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Risque stratégique autour du projet de baisse des dépenses militaires en France

11 mars 2013

Dans un contexte de rigueur budgétaire où l'Etat français cherche à réaliser des économies, le gouvernement envisage d'utiliser les dépenses militaires comme une variable d'ajustement. Cette option à l'avantage de s'avérer simple politiquement. En effet, les français ne descendent pas dans la rue pour réclamer une hausse des crédits militaires et les militaires sont tenus à un devoir de réserve qui leur interdit de faire grève. Toutefois, au regard de la situation actuelle et des enjeux, cette décision aurait des implications économiques et stratégiques très négatives.

 

Les dépenses militaires ne cessent de diminuer et sont à un niveau critique :

Depuis la fin de la guerre froide et avec  le passage d'une armée de conscrits à une armée professionnelle en 1996, les dépenses militaires de la France ont considérablement diminué. En effet, par rapport à  1990, la France compte aujourd'hui trois fois moins de militaires, six fois moins de chars et d'artillerie, et deux fois moins d'hélicoptères. Cette diminution de la taille de l'armée française correspond à une redéfinition de ses missions. L'armée a dû s'adapter à de nouvelles formes de conflits et aux nouvelles menaces qui pèsent sur la France (terrorisme, guerres asymétriques,...). En pratique, cela correspond à moins de militaires mais mieux formés et mieux équipés.

Toutefois, cette diminution correspond aussi à des impératifs budgétaires et à des choix politiques. A chaque période budgétaire difficile (1995, 1997 et 2008), c'est toujours le ministère de la Défense qui joue le rôle de variable d'ajustement. Cette situation aboutit à des dépenses militaires relativement modestes: 32 Milliards d'euros par an, soit 10% des dépenses de l'Etat. A titre de comparaison, la RATP correspond à des effectifs et des coûts supérieurs, et la fonction territoriale compte 1,8 million de personnes contre 200'000 militaires. Même si demain la France n'avait plus d'armée, les économies réalisées ne permettraient pas de couvrir les coûts liés au remboursement des intérêts de la dette. On estime qu'un pays doit réserver 2% de son PIB (ses richesses) pour maintenir un niveau minimum de sécurité; la France est déjà descendue à 1,5%.    

Les marges de manœuvres financières à court terme portent sur les investissements :

Les dépenses militaires liées aux effectifs sont déjà engagées et sont à leur maximum. Les effectifs militaires ont déjà fortement diminué en 20 ans, passant de près de 700'000 hommes au début des années 90 à environ 250'000 aujourd'hui. De plus, la loi de programmation militaire qui détermine la "taille" et le "périmètre" de l'armée prévoit déjà une diminution des effectifs de 54'000 hommes entre 2008 et 2015.

Dès lors, en cas de baisse des dépenses militaires, ce serait nécessairement les dépenses d'investissement qui seraient concernées car ce sont celles qui coûtent e plus cher. Les dépenses d'investissements couvrent les commandes, l'entretien et l'innovation en termes de matériel. Dès lors, cela reviendrait à diminuer les commandes, allonger la durée de vie du matériel, diminuer les exigences de qualités et enfin limiter les efforts de R&D (Recherche & Développement).

Diminuer les dépenses d'investissements aurait des conséquences économiques directes :

1) Les commandes passées par le ministère de la Défense sont pour partie déjà engagées car ce sont des investissements qui s'écoulent sur plusieurs années.

2) Les commandes s'adressent au complexe militaro-industriel et concernent l'emploi d'environ 165'000 personnes en France, avec des entreprises telles que EADS, Dassault, Safran ou Thalès.

3) Une grande partie des véhicules militaires sont obsolètes ou vieillissants. Les maintenir en état de marche dans ces conditions coûte plus cher à moyen-terme que d'investir dans du neuf.

4) Diminuer les exigences de qualité implique une moindre de sécurité pour le personnel militaire engagé sur les terrains d'opération.

5) Enfin, les dépenses de R&D permettent de créer de l'activité économique et engendrent des innovations technologiques majeures avec des retombées civiles. A titre d'exemple, internet a été développé par les militaires américains durant la guerre du Vietnam.

Les implications à moyen et long terme sont inquantifiables mais seraient majeures :

La diminution des investissements militaires aurait donc des implications économiques irrationnelles en faisant porter un risque supplémentaire sur des secteurs d'activité porteurs d'avenir technologiques et sur des emplois industriels.

D'un point de vue stratégique, l'effet de cette diminution serait de revoir à la baisse les objectifs de politique extérieur en termes d'indépendance nationale, de sécurité des ressortissants nationaux à l'étranger et de force de projection en cas de conflit. En d'autres termes, la France sortirait de fait du club des puissances militaires et sa sécurité et ses intérêts seraient placés sous la protection américaine. De plus, cela interviendrait à un moment où de grands pays tels que la Russie, le Brésil ou la Chine engagent un effort important dans ce sens.

Citation

Sylvain Fontan, “Risque stratégique autour du projet de baisse des dépenses militaires en France”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 11/03/2013.