"La France est un pays extrêmement fertile : on y plante des fonctionnaires et il y pousse des impôts " - Georges CLEMENCEAU
"L’économie est fille de la sagesse et d’une raison éclairée : elle sait se refuser le superflu, pour se ménager le nécessaire " - Jean-Baptiste SAY
"La seule fonction de la prévision économique, c’est de rendre l’astrologie respectable " - GALBRAITH
"L'épargne et l'accumulation de biens de capitaux qui en résulte sont au début de chaque tentative d'améliorer les conditions matérielles de l'homme; c'est le fondement de la civilisation humaine" - Ludwig Von MISES
"Le bon stratège contraint l'ennemi et ne se laisse pas contraindre" - Sun TZU
"Un peuple est pacifique aussi longtemps qu'il se croit assez riche et redouté pour installer sournoisement sa dictature économique" - Georges BERNANOS
"Tous les hommes politiques appliquent sans le savoir les recommandations d’économistes souvent morts depuis longtemps et dont ils ignorent le nom " - John Maynard KEYNES
"L'argent public n'existe pas, il n'y a que l'argent des contribuables" - Margaret THATCHER
"Un problème politique est un problème économique sans solution" - Georges ELGOZY
"Les hommes n'étant pas dotés des mêmes capacités, s'ils sont libres, ils ne sont pas égaux, et s'ils sont égaux, c'est qu'ils ne sont pas libres" - Alexandre SOLJENITSYNE
5 janvier 2022
« Chrétiens d’Orient. Deux mille ans d’histoire » est l’une des heureuses expositions de cet automne à Paris. L’Institut du monde arabe qui l’organise et l’abrite a réalisé un accrochage d’excellente facture. Plus de 300 pièces sont exposées : des mosaïques, des vêtements, des objets liturgiques, le tout servi par des cartes, des frises chronologiques et des textes bien travaillés. Cette exposition est importante à plusieurs titres. D’une part parce que l’on parle beaucoup des chrétiens d’Orients depuis 2011, sans véritablement les connaître. Ensuite parce que nous commémorons le centième anniversaire des accords Sykes-Picot (1916) puis de la déclaration Balfour (1917) qui ont eu tous deux de grandes conséquences sur la région. Enfin parce qu’en dépit de sa proximité géographique, l’Orient nous est très éloigné sur le plan culturel. C’est certes un cliché de dire qu’il est compliqué et que nous avons des idées simples sur lui, mais c’est aussi une réalité.
Dans ce genre d’exposition, on pouvait craindre les poncifs larmoyants et les expressions de bien-pensance, il n’en est rien. Elle n’occulte pas les difficultés, les nombreux massacres commis et l’apport du christianisme à l’islam. C’est une exposition tout à fait fiable sur le plan historique.
Par Jean-Baptiste Noé, IdL
La division des chrétiens d’Orient
Le trait spécifique des chrétiens d’Orient est d’être extrêmement divisé. Chalcédoniens, copte-orthodoxes, maronites, Chaldéens, melkites, nestoriens, Assyriens… c’est à y perdre son grec pour arriver à s’y retrouver. Ces divisions sont à la fois territoriales et théologiques. L’Orient des origines est divisé en quatre patriarcats : Alexandrie, Antioche, Jérusalem et Constantinople. Chacun a développé son école théologique et a voulu prendre son indépendance par rapport aux autres, ce qui a donné quatre familles spirituelles de chrétiens, avec leur liturgie propre. D’autres divisions s’y sont ajoutées : linguistiques et politiques notamment. Alors qu’en Occident, les chrétiens restent unis autour de Rome en dépit de la décomposition de l’Empire romain, en Orient ils s’opposent et se rattachent à un grand patriarcat, alors même que l’Empire byzantin demeure uni. Aujourd’hui, on a des églises nationales, la plus importante étant les Coptes en Égypte. Certains chrétiens sont en revanche demeurés fidèles à Rome, ou bien l’ont rejoint à partir du XVe-XVIe siècle. Ce sont les chrétiens catholiques (Grecs-catholiques ou Arméniens-catholiques par exemple).
On a donc aujourd’hui trois grandes familles de chrétiens d’Orient. Les églises qui se sont séparées avant le concile de Chalcédoine (451) : arméniens, syriens, coptes. Les églises qui se sont séparées après ce concile (à l’issue de celui-ci ou pour d’autres raisons) : Alexandrie, Antioche, Chypre, Constantinople. Les églises qui sont rattachées à Rome : maronites, Chaldéens, melkites, Coptes et Arméniens catholiques.
Les langues liturgiques employées sont diverses : grec, syriaque (forme moderne de l’araméen), arabe. À cela il faut ajouter les chrétiens vivants en Inde. Ce sont les descendants des populations évangélisées par l’apôtre Thomas au Ier siècle. Oubliés ensuite, ils ont été redécouverts au XVIe siècle lors des voyages des Portugais dans la région. Ils forment l’église malabare. Certains sont rattachés à Rome, d’autres aux chaldéens (Irak). Rien n’est simple donc, et chacune de ces églises est l’héritière d’un soubresaut de l’histoire, d’une strate culturelle ou d’oppositions parfois millénaires. Cette densité et cette profondeur historique échappent largement aux diplomates qui ont à traiter ces questions. C’est une grave erreur, car on ne peut rien comprendre à cette région et aux jeux diplomatiques actuels des États arabes si l’on n’a pas ce cadre théologique et historique à l’esprit.
L’arrivée de l’islam
Le grand bouleversement intervient au VIIe siècle avec l’arrivée des Arabes islamisés. Les causes et les raisons de cette conquête ont beaucoup agité les historiens, notamment pour arriver à expliquer pourquoi elle s’était faite aussi rapidement et pourquoi l’islam avait réussi à s’imposer. Au vu des connaissances actuelles, plusieurs points d’accord se dégagent. Les Arabes ont profité de l’épuisement des deux empires, les Perses et les Byzantins, qui après plusieurs siècles de guerre n’étaient plus en mesure de faire face à cette invasion. Les Arabes sont peu nombreux, mais ils sont presque tous des combattants. Leur armée fait donc jeu égal avec celle des Perses et des Grecs. C’est l’avantage des peuples nomades sur les sédentaires. Beaucoup de chrétiens ont accueilli avec soulagement l’arrivée des Arabes, car c’était pour eux un moyen de se débarrasser des Grecs. C’est notamment le cas en Égypte où ils ont ouvert les portes d’Alexandrie afin de s’allier avec eux pour chasser les Byzantins. L’impôt qu’ils devaient payer, le dhimmi, valait bien l’impôt que leur faisaient payer les Byzantins. D’autre part, l’islam est une forme dérivée d’hérésies chrétiennes. C’est ce qu’a démontré la thèse du Père Édouard-Marie Gallez, Le Messie et son Prophète, parue en 2005. C’est le mouvement des judéonazaréens, qui rejette notamment la divinité du Christ, qui mélangé à des cultes arabes préislamiques a contribué à forger l’islam. Pour les chrétiens de cette zone, qu’ils soient nestoriens (disciple de Nestorius, mort en 451), ariens (disciples d’Arius, mort en 336) ou Assyriens, les disciples de Mahomet n’étaient pas très différents d’eux. Cette pensée dérivée d’hérésies chrétiennes pouvait se concilier avec leur propre religion. S’ils ont donc perdu sur le plan militaire, ils n’ont pas non plus cherché à manifester une trop forte opposition.
Sur le long terme toutefois, l’imposition de l’islam a eu des conséquences négatives pour les chrétiens d’Orient.
Un rôle administratif et intellectuel
Sous l’Empire ottoman, les chrétiens d’Orient occupent souvent des postes importants dans l’administration de l’Empire. Hauts-fonctionnaires, officiers, commerçants de renom comme les Arméniens, ils sont la colonne vertébrale de l’Empire, ce qui suscite à la fois admiration et jalousie. S’ils sont tolérés par les Ottomans, ils subissent aussi régulièrement des persécutions et des déportations. Soliman le magnifique signe un traité politico-commercial avec François 1er en 1528, les capitulations, par lequel la France devient la protectrice des chrétiens d’Orient. Le roi reprend ainsi la politique de Saint-Louis et des Capétiens à l’époque des Croisades. Ce rôle de protecteur des chrétiens du Levant est une constante de la diplomatie française. Napoléon III fut également un ardent défenseur de ces populations, de même que la IIIe République, toute anticléricale qu’elle était sur le plan intérieur. « L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation » conclu Léon Gambetta. Durant la première guerre mondiale, la France voulut aussi protéger les chrétiens de Syrie et du Mont-Liban. D’où les accords entre Mark Sykes et François Georges-Picot en 1916. Accords qui sont le triomphe de l’école historique et géographique française de la fin du XIXe siècle. Encore aujourd’hui, ce sont des Français qui sont intervenus en Syrie et en Irak pour aider les chrétiens d’Orient, alors que la diplomatie de l’État faisait n’importe quoi. La diplomatie privée s’est révélée meilleure et plus réaliste que la diplomatie publique. Cette exposition à l’IMA s’inscrit dans cette longue tradition française pour le Levant. Le texte de l’accord entre Soliman et François 1er y est d’ailleurs exposé. C’est l’une des pièces les plus belles et les plus émouvantes de l’exposition.
La nahda ou le réveil de l’arabité
Au XIXe siècle, les chrétiens d’Orient ont joué un rôle essentiel dans l’indépendance de leur pays et le renouveau intellectuel de la culture arabe. C’est eux qui ont installé les premières imprimeries, développés les écoles et les universités. C’est à eux que l’on doit la nahda, la renaissance de la culture arabe. Ils prônent l’arabité comme facteur d’union et de cohésion des populations. C’est une façon de placer la religion au second plan. Étant minoritaires, si l’unité se fait autour de l’islam ils ne peuvent être que rejetés. Ces intellectuels développent et diffusent les sciences, la littérature, la réflexion politique. Ils veulent prendre ce qu’il y a de meilleur de l’Occident sans se faire inféoder. C’est le travail important réalisé notamment par le Libanais chrétien Boutros al-Boustani (1819-1883). Développer la raison, favoriser la démocratie, autant de thèmes qui s’opposent à l’islam et à l’Empire ottoman. Simultanément à la nahda se développe le fondamentalisme musulman, reprenant le wahhabisme du XVIIIe siècle, notamment avec les Frères musulmans, créés en 1928 par Hassan al-Banna. Si la nahda a pu contribuer à faire naître des États laïcs comme la Turquie, la Syrie et l’Irak (avec le parti Baas), ce sont aujourd’hui les fondamentalistes qui ont le dessus.
Les drames du XXe siècle
Pour les chrétiens d’Orient, le XXe siècle fut marqué par les persécutions et les massacres, qui se poursuivent encore aujourd’hui. L’exposition évoque justement le massacre des Arméniens perpétrés par les Ottomans et piloté par les Jeunes Turcs. Il s’est déroulé entre 1915 et 1916 pour le gros des massacres et a été poursuivi jusqu’en 1923. Il est difficile de connaître avec précision le nombre de morts. Il est évalué actuellement au deux tiers de la population arménienne vivant dans l’Empire, soit 1.5 million de personnes. L’exposition évoque aussi le massacre des Assyriens. C’est une excellente chose, car celui-ci est très souvent passé sous silence. En parallèle des tueries contre les Arméniens, les Assyriens sont déportés de leur zone de peuplement pour être internés ou mourir dans les déportations. Les estimations actuelles varient entre 250 000 et 700 000 morts, soit entre la moitié et 70% de la population. Ces Assyriens sont des Chaldéens, des Syriaques, des Araméens, tous chrétiens. Les massacres ont été perpétrés entre 1914 et 1920. Or ceux-ci vivaient dans la région actuellement appelée Kurdistan et les massacres ont été perpétrés par les Turcs et par les Kurdes, qui ont planifié cette épuration ethnique afin de pouvoir ensuite proclamer leur indépendance au nom de l’unité du Kurdistan. Si la conférence de la paix n’a pas voulu créer un Kurdistan indépendant en 1920, c’est notamment parce que certains ambassadeurs ne voulaient pas donner un État aux Kurdes qui venaient de massacrer autant de personnes. Les Kurdes se sont bien gardés de rappeler cela lorsqu’ils ont proclamé leur indépendance début octobre 2017.
Parallèlement à cela eurent lieu les massacres des Grecs du Pont. Entre 1916 et 1923, ce sont environ 350 000 Grecs vivant dans la région du Pont qui furent déportés et massacrés par les Turcs. Entre les Arméniens, les Assyriens et les Grecs on obtient un nombre de morts proche de 2.5 millions de personnes. Les chrétiens qui représentaient 20% de la population du Moyen-Orient en 1900 en représentent 3% aujourd’hui. Certes, les Arabes musulmans ont une plus grande fécondité que les Arabes chrétiens, mais les massacres et les déportations forcées expliquent aussi en partie cette évolution.
En présentant sobrement et rationnellement ces deux mille ans d’histoire, cette exposition permet de mieux appréhender la géopolitique très complexe de l’Orient.