"Quand un économiste vous répond, on ne comprend plus ce qu’on lui avait demandé " - André GIDE
"La protection douanière est notre voie, le libre-échange est notre but " - Friedrich LIST
"Le bon stratège contraint l'ennemi et ne se laisse pas contraindre" - Sun TZU
"Le rituel de l’échange est le rituel majeur de la neutralisation de la violence " - Jacques ATTALI
"On appelle progrès technique une capacité d’action de plus en plus efficace que l’homme acquiert par l’effort intellectuel sur les éléments matériels" - Jean FOURASTIE
"Il y a lieu d’adopter la stabilité du niveau des prix comme, à la fois, but de la politique monétaire, guide et critère de réussite" - Milton FRIEDMAN
"L'économie mondiale demeure une notion abstraite aussi longtemps que l'on ne possède pas un compte en banque" - Achille CHAVEE
"Les investissements d'aujourd'hui sont les profits de demain et les emplois d'après demain" - Helmut SCHMIDT
"On ne peut devenir entrepreneur qu’en devenant auparavant débiteur. S’endetter appartient à l’essence de l’entreprise et n’a rien d’anormal" - Joseph SCHUMPETER
"L’inflation est toujours un phénomène monétaire" - Milton FRIEDMAN
23 novembre 2021
La guerre frappe durement le Soudan du Sud, où les affrontements ont provoqué de nouveaux morts et de nouveaux déplacés. Si l’on en parle de nouveau, la guerre n’a pourtant rien de nouveau, car elle dure depuis les années 1950, donc bien avant la partition du Soudan en deux pays en 2011. Par Jean-Baptiste Noé.
Un ancien protectorat anglais devenu indépendant
Le Soudan est situé le long du Nil et de ce fait il a été l’arrière-cour de l’Égypte. Le nord de la région est composé de populations arabisées et islamisées quand le sud comprend des ethnies qui ont rejeté et l’islam et l’arabisation. Celles-ci sont aujourd’hui animistes et chrétiennes. Ces diversités religieuses et culturelles se calquent sur les fractures ethniques, comme souvent en Afrique. Tenu à la fois par l’Égypte et par l’Angleterre, le Soudan a obtenu l’indépendance en 1955, avant de sombrer aussitôt dans la guerre civile. Les deux blocs, le nord et le sud se sont affrontés, le nord arabisé et islamisé voulant contrôler le sud. Depuis Khartoum, la capitale, le gouvernement central a mené des raids et des répressions en direction des sources du Nil afin d’intégrer cet espace dans son ordre de domination. La première guerre dura de 1956 à 1972. Elle se solda par un accord qui entérina un statu quo et un équilibre, une sorte de paix des braves, qui permit surtout à la guerre de se poursuivre par d’autres moyens, c’est-à-dire par un contrôle plus diffus. Les conflits reprirent en 1983 pour durer jusqu’en 2005. À l’issu de cette deuxième guerre, il fut décidé de l’organisation d’un référendum sur la question de l’indépendance du sud. Celui-ci devait être organisé six ans plus tard, ce qui laissait du temps à Khartoum pour éviter l’indépendance. Le référendum se tint comme promis en juin 2011 et près de 98% de la population du sud vota en faveur de l’indépendance, qui devint effective le 9 juillet 2011. Beaucoup d’observateurs crurent que, cette fois-ci, la paix allait s’installer et durer. Cela fut de courte durée, car le Sud-Soudan sombra à son tour dans la guerre civile pour le contrôle du pouvoir, deux ethnies se partageant la main mise sur le pays et voulant évincer l’autre pour s’assurer seul le contrôle. À cette guerre interne s’ajoutent les affrontements contre Khartoum, qui n’ont pas cessé. Une nouvelle guerre s’est donc ajoutée à la guerre.
L’enjeu du pétrole
Le Sud-Soudan possède de nombreuses réserves de pétrole, ce qui attise bien évidemment les convoitises des chefs politiques corrompus. La présence de ces puits a été l’une des raisons de l’opposition du nord à l’indépendance du sud, d’autant que la frontière tracée entre les deux pays passe au milieu des champs pétrolifères. Toutefois, toutes les routes d’exportation du pétrole passent par le nord, où se trouve notamment Port Soudan, le port pétrolier d’exportation de l’or noir situé sur la Mer Rouge et assurant les transits vers l’océan Indien et le canal de Suez. Un oléoduc construit en 1977 relie Port Soudan à Khartoum. Il ne reste qu’à relier Khartoum aux champs pétroliers du sud. L’indépendance du sud n’est donc pas une autonomie, et l’on comprend mieux que le nord ait laissé faire cette sécession. Outre qu’il n’avait plus les moyens financiers de la guerre, en raison notamment d’un embargo imposé par l’Occident, il lui était plus profitable de couper les routes du pétrole, afin d’isoler le sud qui se retrouve ainsi incapable d’exporter son pétrole. En 2011, certains commentateurs espéraient que le Sud-Soudan allait devenir un émirat pétrolier africain, et ainsi connaître le même développement économique que les Émirats arabes unis ou le Qatar. C’était méconnaître à la fois la réalité de l’organisation pétrolière de la vallée du Nil, mais aussi la réalité de la situation sanitaire et sociale du Sud-Soudan.
Un Sud Soudan où tout est à construire
Peuplé de 8,5 millions d’habitants, le Sud-Soudan est l’un des pays les plus pauvres de l’Afrique. La mortalité maternelle y est la plus élevée au monde et 10% des enfants meurent avant l’âge de cinq ans. De plus, par manque de structures et d’écoles, la très grande majorité de la population est analphabète. Dans ces conditions, un développement du Sud-Soudan était une illusion, même avec l’indépendance acquise en 2011. Tout y était à faire et à y bâtir, et le pétrole ne pouvait pas être la réponse à tous les maux. D’autant que, comme dans de nombreux pays, le pétrole est plus un mal qu’un bienfait. Excitant les jalousies et les désirs de richesse, le pétrole aiguise les appétits guerriers et les instincts bellicistes des groupes humains. Alors que 2011 devait ouvrir une période de paix et de construction, l’indépendance marqua l’écriture d’une nouvelle page d’affrontements et de guerres. En 2011, l’ONU estimait que les deux guerres avaient causé la mort de deux millions et demi de personnes et de quatre millions de réfugiés. La guerre qui secoue le pays depuis 2011 a fait 50 000 morts et trois millions de réfugiés. La violence et les drames humains continuent donc de s’étendre.
Les racines des oppositions tribales
Dès l’indépendance de 2011, deux hommes ont pris le contrôle du pays, Salva Kiir, un dinka, devenu président et Riek Machar, de l’ethnie nuer, qui fut vice-président. Les deux hommes ont fondé et dirigé un gouvernement provisoire en 2005, qui a organisé le référendum de 2011 et qui est ensuite devenu le gouvernement officiel au moment de l’indépendance. Ce sont deux guerriers, habitués à se battre et à porter le coup de feu. Ils ont vécu une partie de leur vie dans l’opposition à Khartoum et dans l’organisation et la structuration des milices d’opposition. L’attelage entre les deux hommes a tenu deux ans. Des élections présidentielles étant prévues pour 2015, Riek Machar a annoncé en 2013 vouloir s’y présenter. Salva Kiir l’a aussitôt limogé, ainsi qu’une partie du gouvernement, afin de contrôler seul le pays. Aidé par les Nuer, Machar a alors débuté une guerre armée qui dure encore, les élections n’ayant jamais eu lieu.
Le tribalisme et la corruption structurent cet État corrompu, qui comptait 300 000 fonctionnaires en 2011 pour 8,5 millions d’habitants. C’était une façon habile de tisser des féodalités et des liens de reconnaissance, ces personnes étant rémunérées avec l’argent du pétrole. La corruption assure la survie des groupes humains et des réseaux de fidélité, quitte à nuire au développement du pays.
Un cessez-le-feu a bien été conclu à la mi-décembre, mais celui-ci a été violé au bout de quelques jours. Des affrontements ayant engendré des morts se sont déroulés le jour de Noël dans la capitale, Djouba, provoquant de nouveaux départs. Le sentiment national est inexistant dans ce pays, qui demeure artificiel. L’opposition à Khartoum a permis l’union des Dinkas et des Nuer pendant de nombreuses décennies. Désormais que le Soudan du Nord n’est plus l’ennemi prioritaire, les rivalités ethniques du sud éclatent et cette opposition n’a aucune raison de s’arrêter. Les pays voisins tentent de jouer un rôle de médiateur, notamment l’Éthiopie, afin de trouver une solution à la crise des réfugiés que cela engendre. Mais c’est pour l’instant sans objet, les accords n’étant pas respectés. L’Ouganda et le Kenya interviennent en sous-main dans le jeu soudanais. Ces deux pays ont soutenu l’indépendance du sud, espérant ainsi pouvoir profiter d’un peu de sa manne pétrolière. La guerre qui dure ne fait pas leurs affaires, car cela bloque la production du pétrole. D’après l’ONU, la crise humanitaire de ce pays est pire que celle qui exista au Rwanda. Comme les fléaux volent toujours en escadrille, la sécheresse s’est abattue sur le pays, aggravée par la guerre, ce qui a accru les famines et donc les morts et les réfugiés. Hélas pour les populations civiles, aucune sortie de crise ne semble en vue pour l’instant et le drame humanitaire ne cesse de perdurer.