"Tous les hommes politiques appliquent sans le savoir les recommandations d’économistes souvent morts depuis longtemps et dont ils ignorent le nom " - John Maynard KEYNES
"Une idée fausse mais claire et précise aura toujours plus de puissance dans le monde qu'une idée vraie mais complexe" - Alexis De TOCQUEVILLE
"La productivité est la mesure du progrès technique" - Jean FOURASTIE
"Un peuple est pacifique aussi longtemps qu'il se croit assez riche et redouté pour installer sournoisement sa dictature économique" - Georges BERNANOS
"Dans ce monde complexe où l’information n’a jamais été aussi abondante, nous devons développer l’intelligence économique " - Jean ARTHUIS
"Si la méchanceté des hommes est un argument contre la liberté, elle en est un plus fort encore contre la puissance. Car le despotisme n'est autre chose que la liberté d'un seul ou de quelques-uns contre tous" - Benjamin CONSTANT
"Le socialisme cherche à abattre la richesse, le libéralisme à supprimer la pauvreté " - Winston CHURCHILL
"L'épargne et l'accumulation de biens de capitaux qui en résulte sont au début de chaque tentative d'améliorer les conditions matérielles de l'homme; c'est le fondement de la civilisation humaine" - Ludwig Von MISES
"Il n'y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l'on exerce à l'ombre des lois et avec les couleurs de la justice." - MONTESQUIEU
"La confiance est une institution invisible qui régit le développement économique" - Kenneth ARROW
29 décembre 2021
La mondialisation est un concept que l’on emploie régulièrement, comme une nouveauté, alors même qu’elle est aussi ancienne que le monde. Certes, depuis les années 1980 nous avons connu un accroissement des échanges, une rapidité des flux d’information, une ouverture de plus en plus grande des frontières et des échanges élargis avec l’ensemble des pays du monde. Ce sont là des phénomènes nouveaux, mais qui ne caractérisent pas la mondialisation, phénomène beaucoup plus ancien. L’Empire romain a connu une forme de mondialisation, au sein de son empire et avec l’extérieur : minerais venus d’Espagne, vin de Gaule, verrerie d’Égypte, esclave de Nubie… l’Empire romain est un vaste marché. Au XVIe siècle, c’est une autre mondialisation qui se développe, bien étudiée par Fernand Braudel et sa célèbre thèse sur la Méditerranée au temps de Philippe II. Ensuite, c’est le XVIIIe, avec l’ouverture à l’Inde et aux Amériques, puis le XIXe siècle et la découverte de l’Afrique. Ces ouvertures et ces découvertes sont les conséquences de la mondialisation, mais elles n’en sont pas les ressorts fondamentaux. La mondialisation est marquée par trois caractéristiques : l’échange, la curiosité, le mimétisme. Et elle a trois conséquences : l’ouverture au monde, l’accroissement des richesses, le renforcement des cultures fortes. Nous aborderons cette semaine ses caractéristiques et la semaine prochaine, ses conséquences. Par Jean-Baptiste Noé
L’échange comme lien social et facteur de paix
On doit à Friedrich Hayek (1899-1992) d’avoir placé la notion d’échange au cœur de la réflexion intellectuelle. Pour lui, le terme d’économie est impropre, car il désigne, au sens propre, les règles de la maison, ce qui renvoie à des notions juridiques et ce qui lui paraît trop restreint. Il préfère le terme de catallaxie, qu’il forge à partir du grec katalattein, l’échange. En latin, le terme se traduit par commutatio, d’où la notion de justice commutative. La catallaxie, c’est l’ordre engendré par l’ajustement mutuel de nombreuses économies individuelles sur un marché. L’échange est à la source des relations humaines, d’abord au sein d’une famille, puis dans un village et pour finir avec le monde. L’échange permet de se procurer des produits que l’on est incapable de fabriquer, ou à un coût moindre que ce que l’on pourrait faire. Il est aussi facteur de paix, car il met en relation des personnes qui n’ont aucun intérêt commun, si ce n’est le fait de vouloir mutuellement ce que l’autre possède.
Dans un échange, quelqu’un a avantage à donner et quelqu’un d’autre à recevoir la même chose. Au terme de l’échange, l’avantage de chacun n’est pas diminué, mais augmenté puisque chacun se sépare de ce qui vaut moins à ses yeux et acquiert ce qui vaut plus. Avant et après l’échange, la quantité de bien demeure la même, mais les personnes qui ont participé à l’échange se trouvent enrichies après celui-ci et du seul fait de celui-ci. Chacun s’est séparé de ce qui, à ses yeux, a moins de valeur, pour recevoir ce qui à ses yeux en a plus. Le bien échangé n’a pas la même valeur aux yeux de celui qui donne et de celui qui reçoit.
Il y a donc un différentiel de valeur. Or, c’est parce que l’on n’a pas les mêmes idées ni les mêmes projets sur un objet que celui-ci vaut quelque chose. Il y a donc un pluralisme immanent dans la notion même d’échange libre. Le fait d’avoir des vues différentes et de poursuivre des objectifs différents devrait être facteur de conflit. Or, cela génère au contraire un échange et crée un lien d’interdépendance qui conduit à la paix et à la prospérité. Normalement, des personnes qui poursuivent des objectifs différents ne peuvent être qu’opposées. Or, avec la catallaxie, des personnes qui poursuivent des objectifs différents sont alliées de fait parce que sans l’autre chacun ne pourrait pas atteindre son objectif. C’est là l’avantage de la société de marché sur les autres types de société, notamment les sociétés holistes et unanimistes.
L’échange caractérise la mondialisation. Il y a échange entre des territoires, des villes (qui contrôlent des territoires, leur arrière-pays) et des personnes. Les échanges sont nécessaires pour accéder aux ressources que l’on ne possède pas, pour améliorer son ordinaire ou pour vendre son surplus ou sa production. Lorsque l’on veut punir un pays on lui impose un embargo, c’est-à-dire qu’on l’empêche d’échanger ; ce qui lui nuit grandement.
La curiosité : vouloir connaître le monde
La curiosité débute par un étonnement sur le monde. C’est la surprise de découvrir des cultures qui nous sont différentes, des paysages autres que ceux que l’on fréquente, des goûts, des arts et des cuisines autres que ce que l’on pratique d’habitude. La curiosité est une soif de découverte et de connaissance, c’est la volonté d’aller au-delà de son monde et de ses frontières pour connaître ce qui se passe de l’autre côté de la barrière. Elle engendre la science, qui est la curiosité de vouloir comprendre le fonctionnement du monde : Copernic qui veut percer le mystère de la rotation de la Terre, Pasteur qui souhaite trouver une solution à la rage, Louis Blériot qui veut prouver qu’il est possible de traverser la Manche en aéroplane… La curiosité rend insatisfait de ce que l’on possède et de ce que l’on voit, elle est mue par la volonté de toujours découvrir et de toujours connaître, de ne jamais se satisfaire des limites que l’on a atteintes. C’est elle qui permet l’art : peinture, musique, architecture, littérature… Et elle se manifeste par les voyages. Le fait de voyager est le signe de l’homme libre, l’homme qui s’affranchit de ses présupposés pour aller voir ailleurs comment les hommes vivent. Le voyageur reste accroché à son pays, mais cela ne l’empêche pas de vouloir connaître et approfondir les autres. La curiosité oblige à sortir de soi-même et de ses certitudes pour oser s’affronter aux autres. On imagine l’émotion des premiers visiteurs de l’Égypte, Champollion en tête, de Chateaubriand découvrant les sites historiques de la Grèce, de Savorgnan de Brazza et de Livingstone découvrant les contrées inconnues de l’Afrique. La curiosité naît d’une soif inextinguible de découvrir, d’une insatisfaction et d’une bienveillance à l’égard de ce qui n’est pas nous. Elle nous amène à sortir de nous pour aller vers les autres, sans renier ce que nous sommes et en contribuant à renforcer notre être. Elle aussi est échange.
De l’étonnement philosophique à l’émerveillement scientifique, il y a la capacité à se projeter toujours vers un monde en devenir dont on refuse qu’il soit figé. C’est le propre de la culture européenne que d’être curieuse, de vouloir aller voir ailleurs, d’avoir cette insatisfaction générale à l’égard de ce que nous sommes. Ce sont les cités grecques qui se lancent à l’assaut de la Méditerranée pour la coloniser, les lettrés romains qui se rendent à Athènes et à Alexandrie pour en découvrir la science et les savoirs et pour s’en imbiber, les hommes du XVIe siècle qui partent vers l’Outremer, affrontant de nombreux risques et périls. La curiosité est probablement ce qui distingue le plus l’Europe des autres cultures, et ce qui explique aussi son avancée technique et culturelle, jusqu’à l’harmonisation en cours depuis les années 1970.
Le mimétisme : aux origines de la culture
Nous devons à René Girard (1923-2015) d’avoir mis à jour l’importance du mimétisme et du sacrifice dans le fonctionnement des sociétés. L’analyse géopolitique est souvent trop tournée vers l’économie ou le rapport des forces des puissances et elle néglige l’aspect culturel des populations et le fondement de leur civilisation. Pourtant, les hommes agissent en fonction de ce qu’ils pensent et ce qu’ils croient. Or une vision souvent trop matérialiste omet l’étude de la spiritualité et de la pensée des peuples, qui échappent souvent au cadre de la stricte logique.
Les hommes fonctionnent par mimétisme. C’est d’une part le propre de l’éducation et c’est aussi le moteur essentiel de la volonté humaine. On s’attache à des personnes, on copie des modes, des façons d’être, des manières de vivre, ce qui renforce notre culture ou notre position sociale. Le mimétisme permet de reproduire, mais il peut aussi amener un rejet et donc une rupture par rapport au milieu dont on est issu. Ce mimétisme fait courir le risque de l’uniformisation ; c’est pourquoi l’architecture mondiale a tendance à se ressembler de plus en plus, de même que les styles vestimentaires, les modes alimentaires et les façons de penser. L’uniformisation est d’ailleurs un reproche souvent fait à la mondialisation : toutes ces métropoles mondiales ont tendance à être de plus en plus semblables et les hommes mondialisés de Paris, New York ou Singapour semblent être des clones.
De ce désir mimétique nait aussi la violence. Celle-ci culmine dans ce que Girard appelle la crise mimétique, qui se résout par la mort du bouc émissaire. Celui-ci est chargé de tous les maux et on le tue afin de chasser le mal de la cité. Le tous contre tous, le chaos et la destruction du groupe, aboutit au tous contre un afin de sauver le groupe. René Girard a très bien montré comment toutes les civilisations archaïques fonctionnent sur le principe du bouc émissaire, d’où les sacrifices humains. Le mimétisme engendre donc une violence qu’il est nécessaire d’appréhender pour la canaliser et l’amoindrir. C’est la civilisation judéo-chrétienne qui rompt le cycle sacrificiel et la spirale de la violence, puisqu’ici le bouc émissaire est innocent. D’où la paix qui peut être établie dans la cité et ce Satan qui tombe comme l’éclair, titre de son ouvrage paru en 1999.
La mondialisation est donc plus un phénomène anthropologique qu’économique et financier. Ce sont ses conséquences qui sont financières, politiques, sociales et culturelles, mais son essence est bien anthropologique. Touchant l’essence de l’homme, cela explique qu’elle concerne tous les hommes et donc tous les pays.