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David Hockney, le peintre et la géopolitique

14 janvier 2022

Parmi les belles expositions parisiennes de l'automne 2017, on trouve celle que Beaubourg consacre au peintre anglais David Hockney. Né en 1937, il a migré en Californie dans les années 1960, époque où son œuvre a connu une véritable inflexion. Il vit désormais de nouveau dans le Yorkshire, comme en témoignent ses dernières créations. Le peintre a beaucoup à apprendre à la géopolitique. La reproduction des paysages, la confrontation dans un espace restreint (la toile) des rapports humains, la représentation d’une époque, rendent intelligibles des parcelles d’humanité qui échappent bien souvent aux chiffres et aux données. La peinture exprime une vérité que l’historien et le géopoliticien essayent de comprendre.

La dernière rétrospective parisienne sur David Hockney date de 1999. Cette année-là, Beaubourg avait présenté les toiles consacrées au grand canyon. Deux toiles du canyon se trouvent dans l’exposition actuelle, qui est une rétrospective de la vie picturale d’Hockney, pour ses 80 ans.

David Hockney se situe dans la grande tradition des peintres anglais du paysage, dont les plus célèbres sont John Constable et William Turner. Une peinture des paysages bien différente des peintres italiens et de l’école française, même si tous ces maîtres se connaissent et s’influencent. Le peintre le plus géopolitique est sûrement Vermeer, avec son Astronome et son Géographe, tous deux penchés sur un globe, l’un céleste l’autre terrestre. L’amoureux des cartes y trouve là matière à réflexion et à admiration, comme dans la longue galerie des cartes des musées du Vatican.

David Hockney

Par Jean-Baptiste Noé

 

Puiser chez les maîtres

L’accrochage de la présente exposition respectant l’ordre chronologique, on peut réellement comprendre la formation et les évolutions de David Hockney. Les premiers tableaux démontrent qu’il assimile et copie les maîtres ; plus ou moins bien d’ailleurs. Voilà pour l’humilité du scientifique et du chercheur : on ne peut prétendre être grand qu’en mangeant et assimilant nos aînés. Nous ne naissons pas de rien et rien ne peut se créer de nulle part, qui que nous soyons, nous sommes d’abord des héritiers. Dans les années 1960, Hockney aurait pu choisir la facilité du Pop Art et de la déconstruction. Accumuler les taches de peinture sur la toile, dresser des grands traits qui ne signifient rien et provoquer l’engouement autour de ses tableaux grâce à la côte forcée des galeristes et des journalistes de l’art officiel. Ce ne sont pas ses plus belles œuvres, mais elles sont intéressantes dans la perspective de la formation épistémologique de sa maîtrise artistique.

Le grand tournant vient de sa découverte de la Californie. On comprend que pour un Anglais vivant dans la banlieue de Londres, à un moment où l’Angleterre s’enfonçait dans la ruine et la faillite du Welfare state social-démocrate, l’arrivée en Amérique ait été un souffle d’air frais. D’air chaud en l’occurrence, avec le soleil et la température californienne, le ciel bleu, les grands espaces. David Hockney se prend de passion pour l’eau, qui est l’acteur principal de son œuvre. Il peint des piscines, des douches et des corps au milieu qui nagent et se lavent. La représentation des corps témoigne d’une réelle maîtrise de l’anatomie humaine, qu’il a probablement observée dans la statuaire grecque des musées londoniens. Ce sont des tableaux apparemment simples, mais qui dénotent une excellente maîtrise technique, aussi bien pour les traits, les formes que les couleurs. Ses œuvres les plus connues : A bigger splash, un plongeon dans une piscine, Bain de soleil. Les bords de piscine rappellent bien sur le film d’Alain Delon et les soirées d’Eddy Barclay à Saint-Tropez. On comprend que l’eau l’ait fasciné, car elle représente un vrai défi politique. Pour faire prendre conscience aux étudiants que les ressources naturelles ne sont rien sans pensée et vouloir humain qui les développent, je prends souvent l’exemple de la Côte d’Ivoire et de l’Andalousie. Le premier pays est situé en zone tropicale où l’eau est une ressource abondante, et pourtant l’eau courante fait défaut à la population. L’Andalousie est une zone sèche, régulièrement en situation de stress hydrique, mais grâce à une bonne gestion de celle-ci la région arrive à alimenter l’agriculture et les piscines (avec un conflit pour l’eau qui demeure malgré tout un défi).

La Californie est une région sèche et aride, dont témoignent les feux de forêt réguliers. L’eau y est pourtant maîtrisée et canalisée et l’homme peut prendre sa douche et avoir sa piscine. Les beaux reflets bleutés que peint David Hockney tracent une certaine forme de paysage idéale, un peu vide, comme chez Edward Hopper, où la nature est sans cesse contrôlée et maîtrisée par l’homme. Cela n’a pas la fougue sauvage d’un Constable et d’un Turner, mais rappelle plutôt les jardins à la française bien léché et cordé.

Bien qu’il ait longtemps vécu aux États-Unis, Hockney n’a pas peint la ville. Hormis quelques toiles acidulées, les gratte-ciels et les autoroutes urbaines ne sont pas son sujet de prédilection. Il peint l’espace, le vide et la rencontre échouée entre les êtres.

 

Doubles portraits

Sa série sur les doubles portraits est à ce titre éloquente. Il a peint ses parents et ses amis chez eux, souvent assis, regardant dans le vide et ne se dévisageant jamais. C’est du Hopper modernisé, mais avec des couleurs plus fraîches et joyeuses. On retrouve exactement l’ambiance des années 1970. Le téléphone à cadran, les tapis à gros poil de laine, les lunettes en écaille et les pantalons larges. En un tableau, le spectateur se replonge quarante ans en arrière, dans une période dont le peintre a su représenter l’esprit. C’est du réalisme épuré, loin des prétentions verbeuses de l’Art Contemporain.    

 

Collages et perspectives inversées

Dans les années 1980, David Hockney se lance dans le photomontage, avec un appareil Polaroïd. Toujours à la recherche de la représentation paysagère, il quadrille les paysages de photos qu’il assemble ensuite. Cela donne des représentations déstructurées, à la cubiste, où l’espace semble se représenter dans des jeux de miroir et se montrer sous différentes facettes. Le plus célèbre de ces photomontages est Pearblossom highway, une route de l’Ouest américain, avec son stop, ses cactus et ses détritus. C’est une belle allégorie de la géopolitique qui essaye de comprendre les jeux de pouvoir dans l’espace sans vraiment arriver à les saisir, tout en se rendant compte que les approches sont toujours multiples et déformées.

Il s’est ensuite essayé à la perspective inversée, qui renverse le point de vue du spectateur. Le parc de Vichy, avec son allée d’arbres et ses chaises en fer au premier plan en donne un aperçu. Rien de nouveau dans l’art pictural, Hockney a repris la technique des icônes orientales qui pratiquent largement ce renversement de perspective. Et si, là aussi, pour comprendre le monde il ne fallait pas renverser nos paradigmes et nos perspectives, c’est-à-dire regarder les événements avec l’œil de celui que l’on observe et non notre propre regard ? Observer l’État islamique avec les yeux des djihadistes, les combats ukrainiens avec les paroles des nationalistes et des indépendantistes, les tensions en Méditerranée en se portant sur l’une et l’autre rive… Renverser la perspective, qui est multiple et fluctuante, est la meilleure façon de comprendre un monde complexe et mouvant. Comme pour les photomontages, on fixe l’instantanée dans une éternité qui est la longue trace historique.

Changer d’échelle aussi. C’est ce que l’on apprend à tous les étudiants en géographie : jouer sur la pluralité multiscalaire. Hockney s’y adonne dans sa peinture du grand canyon et de son Yorkshire natal.

 

Gigantesques paysages

Pour peindre des toiles de plusieurs mètres de long et de haut il a réalisé une suite de toiles rectangulaires, qu’il assemble ensuite, comme les pièces d’un puzzle. Chaque toile est une œuvre en tant que telle, un tableau qui a sa singularité. Mais assemblées, dans l’ordre nécessaire, toutes ses toiles forment un tableau encore plus grand qui délivre le tableau final. Là aussi, c’est une belle allégorie du travail du géopolitologue, qui peut analyser plusieurs phénomènes de façon individuelle, mais qui doit ensuite les assembler pour donner une compréhension plus large à son travail. D’où la nécessité de croiser les disciplines (économie, criminologie, approche culturelle, sciences politiques…). La spécialisation à outrance de l’université rend impossible cette approche globale et donc la compréhension des phénomènes qui structurent notre société.

Hockney est également passionné par les nouvelles technologies et ce qu’elles peuvent apporter à la peinture. Il peint par ordinateur, il utilise la télévision et la sérigraphie, mais la technique est toujours mise au service de son art et sa vision de peintre ; elle n’est jamais utilisée pour elle-même, contrairement à certains plasticiens présents dans les rouages de l’art officiel. C’est ainsi qu’il a pu représenter les quatre saisons d’un même paysage par un chemin dans une forêt du Yorkshire. Les panneaux sont disposés l’un en face de l’autre et le spectateur peut les contempler tour à tour ou simultanément, observant le temps qui passe et revient et la nature qui se transforme.

Pour comprendre, il faut d’abord voir, puis ensuite juger et agir. C’est l’intérêt des peintres paysagers que de donner l’essentiel d’un paysage et d’une époque et ainsi de donner plus qu’à voir, mais à comprendre.