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Nouvelle-Calédonie, un enjeu stratégique

4 octobre 2021

Le voyage d’Emmanuel Macron en Nouvelle-Calédonie aura permis de replacer cet archipel au centre de la réflexion géopolitique. Pour la France comme pour l’Europe, il revêt une importance stratégique majeure qu’il est bien dommage de limiter à la seule question de l’indépendance et au référendum de novembre prochain. Face à une Chine conquérante dans le Pacifique et compte tenu de la richesse du sous-sol et de la mer, la présence stratégique française est de plus en plus indispensable dans cette zone. Par Jean-Baptiste Noé.

 

Français depuis 1853

L’archipel de Nouvelle-Calédonie a été conquis par la France en 1853, avant que ne commence la grande expansion coloniale de la fin du XIXsiècle. Pour Napoléon III, il s’agissait de contrer l’influence des Anglais et des Hollandais dans le Pacifique et de trouver un espace libre pour fonder une colonie pénitentiaire. La population européenne est pour une part issue de la déportation des prisonniers et des condamnés. 2 000 communards sont ainsi déportés en Nouvelle-Calédonie après la Commune de 1871. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’archipel sert de base militaire aux Américains pour les opérations lancées contre le Japon. À partir des années 1950, l’archipel connaît une très forte croissance économique, grâce à l’exploitation du nickel (troisième producteur mondial) et un début de développement touristique. Dans le même temps, les indépendantistes kanaks se révoltent de nouveau et mènent des combats contre la présence française. Une période difficile fut vécue entre 1984 et 1988, avec une série d’attaques menées par les indépendantistes. Cela a culminé avec l’attaque de la gendarmerie de Fayaoué le 22 avril 1988, durant laquelle quatre gendarmes ont été tués. Les autres sont pris en otage. Séparée en deux groupes, une partie des otages, menée par Alphonse Dianou, est enfermée dans une grotte, considérée comme sacrée par les peuples locaux. Le premier groupe est libéré au bout de trois jours, grâce à l’intercession des chefs coutumiers. Pour le groupe enfermé dans la grotte la situation se tend et dégénère, provoquant l’intervention de l’armée française qui aboutit à la mort de deux otages et de dix-neuf indépendantistes.

À la suite de ce drame, les accords de Matignon sont signés le 26 juin 1988, qui accordent davantage d’autonomie à la collectivité locale. Dix ans plus tard, en 1998, une suite est donnée à ces traités avec l’accord de Nouméa du 5 mai 1998. Celui-ci engage notamment un référendum sur l’indépendance au bout de vingt ans. Nous y sommes donc, et le référendum se tiendra en novembre 2018. Celui-ci n’est d’ailleurs pas sans poser des problèmes constitutionnels. La plupart des lois de Nouvelle-Calédonie sont contraires à la constitution, notamment le principe d’égalité qui n’est pas respecté. Un Parisien ne peut pas voter en Nouvelle-Calédonie puisqu’il faut dix ans de résidence pour pouvoir prendre part au vote. Il a donc fallu inclure la Nouvelle-Calédonie dans la constitution, pour éviter que le Conseil constitutionnel ne censure l’ensemble des mesures prises. On peut du reste s’étonner que l’on demande leur avis aux populations de Nouvelle-Calédonie, mais pas à la population française, qui devrait pourtant pouvoir s’exprimer sur la sécession d’une partie du territoire national. Lors de la sécession algérienne, un référendum avait été organisé en Algérie et un autre sur le continent. Le processus en cours dans ce dossier est le même que celui qui a eu lieu en Crimée : les habitants de Crimée ont pu voter sur leur indépendance, mais pas les habitants du reste de l’Ukraine. La France avait alors crié au scandale, sans avoir de gêne à faire la même chose avec ce territoire.

 

L’ambivalence de l’indépendance

Comme pour toutes les sécessions et les indépendances, il y a des ambivalences non tranchées. Si certains chefs kanaks rêvent d’indépendance, c’est en espérant pouvoir faire main basse sur les mines de nickel qui, n’en doutons pas, seront rapidement nationalisées. On peut alors tout à fait prévoir le processus qui suivra le jour d’après, tant cela s’est vu ailleurs : corruption généralisée des chefs kanaks qui revendront les concessions aux grands groupes étrangers, exploitation des mines à outrance, pauvreté, violence et crimes en hausse sur l’archipel. La voie de l’indépendance serait la victoire des chefs coutumiers et des petits arrangements tribaux, aboutissant à un déclassement du territoire sur le modèle du Venezuela et de nombreux pays d’Afrique. De cela, la population de l’archipel en est consciente puisque l’indépendance, pour l’instant, n’a pas la côte. Du reste, la population n’est pas malheureuse. Elle est plus riche, plus développée et plus éduquée que l’ensemble des îles de la région pacifique et mélanésienne. Nous sommes-là sur un scénario très classique de ressentiment interne, mais de fort développement par rapport aux autres îles, comme on le constate aussi pour les Antilles françaises par rapport au reste des Caraïbes.

Pour la France, cet ensemble d’îles est essentiel dans son positionnement stratégique. La Zone économique exclusive (ZEE) y a été portée de 200 milles marins à 350 milles, ce qui assure une forte présence sur les richesses halieutiques et les fameux nodules polymétalliques, dont on annonce monts et merveilles pour l’avenir. Il est très réducteur de ne voir ce dossier que sous l’angle des revendications nationalistes des Kanaks. L’archipel est situé dans une zone stratégique entre la Chine, l’Indonésie et l’Australie. En cas d’indépendance, la mainmise chinoise est à redouter. Raison pour laquelle l’Australie soutient la France sur ce dossier et tente de réaliser un axe Paris, New Delhi, Canberra afin de contrer l’expansion chinoise dans le Pacifique.

Le Pacifique est désormais une zone importante du grand jeu mondial. Zone de passage et de circulation, zone de richesses minières, zone de points d’appui stratégiques, elle intéresse grandement l’Empire chinois, qui s’appuie sur sa diaspora nombreuse comme autant de points de relais. Par des financements et des subventions, la Chine excite et anime l’autonomisme mélanésien, dans les îles Fidji, aux Tonga, ou bien en Nouvelle-Zélande et en Nouvelle-Calédonie. Par des promesses de contrats juteux agités devant les chefs coutumiers Kanaks, elle espère détacher cette région de la France pour mieux la coloniser, à l’image de ce qu’elle peut faire en Afrique. Corruption et domination chinoise sont les termes prévisibles d’une indépendance factice. Comprenant le danger, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne soutiennent plus les indépendances mélanésiennes, mais se mettent désormais du côté de la France pour contrer les ambitions chinoises.

 

Pour la France, une zone stratégique

Il est donc essentiel que la France y maintienne sa présence. Militaire d’une part, grâce à sa flotte, économique et scientifique d’autre part. On promet beaucoup sur les nodules polymétalliques, mais on voit encore peu de choses arriver. L’analyse scientifique et technique devrait pourtant s’y développer. De même que les questions de protection de l’environnement et de sauvegarde des océans. Il y a un discours écologiste rationnel, sain et non idéologique à développer. Tout comme sur la question de l’exploitation du nickel, qui doit se faire dans le respect des normes éthiques et environnementales. Mais fondamentalement, la question posée aussi en Nouvelle-Calédonie est la question de ce qu’est la France. En cela, il est bien dommage que le référendum n’ait pas lieu aussi en métropole. Emmanuel Macron a redit que la population souhaitait rester dans la République. Mais qu’est-ce que cette république que l’on essaye de vendre partout ? Un régime politique, une constitution, une idéologie politique ou une religion d’État ? Comme sur la question du djihadisme, on agite le drapeau de la république comme solution aux problèmes, en n’osant plus, tout simplement, parler de la France. Pas sûr que la simple adhésion aux valeurs de la République et au vivre ensemble suffise à créer une volonté de rester français chez les Kanaks et les Caldoches. Le président n’a pas parlé de la France, mais reste enfermé dans cette logique de la « République », que l’on invoque aussi sur le dossier djihadiste, mais qui se révèle surtout une impasse. Serait-ce trop difficile de parler de la France, de sa présence dans la région et de son rôle dans le monde ?