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Les origines économiques de la crise politique en Egypte

9 juillet 2013

L'Egypte vient de connaître un coup d'Etat militaire soutenu par une partie de la population. Le président, Mohamed Morsi, démocratiquement élu en juin 2012, a été démis de ses fonctions et une période d'incertitude débute. Mohamed Morsi était issu d'un mouvement appelé les "frères musulmans", un parti politique dont le slogan jusqu'à récemment était "La Charia est la solution". La population s'est laissée séduire par des propositions qui se sont très rapidement avérées délétères pour l'économie. L'incompétence économique des dirigeants, leur pratique du pouvoir visant à noyauter les institutions politiques du pays, et la montée de l'insécurité ont poussé la population à descendre dans la rue. Dans ce contexte, il convient d'analyser les fondements économiques de la crise politique actuelle. En effet, la situation économique insoutenable dans laquelle se trouve plongé le pays explique en grande partie pourquoi les répercussions sociales et politiques sont à la hauteur de cette insoutenabilité.

Variation annuelle du PIB de l'Egypte depuis 2003

 

Forte et rapide dégradation économique

La situation économique était déjà détériorée avant l'arrivée des Frères Musulmans au pouvoir. Toutefois, force est de constater que la situation s'est fortement aggravée depuis leur accession au pouvoir. Pour résumer la situation, l'inflation a explosé, les déficits (intérieurs et extérieurs), l'endettement et le chômage se sont accrus, et le pays est maintenant fortement dépendant de l'aide financière internationale.

Un des éléments les plus préoccupants est le niveau extrêmement bas des réserves de changes qui permettent à la fois d'importer ce dont le pays a besoin, mais aussi de rembourser la dette. Les réserves de change du pays sont maintenant inférieures à 15 milliards de dollars et n'assurent plus que trois mois d'importations de biens et de services, alors qu'avant l'arrivée des islamistes ce montant permettait de couvrir plus de trois trimestres. En effet, les sources de recettes se sont taries pendant que parallèlement les importations se sont accrues :

  • Du côté des recettes, le tourisme a baissé significativement du fait de l'instabilité politique et l'insécurité grandissante dans le pays. Le nombre de touristes est ainsi passé de 14 millions en 2010 à 11,5 millions en 2012, soit une diminution de -22%, dans un pays qui tire habituellement 45% de ses ressources d'exportation de ce secteur, et 15% de la richesse nationale. Dans le même temps, les recettes tirées du passage par le Canal de Suez se sont également restreintes, et les transferts financiers des migrants (diaspora égyptienne) tendent à diminuer sous l'effet de la crise globale.
  • Parallèlement, les importations ont continué à augmenter, notamment dans les domaines alimentaires et énergétiques. En effet, le pays est le premier consommateur mondial de céréales et il importe énormément de farines, de produits laitiers et de viande. Dans le même temps, et malgré le fait que le pays soit un producteur de gaz, sa consommation énergétique est telle que le pays est devenu un importateur énergétique net (importations supérieures aux exportations). Le poids des importations est rendu d'autant plus important que la monnaie nationale (la Livre égyptienne) a perdu 12% de sa valeur depuis l'arrivée au pouvoir des islamistes sous l'effet notamment de la politique monétaire mise en place. Au final, le déficit de la balance des paiements s'est creusée pour atteindre -10 milliards de dollars en 2011 et -11 milliards de dollars en 2012.

Au niveau intérieur, le déficit public a explosé et s'élève à 10% du PIB en 2011 et de 11% en 2012. Dès lors, l'endettement s'est mécaniquement creusé et atteint plus de 80% du PIB. Dans ces conditions, la note souveraine de l'Egypte qui fixe les conditions dans lesquels le pays peut emprunter sur les marchés pour se financer, a été dégradée. La dette égyptienne est maintenant considérée comme spéculative tant les risques de défaut sont élevés.

Une des raisons de l'explosion du déficit public est la politique de subvention  des produits alimentaires et énergétiques accordées aux ménages et aux entreprises (acier, ciment, engrais...). En plus de creuser le déficit public, ces politiques de subventions archaïques entraînent le gaspillage de ressources rares et importées, incite le marché noir et crée un phénomène de pénurie. De plus, elles aboutissent à une mauvaise allocation des ressources et ont des effets distributifs inverses où en réalité, les premiers bénéficiaires sont les plus aisés et non les plus pauvres.

Au final, le pays doit faire face à une situation économique extrêmement dégradée :

  • une hausse des prix (inflation) très importante, supérieure à +9% en 2012, et probablement proche de +13% en 2013, alors que parallèlement les revenus ont diminué en moyenne de -11%. Par conséquent, les effets pratiques et quotidiens sur le pouvoir d'achat sont très marqués et touchent une population dont 25% se trouve sous le seuil de pauvreté.
  • Contrairement aux chiffres officiels, le chômage réel s'approche probablement des 20%, et plus de 45% pour les jeunes âgés de moins de 25 ans.
  • Les investisseurs internationaux fuient le pays. Alors que le pays accueillait en moyenne près de 5 milliards de dollars par an d'investissements étrangers au cours des années 2000, avec des pointes à plus de 10 milliards de dollars, le pays doit se contenter de 1,5 milliards en 2012. Par conséquent, le développement du pays et la croissance potentielle de ce dernier sont fortement compromis.

Dépendance extérieure forte

L'Egypte est maintenant très dépendante des financements étrangers pour assurer sa survie. Le pays a entamé des négociations avec le FMI (Fonds Monétaire Internationale) afin de bénéficier d'une enveloppe de 4,8 milliards de dollars. Mais les négociations trainent en longueur car les frères musulmans n'acceptaient pas de conditionner cette aide à une baisse des subventions des carburants par exemple. Sur le plan politique, cela aurait été très impopulaire car perçu comme le fait de céder à l'Occident et à "l'impérialisme" américain. L'Union Européenne a consenti une aide de 6,5 milliards d'euros mais une fois versée cette somme a disparu et n'a probablement pas été utilisée comme il se doit. L'Egypte a également fait appel aux pays du Golfe, et notamment le Qatar. Tout comme l'Europe ces pays n'ont pas conditionné cette aide mais cette dernière s'est réalisée sous forme de dépôts qui peuvent être retirés à tout moment, procurant ainsi aux pays la possibilité d'ingérence sur les affaires et les finances de l'Egypte.

Importance de l'armée

L'armée égyptienne est intervenue pour mettre fin au mandat de Mohamed Morsi. Plusieurs raisons sont à l'origine de l'intervention de l'armée. Tout d'abord, une large partie de la population semblait le demander. Ensuite, l'armée a les moyens matériels, physiques et financiers de réaliser un coup d'Etat. Egalement, c'est  probablement l'institution la plus stable du pays, et ce depuis 1952 et l'avènement des "officiers libres" avec l'arrivée au pouvoir de Nasser.

Toutefois, il convient également de rappeler un élément qui a probablement pesé dans l'intervention de l'armée. Le secteur militaire, au sens large, constitue un tiers de l'économie nationale. Elle est également richement dotée, ne serait-ce que par l'intermédiaire des Etats-Unis qui lui verse annuellement 1,3 milliards de dollars de dotations. Les militaires hauts gradés sont maintenant très impliqués dans le monde des affaires à tout niveau (tourisme, entreprises publiques, énergie, etc). Dès lors l'effondrement économique du pays touche directement leurs intérêts. Dans ce contexte, l'intervention de l'armée peut également être considérée comme une manière de protéger les intérêts de l'armée au sens large, ainsi que les intérêts particuliers des dirigeants de cette dernière.

Enjeux et risques

Plusieurs scénarii peuvent dorénavant être envisagés. Tout d'abord, une situation qui évoluerait vers une guerre civile. Toutefois il semble que l'armée soit intervenue en partie pour éviter cette perspective, et il est probable qu'elle fasse tout pour que ce type d'évènement ne se réalise pas car l'aspect déstabilisateur du pays et de la région serait très important. Ensuite, un autre scénario serait la prise de pouvoir directe par les militaires. Cependant, il semble que ce ne soit pas leur intention, à fortiori après leur récente (2011) expérience malheureuse sur le plan économique. Enfin, la troisième solution, et probablement la plus souhaitable, est que le processus de transition démocratique poursuive son cours et que la loi électorale, ainsi que la constitution soit modifiées afin de déboucher sur de nouvelles élections.

Toutefois, en étant écarté prématurément du pouvoir, les islamistes pourraient se prévaloir que la situation économique n'est pas de leur fait et ainsi promettre à nouveau des lendemains meilleurs et la population se laisser de nouveau convaincre. Une coalition est également envisageable mais étant donné l'aspect très religieux de plusieurs partis politiques, il est peu probable que la coalition puisse aboutir sur une architecture cohérente et efficace.

En tout état de cause, les problèmes auxquels le futur pouvoir devra faire face s'annoncent déjà comme très compliqués. En effet, il devra composer avec une situation politique qui sera nécessairement encore instable alors qu'il devra mettre en place des mesures économiques forcément douloureuses et impopulaires et qui devraient s'inscrire dans le long terme. Dans ce cadre, il est possible de douter de la pérennité d'un pouvoir qui serait placé face à une telle équation.

Sur le plan économique et de façon pratique, le futur gouvernement, quel qu'il soit, devra composer avec les problèmes suivants:

  • remettre au travail une population qui se trouve pour le moment dans la rue et qui semble ne pas l'avoir quittée depuis plus de deux ans maintenant ;
  • créer les conditions d'une possible réconciliation entre les différentes parties et composantes politiques du pays ;
  • permettre d'attirer de nouveaux capitaux étrangers qui se sont détournés de l'Egypte depuis la révolution ;
  • faire revenir les touristes des pays développés et inciter ceux des pays émergents, et notamment asiatiques à venir en Egypte ;
  • résoudre les problèmes liés au système de santé et éducatifs ;
  • amoindrir les effets de la religion sur la vie économique ;
  • combattre une pauvreté grandissante ;
  • Une des conditions pour réussir tout cela est le maintien de la sécurité dans un pays où l'insécurité grandit jour après jour. L'aspect le plus inquiétant de cette insécurité est probablement le traitement fait aux femmes qui se traduit notamment par la tolérance et la banalisation des viols collectifs de femmes dans la société égyptienne, notamment à l'occasion des manifestations.

Citation

Sylvain Fontan, “Les origines économiques de la crise politique en Egypte”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 09/07/2013.