"Quand vous êtes capable, feignez l'incapacité. Quand vous êtes proche, feignez l'éloignement. Quand vous êtes loin feignez la proximité" - Sun TZU
"On appelle progrès technique une capacité d’action de plus en plus efficace que l’homme acquiert par l’effort intellectuel sur les éléments matériels" - Jean FOURASTIE
"Il y a deux manières de conquérir et d'asservir une nation, l'une est par les armes, l'autre par la dette." - John ADAMS
"Le succès est un mauvais professeur. Il pousse les gens intelligents à croire qu’ils sont infaillibles " - Bill GATES
"La vérité n’est pas l’exactitude " - Octave MIRABEAU
"Lorsque circulent dans un pays deux monnaies dont l’une est considérée par le public comme bonne et l’autre mauvaise, la mauvaise chasse la bonne" - Sir Thomas GRESHAM
"Il ne peut y avoir de crise la semaine prochaine, mon agenda est déjà plein " - Henry KISSINGER
"La productivité est la mesure du progrès technique" - Jean FOURASTIE
"La démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres" - Winston CHURCHILL
"L'économie c'est la science du sordide, non de la pureté " - Alfred SAUVY
13 janvier 2022
Il est peu probable que vous connaissiez Conches-en-Ouche. Comme son nom l’indique, cette ville de 5 000 habitants est située en Normandie, dans le pays d’Ouche. Par le train, il faut une heure et demi pour rejoindre Paris et la gare Saint-Lazare. C’est la merveille de la géopolitique : New-York, Pékin, Venise, Londres, Berlin sont des villes géographiquement plus loin, mais culturellement plus proche. Il n’est pas rare de s’y être rendu. On peut s’y donner rendez-vous, on en partage des souvenirs communs. La mémoire et le vécue mettent en communs les rues de ces villes, les boutiques, les entreprises. Elles font partie de notre quotidien, même s’y on n’y a jamais été. Conches-en-Ouche, en revanche, est l’une de ces villes inconnues, bien que désormais très proche de la capitale. Rien n’empêche le cadre parisien, le matin, de ne pas monter dans son train pour La Défense ou pour Cergy mais de s’offrir une heure trente de voyage pour un dépaysement complet et de passer une journée dans le pays d’Ouche. Sur le trajet de cette ville, il pourra relire les pages que Jean de La Varende consacre à son pays : « Voici les grâces secrètes de cette contrée. Le petit fleuve s’accoude à gauche sur une forte colline chargée d’arbres, mais cerne, à droite, une haute et lente moquette qui s’exhausse vers le sud. L’eau l’entoure d’un trait pur et chantant. ». Par Jean-Baptiste Noé.
La patrie des libéraux
Il pourra penser aussi à Denys Le Maréchal (1755-1851), né et mort non loin de Conches. Encore un grand homme oublié. Député sous la Révolution et la Restauration, membre de la Constituante, il est le dernier député de cette chambre à mourir. Commerçant d’origine, homme d’industrie et d’invention, il met au point un procédé pour fabriquer les épingles, devenant ainsi l’un des premiers praticiens de la division du travail. Il aurait influencé la réflexion d’Adam Smith sur les épingles et le travail. Le pays d’Ouche serait ainsi le berceau méconnu d’une pensée libérale.
Y est né également Augustin Fresnel, physicien qui a révolutionné les travaux sur l’optique. Né à Broglie, il est le cousin de Prosper Mérimée, l’écrivain, et le neveu de Léonor Mérimée, le père de Prosper, lui-même chimiste, travaillant sur la peinture et les couleurs. Broglie, la ville de Fresnel et des Mérimée est le nouveau nom de Chambrai, nom qui fut changé en 1742 quand cette région fut accordée à la famille de Broglie, qui joua un rôle si important sous la Monarchie de Juillet. Voilà encore quelques liens entre le pays d’Ouche et l’histoire de la pensée libérale.
Topographie du pays d’Ouche
Le pays d’Ouche a des qualités topographiques remarquables. Il est traversé par la Risle, dernier affluent de la Seine qui se jette dans le fleuve non loin de son estuaire. C’est un paysage de plateau calcaire fruit de la sédimentation de l’ancienne mer du Secondaire (100 millions d’années). Cette région, comme toute la partie nord de la France, a bénéficié du lœss. Les sols pauvres ont été recouverts par le lœss, une roche fertile issue des limons des plateaux, qui est déposée par les vents. Cette couche superficielle de roches a permis de mettre en culture des territoires non adaptés à l’origine pour l’agriculture. Le pays d’Ouche en fait partie, comme de nombreux terroirs normands. C’est ainsi qu’a pu se développer un paysage de pâturage, où dominent l’herbe et la vache, dessinant un bocage de champs fermés. À partir du XXe siècle, le bocage a laissé sa place à des champs ouverts, plus adaptés à la culture des céréales. Le blé et l’orge ont été chassés, petit à petit, par la vache. Le sud du pays d’Ouche est beaucoup plus forestier. Les chênes et les sapins règnent en maître dans la forêt de Breteuil, qui est une réserve cynégétique. Alternant espaces forestiers et espaces de champs, le pays d’Ouche offre une grande diversité de terroir.
Un enjeu politique
Rien ne laisse penser que la petite ville de Conches fut l’enjeu de batailles durant la guerre de Cent Ans. Munie d’une forteresse et contrôlant l’un des axes de la Normandie à Paris, Conches est un centre stratégique névralgique. La ville était tenue par Charles de Navarre, adversaire du roi de France, si bien que Du Guesclin en fit le siège en 1371. Navarre dut quitter les lieux et la ville repassa sous la juridiction française. Cette victoire permit de dégager l’étau enserrant Paris et de donner de l’assurance à Charles V face aux Anglais et à ses alliés. La rue principale qui traverse aujourd’hui Conches ne donne pas à penser de l’importance stratégique du lieu sous le règne de Charles V. Cette importance oubliée a ressurgi lors de la Seconde Guerre mondiale. Vu l’importance stratégique de la Normandie, les Allemands avaient aménagé un terrain d’aviation à proximité de Conches afin de contrôler l’axe fluvial de la Seine et la route vers Paris. La guerre demeure le meilleur allié de la géographie. Les sciences et les techniques donnent l’impression de s’affranchir des lieux, mais lorsque le combat ressurgit, chaque val, chaque butte reprend son importance stratégique. La permanence des lieux est ainsi marquée. Enjeu périphérique de la guerre de Cent Ans, Conches le fut aussi de la bataille de France, rappelant que la Normandie est tout autant une terre de paix que de guerre.
La carte à pied
C’est à pied, carte en mains, que l’on appréhende le mieux les micros terroirs, les pays locaux, le sens des côtes, des vallons, le rôle des ruisseaux et des rivières. La randonnée permet de rencontrer le paysage et de repartir à l’époque où les trajets se faisaient essentiellement à pied. Le vélocipède a été une aide majeure pour le développement du transport des personnes, puis le train et enfin la voiture. Le paysage ne s’éprouve pas de la même manière selon la façon dont on le traverse. La randonnée replace l’homme dans un environnement de géopolitique à petite échelle. Si vous regardez une photo satellitale, par exemple avec Via Michelin, vous verrez de façon très nette la rupture paysagère entre les finages de champs ouverts et ceux de forêts. Le point de rencontre entre les deux est la ville de Conches. La ville domine son entourage, elle agrège les populations grâce à la présence de ses commerces et de ses services. À l’échelle locale, elle domine. À l’Est est située Évreux, la grande ville de la région, qui assure les fonctions administratives et étatiques et qui présente les services de qualité plus élevée. Selon les besoins, selon l’échelle étudiée, les rapports de force sont importants ou sont faibles. Pour l’accès aux commerces et aux écoles, c’est Conches qui domine sur les villages alentours. Pour les services administratifs ou certains services tertiaires importants, c’est Évreux qui commande. La géopolitique locale permet d’étudier ces rapports de force, et donc le lien des habitants aux territoires, à leur cadre de vie, à leurs besoins. Nous ne sommes qu’à une heure trente de Paris. Il est probable que des habitants de Conches aillent travailler près de la gare Saint-Lazare. Néanmoins, en dépit de la proximité temporelle, l’éloignement culturel avec Paris est grand. Nous sommes encore dans le bassin parisien, mais nous ne sommes plus en Île-de-France. La vie se pense et s’organise différemment qu’à Paris, en dépit de l’intrusion de la télévision et de l’uniformisation des pratiques de vie. Sur certains points, un Parisien aura une vie plus semblable à un habitant de New York et de Berlin que de Conches. C’est cette géopolitique locale des emboitements gigogne que peut révéler l’étude de la position géographique de Conches-en-Ouche.