnés de part et d’autre de l’atlantique.  La mise en concurrence directe de tous ces produits serait une évolution significative.

Les aspects non-tarifaires constituent la principale variable fondamentale de l'accord:

Toutefois, même si la baisse des droits de douanes est un enjeu important, l’enjeu majeur réside dans les aspects non-tarifaires via l’harmonisation des normes et des réglementations. Actuellement, le poids des réglementations et des normes techniques représente dans certains secteurs l’équivalent de droits de douanes compris entre 10% et 20%, ce qui bride fortement les possibilités d’échanges commerciaux (ex : les transports). Dès lors, pour diminuer les entraves au commerce, il faudra repenser le cadre normatif et organiser une convergence et/ou une harmonisation des règlements. Typiquement, l’Europe devra revoir sa législation concernant les importations de bœufs aux hormones ou encore des produits OGM. Inversement, les Etats-Unis devront revoir les limitations aux importations concernant les produits laitiers. Egalement, les USA devraient adapter la réglementation en termes d’accès aux marchés publics car de fortes restrictions aux marchés publics existent, empêchant de fait des entreprises européennes de répondre à des appels d’offres dans les secteurs énergétiques, aéronautiques ou encore dans les transports. A titre d’exemple, précisons que les USA n’ont pas de TGV malgré un territoire immense car la technologie est française.   

La conclusion d'un accord sera confrontée à des difficultés politiques et de gouvernance:

Tous ces aspects vont être confrontés à une réalité politique complexe. A supposer qu’aucun autre élément ne vienne compliquer les négociations comme un éclatement de la Zone Euro, ou pire, de l’Union Européenne, il faudra composer avec les intérêts nationaux des différents pays composant l’UE, alors que les USA n'auront pas à trouver ce consensus préalable. En effet, avant d’arriver à la table des négociations, les Etats-Unis doivent faire émerger un consensus national au sein des populations et des différentes communautés d’intérêts. Concernant l’UE, la tâche est doublement plus compliquée. Il faut à la fois faire émerger un consensus national au sein des 27 pays composants l'UE, et ensuite trouver une position commune permettant de concilier ces 27 consensus nationaux. Il y a donc une complexité supplémentaire non-négligeable avec tous les intérêts particuliers nationaux qui peuvent se manifester et qui peuvent potentiellement bloquer les négociations.

L'accord risque d'être déséquilibré en faveur des Etats-Unis: 

Après avoir vu les bénéfices escomptés de cet accord de libre-échange, ainsi que les enjeux qui lui sont liés, et le contexte dans lequel il devra se négocier, il convient de s’interroger sur l’opportunité d’un tel accord. En effet, si l’analyse en termes de commerce international au sens strict semble déboucher sur un accord gagnant-gagnant, il semble néanmoins que l’intégration à l'analyse des aspects (1) monétaires rend l’intérêt pour l’UE moins évident, même si les aspects (2) géoéconomiques risquent toutefois d’amener l’UE à accepter un accord rendu déséquilibré:

  1. Sur le plan monétaire, les deux monnaies principales qui vont être concernées par cet accord seront l’Euro et le Dollar américain car c’est avec ces monnaies que l’essentiel des échanges commerciaux se dérouleront (l’autre partie s’effectuera avec la Livre Sterling et quelques monnaies périphériques). Ces deux monnaies sont dites « flexibles » et peuvent donc fluctuer à la baisse ou à la hausse. Toutefois, les banques centrales qui régissent ces deux monnaies n’ont pas les mêmes pouvoirs étant donné leurs statuts. Dès lors, la Banque Centrale Européenne ne peut pas agir sur la valeur de l’Euro alors que la Banque Centrale Américaine peut faire diminuer la valeur du Dollar, rendant ainsi les exportations américaines moins chères et donc plus compétitives. Pratiquement, cela veut dire que si les droits de douanes diminuent de 10% mais que dans le même temps le Dollar perd 10% de sa valeur, le bénéfice pour l’UE est nul, alors que les USA bénéficient des 10% de baisse des droits de douanes pour exporter et ainsi pénétrer le marché européen d’autant plus facilement que leurs exportations seront rendues plus compétitives.
  2. Sur le plan géoéconomique (croisement entre géopolitique et économie), l’UE va se trouver dans une situation inconfortable. Sur un plan purement quantitatif l’UE se trouve dans une situation de force apparente avec une population et un PIB supérieurs aux USA. Cependant, l’UE ne correspond pas à un tout homogène, il existe de fortes disparités internes et un rapport de force politique en sa défaveur. Le résultat est que si l’Europe est appelée à rester une puissance mondiale, ce n’est pas vrai pour les pays qui la composent : aujourd’hui trois pays de l’UE font partie des sept économies les plus riches du monde ; il n’y en aura plus que deux dans 10 ans ; seule l’Allemagne restera en 2030 et aucun en 2050. Dès lors, le seul moyen pour espérer exister dans un monde globalisé passe par la conclusion d’accords au niveau européen. De plus, les USA développent en parallèle des accords commerciaux  de libre-échange avec plusieurs pays d’Asie. Si l’UE veut bénéficier autant que faire se peut des accords qui se nouent en Asie, il faudra en passer par cet accord avec les USA. Enfin, refuser cet accord reviendrait pour l'UE à renoncer à un des derniers leviers de croissance potentiel pour faire face au basculement économique du monde.   

Conclusion:

Par conséquent, même si il ne faut pas présumer de ce que cet accord donnera en pratique dans l’éventualité qu’il existe un jour, on peut légitimement douter de l’intérêt mutuel d’un tel accord. Si l’intérêt pour les USA semble évident dans tous les cas de figures, l’intérêt pour l’UE est moins clair du fait de l’impossibilité de politique de taux de change. Cependant, l’UE sera probablement amenée à ratifier ce « Partenariat Transaltantique sur le Commerce et les Investissements », étant donné la position de l’Europe face à la montée de la Chine, du développement d’autres accords de libre-échange transpacifique, ainsi que de la perte d’influence programmée des pays formant la zone euro dans les années à venir. Enfin, en termes de calendrier, il apparaît que les USA vont pousser à la ratification rapide de cet accord, pendant que l’UE mettra plus de temps du fait de la complexité de l’émergence d’un consensus en son sein.  

Citation

Sylvain Fontan, “Accord de libre-échange entre USA et Union Européenne : Opportunité ou Piège?”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 22/04/2013.