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Ukraine : une guerre en Europe qui ne cesse de durer et dont on oublie de parler

7 février 2020

Certes, on ne parle plus de l’Ukraine, mais la guerre continue d’y sévir. D’après des estimations fournies par l’ONU nous sommes presque à 10 000 morts dans le Donbass depuis le début des affrontements (2014). Certes, on ne parle plus guère des heurts en Ukraine et dans le Donbass, pourtant les bombardements sont quotidiens et les civils sont les premiers touchés. Cette guerre se déroule depuis trois ans aux portes de l’Europe. L’Ukraine est frontalière de la Pologne et elle est à quelques heures de vol de Paris. Outre les silences médiatiques, ce qui est affligeant ce sont les silences de l’Union européenne, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et de la France. Nous sommes incapables de régler un conflit de forte intensité qui se déroule pourtant sur le sol de l’Europe. Contrairement au discours répété, l’Europe n’est pas en paix. En Ukraine, à bien des égards, ce sont les démons de la Yougoslavie qui ressurgissent, et les Européens sont atones et immobiles, comptant les mots et les coups échangés entre les États-Unis et la Russie.

À quoi sert alors le rêve européen s’il n’est pas capable de faire la paix en Ukraine ? C’est en Ukraine que s’est déroulé l’euro de foot 2012. Certains matchs se sont joués à Donestk, la capitale de la République populaire de Donetsk. Cinq ans plus tard, la région est plongée dans une guerre civile dont personne n’est capable de percevoir la fin.

Par Jean-Baptiste Noé

drapeau Ukraine

Aux origines de la crise

Rappelons brièvement les origines de la crise ukrainienne. Elle débute avec la révolution de la place du Maïdan, en 2013, qui est une révolte contre le président Ianoukovitch. Celui-ci a fait preuve de maladresse dans la négociation d’un accord économique avec la Russie visant à faciliter le commerce eurasiatique, accord qui entrait en contradiction avec les négociations menées avec l’UE. Après s’être fait élire sur la promesse de se rapprocher de l’UE, Ianoukovitch a finalement rejeté l’accord européen pour se rapprocher de Moscou. C’est le début du soulèvement mené contre lui, du fait notamment de groupes nationalistes particulièrement violents, qui n’ont jamais caché leur admiration du régime nazi. Ces groupes nazis sont encore très influents aujourd’hui et mènent les combats contre la République autoproclamée du Donbass.

À l’origine pacifiques, les manifestations du Maïdan deviennent vite très violentes. Le gouvernement légitimement élu est renversé en février 2014 et le nouveau gouvernement se montre très hostile à la population russe. Un projet de loi est ainsi déposé pour interdire la langue russe comme langue officielle, alors que c’est une langue très parlée en Ukraine et qu’une grande partie de la population est russophone. Cette proposition a beaucoup choqué, notamment dans les régions de l’Est. Les populations ont alors pris peur, notamment dans le Donbass, et ont souhaité demander leur indépendance.

Les nationalistes n’ont eu de cesse d’attaquer verbalement les populations russophones de l’Est et de les menacer d’exactions (des hauts responsables ont lancé des appels publics au meurtre et à l’épuration), ce qui a envenimé le conflit et a rendu la réconciliation impossible. Les bombardements récurrents des nationalistes sur des écoles et des hôpitaux du Donbass ont encore accentué la rupture entre les deux Ukraine. L’unification du pays semble aujourd’hui une chose impossible et la partition (qui existe de fait) la seule issue du futur.

 

Un pays, plusieurs Ukraine

Cette séparation tient à la nature même de l’Ukraine qui est culturellement divisée en deux, avec des populations de l’Est favorables à la Russie et des populations de l’Ouest opposées à elle. L’Ukraine demeure une construction politique récente et ne forme pas véritablement de nation. La Rus’ de Kiev est le berceau du peuple russe et l’origine de la Russie, ce qui explique que Moscou surveille particulièrement ce qui s’y passe.

La Crimée est la première région à réagir. Elle organise un référendum pour l’autonomie et la réunification à la Russie (16 mars 2014) où plus de 96% de la population vote favorablement pour la réunification. Ce résultat n’est pas surprenant puisque la Crimée a toujours été russe. Les Occidentaux peuvent hurler à l’annexion russe, sauf qu’il se passe en Crimée ce qu’eux même ont approuvé au Kosovo, quand ils ont favorisé la sécession du berceau historique de la Serbie après avoir fermé les yeux sur l’arrivée massive de population albanaise.

À la suite de la Crimée, le reste de l’Ukraine russophone veut suivre le même processus. Des oblats du Donbass organisent des référendums pour demander eux aussi leur indépendance. Ils estiment que la constitution n’étant plus respectée, ils peuvent s’affranchir de l’Ukraine. Les élections sont favorables à l’indépendance (11 mai 2014). Ce sont des républiques autonomes, avec leur président, leur assemblée et leur fonctionnement propre.

 

Kiev répond par la force

Face à cela, Kiev envoie l’armée pour éviter le détachement du Donbass. Les populations civiles s’arment alors et reçoivent l’aide de populations russophones extérieures. C’est le début de la guerre civile.

Moscou refuse que les États-Unis mettent la main sur l’Ukraine. Pour la Russie, c’est une atteinte à sa souveraineté et un danger pour ses intérêts. Le gouvernement américain a reconnu être intervenu pour faciliter et structurer la révolte de Maïdan (il a versé 5 milliards de dollars aux mouvements qui ont encadré les insurgés). Cela correspond au plan géopolitique américain de détachement de l’Ukraine du giron russe et d’encerclement de la Russie par des alliés américains, plan définit par Zbigniew Brzeziński dans Le Grand Échiquier (1997). On peut comprendre que Moscou ne voit pas d’un bon œil l’organisation de ces plans. Ce sont là deux visions géopolitiques qui s’opposent, Moscou souhaitant garder un glacis protecteur tout autour de son territoire.

 

L’action délicate de Moscou

Moscou n’est pas intervenue de façon directe dans le Donbass et l’armée russe n’y est pas présente. En revanche, des militaires russes ont rejoint les insurgés pour les aider. Des étrangers sont aussi venus dans le Donbass, des Tchétchènes, des Serbes, quelques Français. Moscou ne souhaite pas annexer le Donbass, car la Russie n’a pas les moyens économiques de développer cette région et de la mettre en valeur. De plus, l’annexion serait un grand risque à prendre vis-à-vis des États-Unis. En revanche, elle a intérêt à ce que le Donbass soit une république autonome, plus ou moins sous l’inféodation de Moscou, une sorte de principauté aux marches de l’Empire russe. D’où les aides en sous-main, que ce soit sur le plan militaire ou sur le plan économique.

 

Un front qui se tasse, mais où les combats demeurent

Depuis février 2015 s’appliquent les accords de Minsk 2, signés par l’Ukraine, la Russie, l’Allemagne et la France. Ces accords organisent une trêve pour tenter de pacifier la région : organisation d’un cessez-le-feu, échanges de prisonniers, retrait des armes qui sont sur la ligne de front.

Mais le cessez-le-feu n’est pas respecté. Il y a des bombardements quotidiens dans le Donbass, y compris contre des villages. Ce n’est plus une guerre ouverte, mais des bombardements réguliers et une série d’escarmouches. C’est une guerre de position où l’on tire sur le camp d’en face.

Les nationalistes ukrainiens sont décidés à décimer la population civile et à la terroriser en bombardant les bâtiments civils : écoles, hôpitaux, stations d’épuration des eaux, magasins… dans le mépris total du droit international qui interdit ce type d’attaque. La plupart relèvent du crime de guerre.

C’est d’autant plus inefficace que les populations civiles se sont, à cause de cela, détachées de Kiev et adhèrent ainsi à la partition. La réconciliation est désormais impossible. Les nationalistes ont voulu unifier l’Ukraine et créer une nation, ils n’ont réussi qu’à la fragmenter et à la disloquer.

 

Le marasme ukrainien

Le pays est dans un marasme politique et économique complet. Si les combats sévissent au Donbass, c’est tout le pays qui souffre de ces conflits. La coalition politique de 2016 a volé en éclat. Les partis alliés se sont retirés et le président Porochenko représente peu de monde. Les néo-nazis sont très influents, même si leur attitude commence à leur attirer les foudres du gouvernement. Ils ont notamment provoqué le blocus du Donbass, qui est une politique suicidaire pour l’ensemble du pays.

L’Ukraine est devenue un pays de mafieux où règne le banditisme nourrit par le féodalisme. Les oligarques se font la guerre. Chacun contrôle un bout de territoire, avec les impôts et les ressources financières qui vont avec. Ils se battent pour tenir le pouvoir et capter l’argent du pays. Il n’y a plus d’Ukraine, seulement des féodalités. Au cœur de l’Europe, au début du XXIesiècle, nous retrouvons les permanences médiévales de l’Europe des steppes, des Tatars, des Mongols et des Cosaques. L’Ukraine d’aujourd’hui redevient celle de Tarass Boulba.

 

Le blocus du Donbass

Les néo-nazis nationalistes ont décidé un blocus du Donbass, à l’insu du gouvernement de Kiev. Cette politique est suicidaire pour l’ensemble du pays, car le Donbass fournit le charbon dont l’Ukraine a besoin, notamment, pour faire fonctionner ses centrales thermiques. Les sociétés qui travaillaient dans le Donbass sont enregistrées à Kiev donc elles payaient leurs impôts à Kiev. Avec le blocus, elles ne peuvent plus payer leurs impôts, donc c’est une perte financière pour le gouvernement central. Le Donbass participait ainsi à financer l’armée qui les bombardait. Avec le blocus, cette situation ubuesque prend fin. Le blocus est mené par les bandes qui ont conduit la guerre dans le Donbass et qui sont en train d’échapper à Kiev.

Les centrales thermiques d’Ukraine manquent de charbon et risquent d’être arrêtées. Kiev doit donc importer du charbon de Russie (leur ennemi), charbon qui est plus cher que celui du Donbass et qui, souvent, vient du Donbass après avoir été vendu aux Russes. Les nationalistes mènent là une politique à très courte vue.

D’autant que pour survivre face au blocus le Donbass se tourne de plus en plus vers la Russie, se détachant d’autant de Kiev. Le rouble circule dans les villes de la région, au détriment de la monnaie ukrainienne. Comme les gens du Donbass parlent russe, les ententes sont faciles. Le blocus coupe donc le Donbass du reste de l’Ukraine, entérinant de fait la partition du pays ; l’inverse de ce qui était recherché par les nationalistes.

L’Ukraine est donc morte : il n’y a plus de pays centralisé. Les zones sont indépendantes. Les nationalistes ukrainiens ont provoqué la destruction de l’Ukraine et la partition de fait du territoire. La dislocation de l’Ukraine ne cesse de se faire. Quand s’arrêtera-t-elle ?

 

Quelles issues possibles au conflit ?

Les positions des uns et des autres sont irréconciliables. Les morts et les destructions rendent très difficile la réconciliation. Les Ukrainiens anti-russes ont été très vindicatifs et ont attaqué violemment les populations. Des dignitaires de l’Ouest, y compris des membres du gouvernement, ont appelé publiquement à mener une épuration ethnique (ce qu’ils appellent « la solution croate »). On comprend donc que la rupture est consommée et qu’il ne sera pas possible de bâtir une quelconque réconciliation.

Il n’est pas certain que ces républiques soient viables. D’un point de vue juridique, elles ne sont pas reconnues par le droit international. Sur le plan économique, elles ont les moyens de survivre. Le Donbass possède de nombreuses mines de charbon et il dispose d’une industrie solide, même si celle-ci est à reconstruire. La monnaie ukrainienne ne circule plus dans la région puisque c’est le rouble qui est utilisé pour les échanges.

Quant à la Russie, elle n’est pas vraiment favorable à un rattachement à court terme, car cela serait pour elle difficile à digérer et à intégrer et cela donnerait d’elle une image d’envahisseur. Les populations du Donbass sont en revanche très favorables au rattachement.

La communauté internationale s’y oppose, ce qui n’est pas sans contradiction avec le droit revendiqué de l’autodétermination des peuples.

L’Europe est prise à son propre piège. En reconnaissant l’indépendance du Kosovo, elle a ouvert une boîte de Pandore qui se répand sur tout le continent. Pourquoi y aurait-il une légitimité pour le Kosovo à demander son indépendance et pas pour le Donbass ? De même, on voit que de nombreuses régions veulent organiser des référendums sur leur indépendance, comme l’Écosse et la Catalogne. Si l’Europe le permet là, comment pourrait-elle l’interdire ailleurs, et notamment en Ukraine ? Cette guerre civile du Donbass révèle les failles et les incohérences de la politique des peuples de l’Union européenne. Une Union qui se révèle incapable d’imposer la paix, avec une France atone et une Allemagne qui ne dit rien. Au Donbass, c’est aussi la mort ou la survie de l’Union européenne qui est en train de se jouer. Quelle crédibilité peut-elle encore avoir si elle n’est pas capable de résoudre cette crise et si elle laisse les États-Unis s’en mêler ?