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Les enjeux de l’océan Indien

9 septembre 2021

Vu d’Europe, c’est un peu l’océan oublié, parce qu’il se trouve dans un angle mort du globe, entre l’Europe et l’Asie. Tout donne à penser que l’océan Indien est fait pour être traversé, entre Suez et Malacca, non pour être exploité. Il est pourtant l’un des océans les mieux entourés : à l’ouest, la Somalie et ses pirates, le golfe d’Aden et le détroit d’Ormuz par où transite une grande partie du pétrole mondial. Au nord, l’Iran, le Pakistan et l’Inde, à l’est, les marches de l’Asie : Singapour, la Malaisie, et les portes de la Chine. Au sud, le grand vide de terres, mais des îles stratégiquement importantes dont, pour la France, l’île Tromelin et la Réunion.

Océan Indien

Par Jean-Baptiste Noé

Présence des États-Unis

Les États-Unis sont eux aussi présents dans cette zone, qu’ils contrôlent militairement. Ils y ont deux grandes bases : Chagos et Diego Garcia, installées dans des îles au centre de l’océan, et une flotte qui y croise en permanence, la Vflotte. Cela complète la présence militaire de la partie asiatique du Pacifique, avec notamment les bases de Guam et de Midway et la VIIflotte, plus des bases en Australie, Corée, Japon, Malaisie. Washington ne peut pas délaisser un espace aussi stratégique pour les échanges mondiaux. Sa présence assure l’équilibre entre la Chine et l’Inde et les tensions qui ne cessent de croître entre les deux rivaux d’Asie.

 

Les défis de la population

La démographie est l’un des défis premiers de cette zone. Il est d’ailleurs dommageable que l’on ne s’intéresse pas davantage à cette science, alors que la démographie conditionne énormément les évolutions du futur. C’est une science quasi exacte, car il est facile de prolonger les courbes et de dessiner les évolutions sur trente ou cinquante ans. C’est une matière où la force d’inertie est très forte : même si le nombre d’enfants par femme diminue, la population peut continuer à croître fortement. Or la population conditionne les contraintes qui pèsent sur les pays. Que ce soit la gestion des personnes âgées, l’intégration de la jeunesse, l’accès à l’eau, à l’énergie ou à la nourriture, tous ces facteurs sont en prise directe avec les évolutions démographiques. À quoi il faut ajouter les enjeux sanitaires et scolaires, ainsi que l’équilibre des territoires et la gestion des villes (logements et entassement urbain). La démographie est bien un domaine essentiel, or ce facteur est trop souvent négligé.

L’Inde, aujourd’hui deuxième puissance démographique mondiale, dépassera la Chine d’ici quelques années pour atteindre 1,3 milliard d’habitants. Or cette population s’installe de plus en plus sur les littoraux. Ce phénomène de littoralisation est commun à l’ensemble du monde. C’est là que l’on trouve les grandes villes, les ports influents, le dynamisme économique. Les villes attirent les campagnes et les grandes villes sont désormais situées en bordure du littoral. Ce qui pose des défis de développement, les littoraux étant des espaces fragiles. Ce qui pose aussi des défis de gestion de la pollution : il faut veiller à ce que les eaux usées ne soient pas rejetées dans la mer, mais soient bien traitées dans des usines ad hoc. La pollution menace l’océan Indien et, partant, la biodiversité et la survie des espèces animales. Bombay, l’une des grandes villes indiennes, comptait moins d’un million d’habitants en 1910 et plus de 22 millions en 2010, et la population ne cesse d’y croître. Calcutta, sur le littoral est, dépasse les 10 millions d’habitants. L’autre grande ville indienne est Delhi, mais elle n’est pas située en bordure littorale.

Le Pakistan et le Bangladesh ont dépassé les 150 millions d’habitants, alors qu’ils comptaient autour de 50 millions d’habitants en 1960. Le Pakistan est passé de 46 millions d’habitants en 1960 à 177 en 2011 et le Bangladesh de 54 millions à 167 millions. La population a triplé au Bangladesh et elle a été multipliée par quatre au Pakistan.

Cet accroissement de population est ambivalent. D’un côté, elle témoigne d’une nette amélioration des conditions de vie. Elle est la conséquence de l’amélioration des conditions sanitaires (baisse de la mortalité) et de l’accroissement de la production agricole. Mais de l’autre côté, elle maintient la population dans une certaine pauvreté et empêche le pays de se développer davantage. Un être humain a besoin de 2 100 calories par jour pour vivre convenablement. Donc, à chaque nouvelle naissance, le pays doit être en mesure de produire 2 100 calories par jour en plus ou, à défaut, de l’acheter à l’étranger. Cela n’est pas impossible, mais cela suppose d’accroître sans cesse les capacités productives de l’agriculture. De même pour l’accès à l’eau potable. L’accumulation des bidonvilles et l’accroissement de la pauvreté urbaine ne sont pas dus à une exploitation de ces pays par ceux du Nord, mais à une trop forte et brutale croissance démographique qui empêche le développement serein du pays et qui, à terme, risque de lui nuire.

 

Présence française

La France n’est pas absente de cette zone. Elle y dispose de départements et de territoires d’outre-mer et de bases militaires : les Comores, la Réunion, Tromelin. Elle peut donc à la fois sécuriser les zones de passage et être un acteur dans les négociations de cette zone. À cela il faut ajouter la base de Djibouti, qui clôture l’océan Indien au niveau de la péninsule arabique. C’est 40% du pétrole du monde qui passe dans le détroit d’Ormuz et 7,5% du commerce maritime mondial qui transite par la corne de l’Afrique. Les pétroliers passent notamment près des Comores et de la Réunion, dans le détroit du Mozambique, pour rejoindre ensuite l’Afrique du Sud et les ports africains. On comprend donc l’importance stratégique que revêt cette zone.

La marine française s’est ainsi illustrée dans la lutte contre la piraterie installée en Somalie. À l’orée des années 2005, les populations somaliennes ont profité de la destruction complète de leur État pour y établir un système mafieux fondé sur la rapine et le vol des ressources. Ils ont attaqué de nombreux bateaux qui passaient au large de la Somalie, rejoignant Suez ou allant vers l’Asie. Les pirates sont, pour la plupart, regroupés dans la région du Puntland, qui est presque totalement indépendant du reste de la Somalie. Souvent à l’aide de canot à moteur et d’armes à feu, ils ont pris d’assaut de nombreux navires marchands, dont la plupart n’ont aucune défense hormis quelques canons à eau. Le petit était ainsi beaucoup plus fort que le grand et le pillage a pu être systématique. L’audace de ces pirates a été grande puisqu’ils ont lancé des raids jusque sur les côtes indiennes, s’attaquant à des pétroliers et des navires marchands. Ils ont aussi attaqué des bateaux de tourisme qui croisaient au large des Seychelles.

La période de piraterie a été très forte entre 2005 et 2012, avec un acmé en 2011 où 237 attaques de bateaux ont été recensées. En janvier 2011, les pirates somaliens détenaient 32 bateaux et 736 otages, ces derniers étant échangés contre de l’argent. D’après la Banque mondiale, les rançons d’otage auraient rapporté entre 340 et 410 millions de dollars entre 2005 et 2012. C’est donc un marché très lucratif, qui va bien au-delà de ce que pourraient espérer ces populations. La piraterie a repris en mars 2017 avec des attaques contre des bateaux russes et sri-lankais.

En novembre 2008, l’Union européenne a lancé l’opération Atalante, chargée de lutter contre la piraterie dans la zone. Celle-ci est coordonnée par l’ONU. La marine française a été très présente et a joué un rôle important pour protéger les navires marchands et arraisonner les bateaux des pirates. Plusieurs d’entre eux ont été arrêtés et livrés aux autorités du Kenya. Cette opération a permis de faire baisser la piraterie, jusqu’à rendre la zone à la normale dans le courant de l’année 2012.

Des problèmes de piraterie se posent aussi de l’autre côté de l’océan Indien, dans le détroit de Malacca et le long des îles d’Indonésie et de Malaisie. L’intervention militaire y est rendue difficile de par le nombre très important d’îles dans la région, et le peu de coopération des États locaux, dont certains tirent profit de cette activité mafieuse. Vaste espace en marge de la mondialisation, moins présent dans les esprits que le Pacifique ou l’Atlantique, l’océan Indien n’en reste pas moins d’un enjeu stratégique majeur pour le commerce du monde et l’équilibre des puissances.