"Un économiste est quelqu'un qui voit fonctionner les choses en pratique et se demande si elles pourraient fonctionner en théorie" - Stephen M. GOLDFELD
"Un peuple est pacifique aussi longtemps qu'il se croit assez riche et redouté pour installer sournoisement sa dictature économique" - Georges BERNANOS
"Il serait un mauvais économiste celui qui ne serait qu’économiste" - Friedrich HAYEK
"Vous ne pouvez pas taxer les gens quand ils gagnent de l'argent, quand ils en dépensent, et quand ils épargnent" - Maurice ALLAIS
"Un Economiste peut commettre deux erreurs, la première consiste à ne pas calculer et la seconde à croire en ce qu’il a calculé" - Michal KALECKI
"La politique n'agit sur l'économie que si elle ne prétend pas le faire " - Jacques ATTALI
"Si vous m'avez compris c'est que je me suis mal exprimé" - Alan GREENSPAN
"Une société qui ne reconnaît pas que chaque individu à des valeurs qui lui sont propres qu'il est autorisé à suivre, ne peut pas avoir de respect pour la dignité de l'individu et ne peut réellement connaître la liberté" - Friedrich HAYEK
"Je parle de l’esprit du commerce qui s’empare tôt ou tard de chaque nation et qui est incompatible avec la guerre" - Emmanuel KANT
"On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment " - Cardinal de REITZ
9 juillet 2013
L'Egypte vient de connaître un coup d'Etat militaire soutenu par une partie de la population. Le président, Mohamed Morsi, démocratiquement élu en juin 2012, a été démis de ses fonctions et une période d'incertitude débute. Mohamed Morsi était issu d'un mouvement appelé les "frères musulmans", un parti politique dont le slogan jusqu'à récemment était "La Charia est la solution". La population s'est laissée séduire par des propositions qui se sont très rapidement avérées délétères pour l'économie. L'incompétence économique des dirigeants, leur pratique du pouvoir visant à noyauter les institutions politiques du pays, et la montée de l'insécurité ont poussé la population à descendre dans la rue. Dans ce contexte, il convient d'analyser les fondements économiques de la crise politique actuelle. En effet, la situation économique insoutenable dans laquelle se trouve plongé le pays explique en grande partie pourquoi les répercussions sociales et politiques sont à la hauteur de cette insoutenabilité.
Forte et rapide dégradation économique
La situation économique était déjà détériorée avant l'arrivée des Frères Musulmans au pouvoir. Toutefois, force est de constater que la situation s'est fortement aggravée depuis leur accession au pouvoir. Pour résumer la situation, l'inflation a explosé, les déficits (intérieurs et extérieurs), l'endettement et le chômage se sont accrus, et le pays est maintenant fortement dépendant de l'aide financière internationale.
Un des éléments les plus préoccupants est le niveau extrêmement bas des réserves de changes qui permettent à la fois d'importer ce dont le pays a besoin, mais aussi de rembourser la dette. Les réserves de change du pays sont maintenant inférieures à 15 milliards de dollars et n'assurent plus que trois mois d'importations de biens et de services, alors qu'avant l'arrivée des islamistes ce montant permettait de couvrir plus de trois trimestres. En effet, les sources de recettes se sont taries pendant que parallèlement les importations se sont accrues :
Au niveau intérieur, le déficit public a explosé et s'élève à 10% du PIB en 2011 et de 11% en 2012. Dès lors, l'endettement s'est mécaniquement creusé et atteint plus de 80% du PIB. Dans ces conditions, la note souveraine de l'Egypte qui fixe les conditions dans lesquels le pays peut emprunter sur les marchés pour se financer, a été dégradée. La dette égyptienne est maintenant considérée comme spéculative tant les risques de défaut sont élevés.
Une des raisons de l'explosion du déficit public est la politique de subvention des produits alimentaires et énergétiques accordées aux ménages et aux entreprises (acier, ciment, engrais...). En plus de creuser le déficit public, ces politiques de subventions archaïques entraînent le gaspillage de ressources rares et importées, incite le marché noir et crée un phénomène de pénurie. De plus, elles aboutissent à une mauvaise allocation des ressources et ont des effets distributifs inverses où en réalité, les premiers bénéficiaires sont les plus aisés et non les plus pauvres.
Au final, le pays doit faire face à une situation économique extrêmement dégradée :
Dépendance extérieure forte
L'Egypte est maintenant très dépendante des financements étrangers pour assurer sa survie. Le pays a entamé des négociations avec le FMI (Fonds Monétaire Internationale) afin de bénéficier d'une enveloppe de 4,8 milliards de dollars. Mais les négociations trainent en longueur car les frères musulmans n'acceptaient pas de conditionner cette aide à une baisse des subventions des carburants par exemple. Sur le plan politique, cela aurait été très impopulaire car perçu comme le fait de céder à l'Occident et à "l'impérialisme" américain. L'Union Européenne a consenti une aide de 6,5 milliards d'euros mais une fois versée cette somme a disparu et n'a probablement pas été utilisée comme il se doit. L'Egypte a également fait appel aux pays du Golfe, et notamment le Qatar. Tout comme l'Europe ces pays n'ont pas conditionné cette aide mais cette dernière s'est réalisée sous forme de dépôts qui peuvent être retirés à tout moment, procurant ainsi aux pays la possibilité d'ingérence sur les affaires et les finances de l'Egypte.
Importance de l'armée
L'armée égyptienne est intervenue pour mettre fin au mandat de Mohamed Morsi. Plusieurs raisons sont à l'origine de l'intervention de l'armée. Tout d'abord, une large partie de la population semblait le demander. Ensuite, l'armée a les moyens matériels, physiques et financiers de réaliser un coup d'Etat. Egalement, c'est probablement l'institution la plus stable du pays, et ce depuis 1952 et l'avènement des "officiers libres" avec l'arrivée au pouvoir de Nasser.
Toutefois, il convient également de rappeler un élément qui a probablement pesé dans l'intervention de l'armée. Le secteur militaire, au sens large, constitue un tiers de l'économie nationale. Elle est également richement dotée, ne serait-ce que par l'intermédiaire des Etats-Unis qui lui verse annuellement 1,3 milliards de dollars de dotations. Les militaires hauts gradés sont maintenant très impliqués dans le monde des affaires à tout niveau (tourisme, entreprises publiques, énergie, etc). Dès lors l'effondrement économique du pays touche directement leurs intérêts. Dans ce contexte, l'intervention de l'armée peut également être considérée comme une manière de protéger les intérêts de l'armée au sens large, ainsi que les intérêts particuliers des dirigeants de cette dernière.
Enjeux et risques
Plusieurs scénarii peuvent dorénavant être envisagés. Tout d'abord, une situation qui évoluerait vers une guerre civile. Toutefois il semble que l'armée soit intervenue en partie pour éviter cette perspective, et il est probable qu'elle fasse tout pour que ce type d'évènement ne se réalise pas car l'aspect déstabilisateur du pays et de la région serait très important. Ensuite, un autre scénario serait la prise de pouvoir directe par les militaires. Cependant, il semble que ce ne soit pas leur intention, à fortiori après leur récente (2011) expérience malheureuse sur le plan économique. Enfin, la troisième solution, et probablement la plus souhaitable, est que le processus de transition démocratique poursuive son cours et que la loi électorale, ainsi que la constitution soit modifiées afin de déboucher sur de nouvelles élections.
Toutefois, en étant écarté prématurément du pouvoir, les islamistes pourraient se prévaloir que la situation économique n'est pas de leur fait et ainsi promettre à nouveau des lendemains meilleurs et la population se laisser de nouveau convaincre. Une coalition est également envisageable mais étant donné l'aspect très religieux de plusieurs partis politiques, il est peu probable que la coalition puisse aboutir sur une architecture cohérente et efficace.
En tout état de cause, les problèmes auxquels le futur pouvoir devra faire face s'annoncent déjà comme très compliqués. En effet, il devra composer avec une situation politique qui sera nécessairement encore instable alors qu'il devra mettre en place des mesures économiques forcément douloureuses et impopulaires et qui devraient s'inscrire dans le long terme. Dans ce cadre, il est possible de douter de la pérennité d'un pouvoir qui serait placé face à une telle équation.
Sur le plan économique et de façon pratique, le futur gouvernement, quel qu'il soit, devra composer avec les problèmes suivants:
Citation
Sylvain Fontan, “Les origines économiques de la crise politique en Egypte”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 09/07/2013.