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"Il y a deux manières de conquérir et d'asservir une nation, l'une est par les armes, l'autre par la dette." - John ADAMS
4 mai 2021
Si vous voyagez en avion, pour des motifs personnels ou professionnels, vous avez pu constater les enchaînements d’espace des aéroports internationaux. D’un côté il y a la promesse d’ouverture, d’accès au lointain et aux destinations plus ou moins folkloriques, de l’autre il y a les murs, les zones contrôlées et surveillées, interdites ou restreintes. L’aéroport est devenu un espace autonome, une ville enchâssée dans la ville et pourtant relié à la ville-mère, mais une zone qui se suffit à elle-même. C’est une belle image de la mondialisation : l’ailleurs est facilement accessible, mais les murs et les zones interdites sont partout. Par Jean-Baptiste Noé.
Citoyen d’un pays et citoyen du monde
C’est la première rencontre avec l’aéroport. Le voyageur y est ailleurs et pourtant chez lui. Tous les aéroports se ressemblent, l’architecture y est presque similaire, on y trouve le même cloisonnement d’espaces : salles communes, salles d’embarquement, salles des personnels. On sait pouvoir y rencontrer le duty free, les contrôles et les barrières. Pour peu que l’on ait l’habitude de voyager, on est chez soi partout, car tous ces aéroports se ressemblent. Ils sont l’expression même de l’uniformisation amenée par la mondialisation : même organisation, mêmes boutiques, même langage international. Mais chaque aéroport exprime aussi l’esprit et la culture de la ville et du pays où il se trouve. Les restaurants proposent des plats du lieu, comme les boutiques vendent les spécialités du pays. À côté du globish, les panneaux sont écrits en langue locale. C’est une impression très curieuse que donnent ces aéroports internationaux que d’être à la fois partout et en un lieu précis. À l’aller, on peut s’attarder dans l’aéroport de départ, mais une fois atterri, on passe très peu de temps dans l’aéroport d’arrivée, que l’on ne connaît vraiment qu’au retour, c’est-à-dire au moment où l’on va le quitter.
Espaces autorisés et zones interdites
Les frontières sont effacées nous dit-on. Pourtant nul autre endroit qu’un aéroport ne comprend autant de barrières et de zones interdites. Pour le public, il y a les zones de départ et d’arrivée. Espaces de passages, de quatre vents, impersonnels et froids. Le premier triage se fait aux bureaux d’enregistrement. Chaque compagnie a le sien et l’on distingue déjà les compagnies nobles, dont le bureau est à proximité des portes d’entrée, des compagnies low cost, dont le bureau est situé au loin. Premier barrage et première frontière. Ensuite, il y a le passage des contrôles. Alors que partout en Europe les contrôles aux frontières ont été abaissés, dans les aéroports ils n’ont cessé d’être relevés, pour atteindre un degré de précision qui vire à la paranoïa. Pour passer le portique, il faut se déshabiller presque entièrement, vider sac et bagage, s’excuser presque de souhaiter entrer dans la salle d’embarquement. Le passage sous le portique est un rite initiatique plus rude encore que le jugement dernier. Tout est prétexte à sonnerie, et le cri strident du détecteur barre la route à l’impétrant plus durement encore que Charron qui faisait passer les voyageurs dans l’Enfer des Romains. Tout y passe : ceinture, bagues, montre, clefs, genoux en fer et prothèses des anches. Malheur aux opérés qui veulent passer les portiques : ils devront justifier de tous les couinements du détecteur. Je pense à chaque fois à cette superbe scène du Clan des Siciliens où Jean Gabin et Alain Delon présentent seulement leur billet pour entrer dans l’avion puis peuvent monter la passerelle pour rejoindre leur place. Nul besoin de se dévêtir et de vider leur bagage pour accéder à l’avion. C’était dans les années 1960. Plus près de nous, dans les années 1990, ils étaient encore possibles de monter librement dans l’avion. On y fumait, on pouvait même avoir un canif avec soi pour pouvoir y piqueniquer. On invoquera bien sûr la sécurité et les actes terroristes pour justifier de tels contrôles, ils n’empêchent qu’ils nuisent au plaisir de l’avion.
Enchevêtrement des espaces
Pour ceux qui, sur les vols long-courriers, ont des billets business ou premium, les contrôles sont allégés. Première différence avec les billets economy du commun des mortels. Alors que dans le train la différence entre la 1ère et la 2nde est ténue, alors que dans le métro et le RER elle a disparu, dans l’avion elle ne cesse de s’accroître. Ce sont des frontières invisibles qui se poursuivent jusque dans l’appareil. Dans la salle d’embarquement aussi on trouve des espaces séparés selon la carte de fidélité de son transporteur. Cet enchevêtrement des espaces témoigne du fait que les frontières ici abaissées, voire abolies, se créent ailleurs. Ce n’est pas forcément un mal, c’est la nature humaine.
Les salles d’embarquement sont devenues à la fois des salles de travail et des centres commerciaux. À Orly comme à Roissy, on y trouve des bureaux à partager, avec connexion wi-fi, fauteuils, prises, lieux intimes pour pouvoir converser au calme. Ces espaces sont aussi des centres commerciaux et pas seulement pour les duty free. C’est le cas de Schiphol à Amsterdam. Une galerie commerciale, des boutiques tout le long, on se croirait presque dans les boutiques de La Défense. Ces aéroports, comme Schiphol, sont essentiellement des lieux de transit par où passent une partie des vols européens pour rejoindre d’autres destinations. Des hommes en transit vers ailleurs, venant de pays parfois très lointain, ayant derrière eux de longues heures de vol, le tout réuni dans un espace restreint, au milieu de boutiques internationales, de luxe, de high-tech et de parfums. Curieux mélange que ces personnes de multiples langues et de multiples cultures qui se croisent de façon désordonnée avant de rentrer en ordre dans leur avion, au siège prévu et à l’heure dite.
Barrières et frontières
Les barrières et les frontières distinguent les porteurs de billet des accompagnateurs. Puis elles séparent les billets entre eux. Enfin il y a le Graal, les espaces voyageurs et les espaces staff only. Dans ceux-là, seuls les personnels et les membres d’équipage peuvent entrer. Portes en verre, contrôle des badges, caméras, clefs sécurisées. Tout semble neutre, propre, frais, mais les barrières sont omniprésentes, dures et glaçantes. C’est l’autre versant de l’aéroport, un espace parallèle, une autre dimension, essentielle pour le bon fonctionnement des vols et l’accueil des passagers, mais qui échappe complètement à la pensée des voyageurs. Dans ces aéroports plusieurs espaces se meuvent en parallèle sans jamais se rencontrer ; des asymptotes géopolitiques.
Quand on relit les ouvrages d’Antoine de Saint-Exupéry, les débuts de l’aviation où les pilotes se passent les bons tuyaux, tel arbre à contourner, telle ferme à éviter, on mesure à quel point, en moins d’un siècle, l’avion a complètement changé. 2h30 pour aller à Naples depuis Paris, 1h pour Londres, près de 3h pour les capitales d’Europe centrale. C’est moins que pour relier Paris à certaines capitales régionales. L’espace s’est rétréci et transformé, mais c’est surtout un nouveau monde et un nouvel univers qui a été créé. L’aéroport est autonome de la ville qu’il dessert. Avec ses hôtels, ses salles de réunion, ses boutiques, il se suffit à lui-même. Roissy est une structure impressionnante de 85 000 emplois et de 700 entreprises. Il génère 10% de la richesse de l’Ile-de-France. Orly est moins grand, seulement 25 000 salariés, mais c’est tout de même le dixième aéroport d’Europe. Qui se souvient encore du « dimanche à Orly » chanté par Gilbert Bécaud et Jacques Brel ? Qui se souvient de la terrasse et des cinémas où l’on venait le dimanche pour se promener et se divertir en regardant les avions décoller ? La terrasse fut fermée en 1975 suite à un attentat perpétré par Carlos. C’était la fin des dimanches et d’une certaine idée de l’aéroport, uni à la ville, lieu de vie et de détente. Après cela, ils acquirent leur autonomie.
La triade aéroportée
Pékin, Dubaï et Londres sont les trois aéroports les plus fréquentés au monde. Ils pèsent de leur poids de plate-forme multimodale. Dubaï joue son rôle de porte vers l’Asie et de lieu de transit, mais aussi de centres commerciaux et touristiques. Il démontre que l’aéroport peut être une destination en tant que telle. Ce qui fait leur poids, c’est aussi leur statut de quasi-monopole. Aux États-Unis il y a tellement d’aéroports à se partager les passagers et le fret qu’aucun ne rivalise avec ces trois-là. Lieu autonome, espace coupé et retranché de la ville, lieu à part composé d’une multitude de frontières, il manque à l’aéroport de s’inscrire dans des films, des romans et des BD pour véritablement entrer dans la légende, comme ont su le faire les ports. Ces strates de lieux divers figurent trop le passage et le transitoire pour réellement marquer les espaces. Ils posent néanmoins un défi : le monde qui se dessine, du moins dans une certaine forme, pourrait être un monde de ports et d’aéroports qui phagocytent les activités et les échanges et où les autres espaces ne comptent que de peu de poids.