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"Il est appréciable que le peuple de cette nation ne comprenne rien au système bancaire et monétaire. Car si tel était le cas, je pense que nous serions confrontés à une révolution avant demain matin. " - Henry FORD

"Une démocratie peut se rétablir rapidement d'un désastre matériel ou économique, mais quand ses convictions morales faiblissent, il devient facile pour les démagogues et les charlatans de prêcher. Alors tyrannie et oppression passent à l'ordre du jour" - James William FULLBRIGH

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Géopolitique des collectivités locales

7 février 2022

Il y a une géopolitique des collectivités locales (communes, départements, régions), dont la plupart sont des héritages de l’histoire et ont une signification précise pour les habitants. La géopolitique est aussi l’étude des représentations et de la façon dont le territoire est perçu et vécu par les populations ; une perception essentielle, tout aussi importante que la rationalisation de leur usage. Suite à l’article sur la France périphérique, un lecteur me demandait ce que je pensais du regroupement des périphéries dans les métropoles. Étant élu depuis 2008 dans une commune des Yvelines (Montesson), j’ai vécu ce phénomène de l’intérieur. Les idées et réflexions émises ici n’engagent que ma personne, nullement celle de ma commune. Par Jean-Baptiste Noé, IdL.

Géop collectivité

 

Un regroupement imposé

Premier élément, le regroupement des communes en communauté de communes puis en communauté d’agglomérations fut une chose imposée par l’État. Beaucoup de communes s’y sont opposées, en vain. À l’origine du phénomène, il y a donc une coercition et une négation des libertés locales.

 

Les communautés de communes (CC) sont des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Les EPCI ont une fiscalité propre. Leurs compétences sont définies lors de leur création. Par exemple, certaines CC ont une intégration forte (beaucoup de compétences mises en commun : gestion des théâtres, des bibliothèques, du ramassage des ordures…), d’autres une intégration faible (peu de compétences mises en commun).

L’origine des EPCI remonte à une loi du 6 février 1992, qui a été plusieurs fois modifiée, jusqu’à la loi du 7 août 2015, dite loi Notre : nouvelle organisation territoriale de la République.

 

Les communautés d’agglomération (CA) sont également des EPCI, mais dont le degré d’intégration est plus poussé que dans les CC. Elles doivent comporter au minimum 50 000 habitants.

Un conseil communautaire préside les CC et les CA. Les membres sont des conseillers municipaux nommés par le maire. Chaque conseil communautaire dispose d’un président et de vice-présidents.

 

Un petit souci démocratique…

Dans les faits, ces EPCI se substituent aux communes. Ils ont de plus en plus de compétences et agissent dans des domaines essentiels : gestion des ordures ménagères, aménagement du territoire, contrats pour la distribution de l’eau courante, vie culturelle… Les communes sont dépossédées de leurs prérogatives au profit de ces EPCI. Dans quelques années, les communes n’auront plus beaucoup de compétences : mariage, police municipale (au pouvoir très limité), vie associative et culturelle. D’autant moins de pouvoir qu’elles ont de moins en moins de ressources.

Pourquoi pas, je ne suis nullement contre la mise en commun des compétences. Le souci est que la population ignore ces transformations profondes. La figure du maire reste forte, alors que celui-ci est de plus en plus un roi sans royaume. Ce qui est gênant, c’est que la plupart des personnes ignorent tout du fonctionnement des EPCI, de leur rôle, de leurs membres, alors que c’est là que réside le vrai pouvoir local. La démocratie est donc confisquée, et il est urgent d’expliquer cette réorganisation pour que les Français se réajustent sur la réalité du fonctionnement territorial.

 

Fait-on des économies ?

En regroupant les communes, très peu d’économies sont réalisées et parfois même de nouvelles dépenses sont engendrées. Ce ne sont pas les échelons administratifs qui créent de la dépense, ce sont les compétences. Si l’on supprime les communes, en les regroupant, il faut toujours continuer à s’occuper des crèches et des écoles. Idem pour les départements : on peut les supprimer, mais qui prendra alors la charge de la gestion des collèges et la distribution des aides sociales ? C’est dans la suppression des compétences que résident les véritables économies, non dans la suppression des échelons.

On invoque également les économies réalisées grâce à la suppression du nombre d’élus. En réalité, elles sont bien faibles. La plupart des élus ne sont pas rémunérés (c’est le cas de presque tous les élus municipaux), mais ils réalisent un travail important pour leur commune. Si on les supprime, il faudra alors embaucher des fonctionnaires pour les remplacer. Les économies seront donc inexistantes.

Quant à ceux qui sont rémunérés, force est de constater que leur rémunération est très faible. L’indemnité d’un maire d’une ville entre 10 000 et 20 000 habitant est de 2 400€ par mois. Pour un travail à plein temps, y compris soir nuit et week-end, qui nécessite de très fortes compétences en urbanisme, droit, finance et relations humaines, ce n’est absolument pas cher payé. Un adjoint de la même tranche gagne 1 045€. Là aussi, c’est très peu pour un travail aussi exigeant.

Or la démocratie a un coût. Si l’on veut des élus compétents et dévoués, il faut les payer à leur juste prix. On ne peut pas exiger de quelqu’un un travail de cadre supérieur et le rémunérer à hauteur d’un fonctionnaire de catégorie B. Les cadres d’une mairie sont d’ailleurs souvent mieux rémunérés que le maire.

On pourrait éventuellement avoir moins d’élus, mais mieux les payer, ce qui serait déjà une bonne chose.

 

Trop d’élus en France ?

La France compte 560 000 élus municipaux. Certains trouvent que cela est trop ; je suis loin de partager cet avis. Il me semble que c’est au contraire une très bonne chose que de nombreux citoyens puissent participer à la vie de leur commune, découvrir comment l’on bâtit un budget, comment on gère l’organisation du territoire ou les contraintes administratives. Quand on travaille au sein d’un conseil municipal, on perçoit la vie politique et la gestion des territoires de façon bien différente. Le vote et la citoyenneté prennent alors un tout autre sens. Car c’est d’abord cela l’action politique : gérer un territoire donné. Supprimer des élus, quasiment tous bénévoles, c’est couper un lien existant entre les citoyens et la gestion de leurs territoires. C’est créer une démocratie sans peuple, alors même que le peuple est la raison d’être du système politique démocratique.

 

Démocratie : le peuple et le territoire

La démocratie est certes le pouvoir du peuple (le démos en grec), mais c’est aussi le pouvoir du territoire : le dème. À Athènes, le dème est une circonscription administrative instituée par Clisthène vers 508. Il regroupe une partie de la ville, de la côte et de l’intérieur afin qu’aucun dème ne puisse l’emporter sur les autres (on compte une centaine de dèmes). Ce sont les dèmes qui ont le véritable pouvoir à Athènes, car ce sont dans les dèmes que l’on tire au sort les bouleutes, qui siègent à la boulè, assemblée chargée de définir les lois de la cité.

La démocratie athénienne est donc davantage territoriale que populaire ; elle est plus géographique qu’élective. C’est du territoire qu’émane le pouvoir et l’on connaît les nombreux combats menés tout au long de l’histoire de France pour maintenir et préserver les libertés locales. Or, derrière la rationalité et le démembrement territorial se cache parfois une tentative de supprimer ces libertés locales, c’est-à-dire de créer une politique hors-sol, coupée de la géographie et de l’histoire, donc des peuples.

 

Des remembrements dangereux

La recherche de la rationalité administrative est une bonne chose, à condition qu’elle ne se fasse pas contre des siècles de culture accumulée. 36 000 communes en France, est-ce trop ? En réalité, la plupart n’ont quasiment aucun pouvoir. 20 000 communes ont moins de 500 habitants, 125 ont 50 000 habitants et plus. Ce sont ces 125 communes qui comptent réellement dans le phénomène de métropolisation. La rationalité pourrait supprimer les 20 000 communes de moins de 500 habitants, mais à quoi bon ? Aucune économie sérieuse n’est à attendre de cette simplification et pourquoi éradiquer ces couches d’histoire de France qui ont tracé les sillons des campagnes et dont les noms ont encore des significations pour des milliers de personnes ?

La géopolitique est affaire de territoires, de peuples, de mémoire, de sensibilité et de représentation. Oui à la simplification et au regroupement, mais pas au détriment d’une mémoire collective portée par les territoires ni à des mémoires gravées dans les paysages et les histoires locales. C’est ici que la géographie rejoint l’histoire.

 

Des regroupements irrationnels

L’État a imposé aux communautés de communes de se regrouper au 1er janvier 2017 pour former des communautés d’agglomération. De nombreux regroupements sont irrationnels et ne correspondent à aucune logique territoriale, politique et culturelle. Le dogme du regroupement l’a emporté sur les mémoires locales, sur le bon sens, sur le respect des dessins territoriaux (les cours d’eau, les vallées, les forêts). A ainsi été dessinée une carte de France absurde, dont les entités territoriales ne correspondent à rien. Comme pour la carte des nouvelles régions où l’histoire et la mémoire ont été supprimées au profit de noms dénués de sens : les Hauts-de-France, le Grand Est, la Nouvelle Aquitaine.

La géopolitique n’a pas d’avenir en niant la continuité géographique et la profondeur historique. Ce n’est pas en charcutant la carte territoriale de la France que l’on fera de réelles économies, mais en redessinant les compétences, ce qui est tout autre chose. En réalité, sous couvert de modernisation, on détruit l’ordre séculaire, compris de tous et ancré dans les mémoires communes, pour sauver un ordre administratif inefficace et coûteux qui, lui, a réellement besoin d’une réforme de profondeur.