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Les considérations socio-économiques sous-jacentes des manifestations au Brésil

10 juillet 2013

Le Brésil connait depuis plusieurs semaines des manifestations de grande ampleur dans plusieurs villes importantes du pays. Les manifestations sont nées suite à l'augmentation du prix des transports publics qui s'ajoute à la vie chère, alors que, parallèlement, les dépenses engagées par le pays pour préparer la coupe du monde de football en 2014 et les jeux Olympiques de 2016, paraissent disproportionnées. Le décalage entre la hausse des prix pour la population et les dépenses qui apparaissent comme non prioritaires ont fait émerger le mécontentement. De plus, il convient d'amener des éléments de contexte en précisant que le pays fait face à un fort ralentissement de la croissance, combiné à une inflation élevée et à une corruption qui gangrène la société. Le gouvernement a été dépassé par un mouvement non politisé et imprévu qui souligne en réalité une évolution sociale et économique profonde du pays.

Evolution de la croissance du PIB au Brésil depuis 2003

 

10 années de succès économiques

Les années 2000 correspondent à un rattrapage économique significatif du Brésil qui est devenu la sixième puissance économique mondiale, juste derrière la France. Le pays a bénéficié de taux de croissance économique très élevés avec un pic à +7,5% en 2010. La richesse moyenne par habitant a connu une augmentation très importante passant de 7'500 dollars en 2003 à 12'000 dollars en 2011, soit +60%. L'enrichissement du pays a permis de développer des politiques pour lutter contre les inégalités dans un des pays les plus inégalitaires du monde.

La politique de lutte contre les inégalités la plus connue s'intitule "Bolsa familia" et prévoit le transfert de revenus aux familles les plus pauvres (sous condition de scolarisation et de suivi médical des enfants), le minimum vieillesse, l'assurance médicale universelle pour les soins de base, ainsi qu'un programme de rachat et de redistribution des terres agricoles. Grâce à ces politiques, près de 40 millions de personnes ont pu sortir de la pauvreté et venir abonder une classe moyenne émergente qui représente maintenant près de 50% de la population d'un pays qui compte 195 millions d'habitants.

Apparition d'une situation économique nouvelle et moins propice

Le pays connait un fort ralentissement de sa croissance économique qui s'élève à +0,9% en 2012. Les brésiliens parlent de "Pibinho", autrement dit un "PIB ridiculement bas" en portugais. L'année 2011 a été à peine meilleure en terme de croissance économique et l'année 2013 s'annonce inférieure aux prévisions. Il semble donc que le ralentissement de la croissance ne soit pas conjoncturel (court terme) mais souligne en réalité le début d'une période plus compliquée. Le problème d'un PIB aussi faible pour un pays tel que le Brésil, après plusieurs années de croissance économique élevée, est qu'il est inférieur à l'augmentation de la population. Dès lors, les transferts de richesses ne peuvent plus s'effectuer comme auparavant. En effet, un ralentissement de la croissance signifie de fait une diminution des rentrées fiscales et il devient de plus en plus compliqué d'arbitrer entre les dépenses pour continuer le rattrapage social et économique.

En parallèle du ralentissement de la croissance économique, le pays fait face à une inflation élevée à +6,5% sur un an en 2012, c'est-à-dire supérieure au seuil critique fixé par le gouvernement. L'inflation atteint même +13% sur les denrées alimentaires et plus de 200% sur les tomates. Les autorités gouvernementales veulent absolument éviter un retour de l'hyper inflation qui oscillait entre +30% et +40% par mois au début des années 1990. Dès lors, le gouvernement a décidé d'augmenter les taux d'intérêts (via la hausse des taux directeurs de la banque centrale), au risque de ralentir encore plus l'activité. Ainsi, le Brésil fait exactement l'inverse des autres grandes économies mondiales car, ce faisant, il va resserrer la consommation qui diminue déjà alors qu'elle demeure le principal moteur de la croissance brésilienne. Dans ce cadre, et même si l'augmentation du prix des transports était relativement modeste en soit, elle vient s'ajouter à un poste de consommation qui peut représenter un tiers des revenus d'une population qui doit nécessairement emprunter les transports en commun pour aller étudier ou travailler. De plus, le Brésil souffre d'un manque chronique d'investissements, et notamment dans les transports publics. Ainsi, augmenter le prix d'un service qui ne donne pas satisfaction a été l'étincelle qui a fait émerger les manifestations.

La faiblesse structurelle majeure du Brésil est son extrême dépendance aux matières premières, notamment minières et agricoles. En effet, le pays est un des premiers producteurs minier et agricole mondial et 50% de ses exportations sont liées à ces produits. Or, la chute des cours mondiaux vient accentuer le manque de recettes tirées des exportations des matières premières. Ajouté au manque de compétitivité industrielle (hausse du coût du travail de +150% depuis 2004), le pays voit ses excédents extérieurs irrémédiablement diminuer. La politique monétaire restrictive (taux d'intérêts les plus élevés parmi les pays émergents) vient à son tour peser sur les investissements et la consommation, et la devise nationale (le Real) s'apprécie (hausse de la valeur), rendant les exportations encore moins compétitives.

Réponses politiques probablement en-dessous des enjeux

Face à ces manifestations, la présidente du Brésil, Dilma Roussef, a annoncé un certain nombre de mesures censées pouvoir calmer la contestation:

  • Le déblocage de 18,5 milliards d'euros pour améliorer les transports publics dont la mauvaise qualité et la hausse des tarifs étaient à l'origine des manifestations. Or, il convient ici de rappeler que le Brésil est un Etat fédéral et que les budgets de transports sont gérés par les Etats fédéraux et certains ont déjà fait savoir qu'ils ne reviendront pas sur la hausse des tarifs.
  • La construction de plusieurs lignes de métro mais sans détailler l'ampleur, ni les villes bénéficiaires. Aussi, ce genre de développement d'infrastructures prendra nécessairement plusieurs années avant de fournir ses effets bénéfiques.
  • Le reversement de 100% de la manne pétrolière (le Brésil a récemment découvert plusieurs gisements pétroliers off-shore) en faveur de l'éducation. Or, cette mesure contient un aspect hautement populiste et qui sera très probablement abandonnée, au moins en partie, une fois confrontée à l'allocation réelle des fonds.
  • La mise en place d'un référendum pour définir un nouveau mode de financement des campagnes politiques et une refonte du système électoral. En effet, un des vecteurs de mécontentement était également la dénonciation d'une élite politique corrompue et incapable de répondre aux attentes de la population. Toutefois, il faudra attendre la proposition exacte du référendum et les résultats qui en sortiront pour savoir si l'impact pourra s'avérer salvateur.
  • Enfin, la présidente a promis de lutter contre la corruption, notamment en alourdissant les peines concernant le versement de pots de vins, car le sentiment de corruption des élites ne cesse de progresser au sein de la population. Toutefois, cette promesse s'annonce déjà comme la plus importante mais aussi la plus difficile à tenir dans un pays classé au 69ème rang mondial au niveau de la corruption.

Citation

Sylvain Fontan, “Les considérations socio-économiques sous-jacentes des manifestations au Brésil”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 10/07/2013.