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Les conséquences géopolitiques du communisme

5 mai 2022

Quand en octobre 1917 les bolcheviks se sont emparés du pouvoir, la plupart des observateurs européens n’imaginaient pas les causes nombreuses que ce nouveau régime allait provoquer. La révolution d’octobre était dans la continuité de celle de février, qui avait renversé un tsar affaibli que personne ne semblait vraiment regretter.

La lecture des chroniques diplomatiques de Jacques Bainville publiées au cours de cette année montre que cet historien, très au fait de la Russie, analyse l’événement d’octobre dans sa continuité. Ce n’est que plus tard que cet événement a été perçu comme une rupture, quand il est apparu aux yeux de tous que ce n’était pas seulement un nouveau régime qui avait pris le pouvoir, mais aussi une nouvelle idéologie.

Les conséquences géopolitiques de l’arrivée du communisme furent multiples. En Europe, il contribua à l’arrivée au pouvoir du nazisme et du fascisme. Ces idéologies s’inscrivent dans l’histoire particulière de l’Allemagne et de l’Italie, mais elles se sont aussi développées à cause de la peur du communisme propagée dans certaines couches de la population. Populations qui n’ont pas vu, d’ailleurs, que le fond de ces idéologies était le même, à savoir le socialisme. C’est cette « guerre civile européenne » qu’a analysée l’historien allemand Ernst Nolte, dans un ouvrage qui fit beaucoup de bruits dans le monde intellectuel allemand. L’irruption du bolchévisme a donc fracturé l’Europe dès les années 1920.

C’est une Europe coupée en deux qui a surgi de la Seconde Guerre mondiale, la partie ouest se rattachant irrémédiablement aux États-Unis pour éviter d’être mangé par Moscou. Là aussi, la peur de l’invasion communiste, réelle quoiqu’amplifiée, a eu des répercussions géopolitiques : la construction européenne d’une part, l’inféodation aux États-Unis d’autre part. De l’autre côté du mur, c’est la peur agitée de l’invasion américaine qui a servi de justification à Moscou pour contrôler les territoires occupés. Le communisme provoqua une rupture artificielle et nouvelle entre Europe de l’Est et Europe de l’Ouest, qui demeure encore aujourd’hui dans les esprits. C’est aussi une des conséquences de la fin de l’empire autrichien, qui a laissé l’Europe centrale avec un ventre mou.

Communisme

Par Jean-Baptiste Noé, IdL

 

La terre du milieu de Mackinder

La Guerre froide a donné lieu à une intense pensée géopolitique dans le monde anglo-saxon, alors même qu’il fut interdit de l’employer à l’université française parce que le concept fut assimilé au nazisme. Pour les Américains, la Guerre froide semblait en effet valider les thèses d’Halford Mackinder (1861-1947). Cet amiral anglais et professeur de géographie à Oxford c’était fait connaître par un article dans le Geographical journal de 1904. Il y développait le concept géopolitique de centre géographique. Pour lui, c’est autour du pivot (le heartland) que s’articulent toutes les dynamiques géopolitiques de la planète. Ce pivot c’est l’Eurasie, qui est tenue par la Russie, et que l’Angleterre n’arrive pas à atteindre.

Pour ceinturer le heartland, il faut tenir les coastlands, c’est-à-dire contrôler les territoires autour de la Russie. En 1904, l’Angleterre était ennemie de l’empire russe, l’empêchant notamment de contrôler les détroits et d’arriver à la Méditerranée. Londres encerclait Saint-Pétersbourg en contrôlant les Indes, en étant présent en Chine et en luttant en Afghanistan. Mackinder, en bon marin, ne cessait de rappeler le rôle essentiel de la marine pour la domination mondiale. Il s’agissait aussi d’empêcher l’alliance de l’Allemagne et de la Russie, qui permettrait le contrôle des terres intérieures, la constitution d’une zone inattaquable de défense et la mise en commun d’immenses ressources. Couper à tout prix l’Allemagne de la Russie passait par un traité d’alliance conclu avec les tsars (la triple entente) pour contrebalancer la Triple alliance. Mackinder s’inquiéta lorsqu’en 1939 Hitler et Staline s’allièrent par un traité dont les clauses secrètes allaient beaucoup plus loin que la simple non-agression. De même lorsqu’en 1945, Moscou mis la main sur une grande partie de l’ancien empire allemand : Pologne et Allemagne de l’Est. Mais l’histoire nous montre que les alliances terrestres ont toujours échoué jusqu’à présent. Napoléon, Hitler, Staline : tous ont tenté cette alliance et tous l’ont brisée.

 

Le containment de Kennan

L’Américain Georges Kennan, diplomate et journaliste, reprit la thèse de Mackinder pour l’actualiser face à la guerre froide naissante. C’est à lui que l’on doit la définition du containment, qui servit de doctrine à quasiment tous les présidents américains jusqu’à Ronald Reagan. En juin 1947, sous le pseudonyme de X, il écrivit un article, The Sources of Soviet Conduct (Les sources de la conduite soviétique). Il y explique la politique étrangère de Staline comme une combinaison de l’idéologie marxiste-léniniste, qui prône la défaite des forces capitalistes à travers le monde, et sa propre détermination à utiliser la notion d’« encerclement capitaliste » comme feuille de vigne pour légitimer son embrigadement de la société soviétique et consolider son pouvoir. Il est donc nécessaire, selon Kennan, que les États-Unis répliquent par une politique d’endiguement destinée à contenir l’expansionnisme soviétique. C’est le fameux principe du containment. Cet endiguement doit se faire en tenant les côtes pour éviter que la centralité soviétique ne se diffuser vers l’Europe et l’Asie.

Il faut donc mettre en place des contre-forces au pouvoir soviétique. Beaucoup pensent que les contre-forces sont militaires, ce qui n’est pas l’esprit de Kennan. Pour lui, elles sont politiques. L’URSS ne cherche pas à prendre les pays par la force, mais par l’intrusion des partis politiques, notamment en Europe. Il faut donc résister sur ce point, et les États-Unis doivent développer les résistances politiques aux Soviétiques. C’était très bien vu de la part de Kennan qui a compris que la Guerre froide était une guerre subversive et intellectuelle et qu’elle se gagnerait donc sur ce terrain-là.

 

Quand le communisme s’étend là où on ne l’attend pas

Karl Marx ne pensait pas possible que la Russie se livre au communisme. Lénine et Staline limitaient leurs regards vers l’Europe ; c’est finalement en Asie que le communisme se diffusa. La Mongolie, dès 1917, la Chine, puis la Corée et l’Indochine. Il y laissa son lot de morts, que les manuels scolaires français d’aujourd’hui se gardent bien d’évoquer. En Afrique, il accompagna les indépendances pour soutenir des dictatures socialistes, ce qui acheva de ruiner des pays déjà fragiles. En Amérique latine il provoqua la réaction américaine et le soutien à des dictatures militaires qui ne furent guère préférables. En 1980, le monde non communiste est beaucoup moins étendu que les pays qui s’y rattachent. Les observateurs pouvaient donc légitimement parier sur sa victoire.

 

Logiques nationales contre logiques idéologiques

Le communisme a recouvert du manteau de l’idéologie l’ensemble des conflits qui se sont tenus durant la Guerre froide. Le monde était finalement plus simple à penser. Pourtant, des failles dans l’unanimité ont commencé à se faire jour. C’est Tito qui refuse la mainmise de Moscou et qui se fait excommunier par le Politburo. Se faire traiter de titiste dans les années 1970 n’était pas un titre gratifiant. En Asie, on voit la Chine et l’URSS rompre leurs relations et se faire la guerre sur le fleuve Amour. Dans la péninsule indochinoise, l’URSS soutient le Vietnam et la Chine le Cambodge. La logique nationale reprend le dessus sur la logique idéologique. En Afrique, on analysa souvent les conflits comme l’affrontement entre les rouges et les bleus, alors que l’ethnicité et les failles historiques les expliquaient plus surement. Au Moyen-Orient, on découvre désormais que l’islamisme couvait sous la cendre.

En Europe de l’Est, ce sont les peuples et les nations qui se sont levés contre le communisme et qui ont permis de le faire tomber. Des hommes de force et de culture comme Vaclav Havel, Jean-Paul II, le père Popieluszko, Soljenitsyne. Ces hommes avaient compris le projet destructeur du marxisme qui visait d’abord à s’en prendre à l’homme, dans sa culture et son être, pour en faire un pion au service du régime. L’un des livres les plus émouvants qu’il m’a été donné de lire ces dernières années est Le bal après la tempête. Un livre très peu connu écrit par un Espagnol et traduit en français. José Miguel Cejas a interrogé des dizaines de dissidents soviétiques des pays baltes et il raconte leur histoire dans ce livre. On y découvre que les tortures et les arrestations ont duré jusqu’en 1991, et donc que le communisme conciliant n’a jamais existé. Ce livre est le témoignage de mères de famille, d’ouvriers, de musiciens, de prêtres qui ont lutté de façon anonyme contre l’idéologie. En plus d’un système concentrationnaire massif, le communisme a réalisé la servitude volontaire et quotidienne qu’Étienne de la Boétie décrivait déjà au XVIe siècle.

C’est le réveil des peuples qui a abattu le communisme en Europe, mais celui-ci survit encore en Amérique latine et en Asie.

 

La faillite intellectuelle de la France

Dans L’étrange défaite, Marc Bloch essayait de comprendre les causes de la défaite surprenante de la France en 1940. Pour les historiens du début des années 2000, c’est un autre sujet qui s’annonce ardu : comprendre pourquoi des hommes, qualifiés d’intellectuels, ont pu défendre avec autant de passion et de force le communisme. Aujourd’hui encore, cette idéologie est globalement considérée comme bonne. On impute ses erreurs à Staline, le stalinisme, ce qui fut un très beau coup politique de Khrouchtchev : imputer les crimes du communisme à Staline pour laver le communisme de ses crimes. Cette erreur est toujours présente dans les manuels scolaires qui parlent du stalinisme et rarement du communisme et qui évoquent la fin du système totalitaire en 1953 (mort de Staline), omettant que celui-ci se prolonge jusqu’en 1991. Un tel aveuglement est non seulement un objet d’histoire, mais aussi un sujet d’inquiétude pour le présent. Il se poursuit quant à l’incapacité à penser et à comprendre l’islamisme et des mouvements culturels qui touchent certaines parties du monde. C’est le refus du réel, l’enfermement dans l’idéologie, qui fait que l’on peut encore parler de commémoration pour évoquer un événement qui a déclenché la mort de dizaines de millions de personnes.