"Le socialisme est une philosophie de l'échec, le crédo de l'ignorance et l'évangile de l'envie " - Winston CHURCHILL
"Pour être valable toute théorie, quelle qu'elle soit, doit être confirmée, tant dans ses hypothèses que dans ses conséquences, par les données de l'observation" - Maurice ALLAIS
"Nous sommes des créatures qui nous affligeons des conséquences dont nous continuons à adorer les causes " - BOSSUET
"On n’est jamais mieux gouverné que lorsqu’il n’y a pas de gouvernement" - Jean-Baptiste SAY
"Vous ne pouvez pas taxer les gens quand ils gagnent de l'argent, quand ils en dépensent, et quand ils épargnent" - Maurice ALLAIS
"Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France " - Maximilien DE BETHUNES, Duc de Sully
"Un peuple est pacifique aussi longtemps qu'il se croit assez riche et redouté pour installer sournoisement sa dictature économique" - Georges BERNANOS
"La productivité est la mesure du progrès technique" - Jean FOURASTIE
"Il ne peut y avoir de crise la semaine prochaine, mon agenda est déjà plein " - Henry KISSINGER
"La propriété est un droit antérieur à la loi, puisque la loi n'aurait pour objet que de garantir la propriété" - Frédéric BASTIAT
10 juin 2021
À l’Est, le monde essaye de se recomposer. L’Organisation de coopération de Shanghaï est l’une de ces tentatives pour contrer l’influence américaine et pour structurer un autre monde, tourné vers le Pacifique. Fondée le 15 juin 2001 à Shanghaï, elle regroupe six pays, dont la Russie et la Chine. S’ajoutent à ces deux grands le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l’Ouzbékistan. En juin 2017, c’est l’Inde et le Pakistan qui ont rejoint le groupe. À cela s’ajoutent quatre États observateurs : la Mongolie, l’Afghanistan, l’Iran et la Biélorussie.
Comme pour les meilleures équipes de football, sur le papier l’OCS a tout pour gagner. Une organisation qui regroupe près de la moitié de la population mondiale (Chine, Inde), et une grande partie de la surface habitée du globe (avec la Russie), présente une puissance jamais atteinte. L’OCS, c’est 43% de la population mondiale, 20% des ressources mondiales de pétrole, 40% du gaz naturel et du charbon et 30% de l’uranium. C’est une force commerciale et militaire largement supérieure à l’Union européenne et aux États-Unis. En favorisant l’union douanière de ses membres, l’OCS crée une zone d’échange compacte et rassemblée qui assure les transferts et les échanges en Eurasie. Par Jean-Baptiste Noé.
Les rêves géopolitiques de l’Eurasie
L’Eurasie est le septième continent de la géopolitique. C’est une zone de rêves, d’histoires et de fantasmes qui regroupe les steppes d’Asie orientale ; débutant quelque part en Mongolie, pour s’échouer sur les rives du Bosphore. Dans ses hauteurs, l’Eurasie ne descend pas plus bas que l’Iran, limité qu’il est au sud par la péninsule arabique et le monde arabe. Au nord en revanche, ses limites ne sont pas tranchées : il peut s’arrêter à la mer Caspienne comme remonter haut dans les plaines russes. C’est l’espace du cheval, du nomade, de la Horde d’Or et des chevauchées d’Attila et de Gengis Khan. On le retrouve chez Gogol et son Tarass Boulba et chez Marco Polo et ses voyages en Chine. L’Eurasie emprunte la route de la soie, nom qui fait fantasmer ceux qui rêvent d’unir l’Orient et l’Occident et les historiens qui analysent les échanges économiques entre l’Empire romain et l’Empire chinois. Quelque part en Eurasie se trouvent le royaume du prêtre Jean, les horizons militaires d’Alexandre le Grand, l’évangélisation de saint Mathieu. Partant d’Asie Mineure, ce continent fluctuant et liquide peut aller jusqu’aux rives du Mékong. L’OCS a d’ailleurs engagé des négociations d’adhésion avec la Turquie, le Népal, le Sri Lanka et le Cambodge. Continent introuvable et non délimitable, l’Eurasie trouve une expression juridique internationale dans l’organisation de l’OCS, qui est la matérialisation de cette zone d’échanges et de rencontres depuis plusieurs millénaires.
Les dangers de la Terre du milieu
Mais l’OCS répond aussi à d’autres préoccupations géopolitiques. Les géopolitologues anglo-saxons ont toujours regardé la masse Europe – Asie comme étant constituée d’une terre du milieu, le heartland, entourée d’une terre des côtes, le coastland. Vision assez classique qui reprend l’antique opposition entre puissance continentale et puissance maritime. Pour ces penseurs, surtout portés vers la maritimité, il faut empêcher l’union du heartland, pour éviter que celui-ci, trop puissant, ne brise l’hégémonie américaine. Cette conception du monde a eu ses traductions géopolitiques. C’est, en 1922, les accords de Rapallo entre l’URSS et l’Allemagne de Weimar, permettant à cette dernière de développer une armée en marge des restrictions du traité de Versailles (1919) et à l’URSS de sortir de son isolement diplomatique. Accords qui sont poursuivis en août 1939 avec le pacte Staline/Hitler pour le partage de la Pologne. L’union de l’URSS et de l’Allemagne durant la première partie de la guerre mondiale est une réalisation magistrale de l’union du heartland tant redouté par les stratèges anglo-saxons. Cette union se poursuit après la guerre : la RDA reste liée à l’URSS, et s’ajoute à cela la Chine de Mao, formant ainsi une union politique et idéologique allant de l’Europe au Pacifique. Pour limiter et endiguer cette puissance terrestre, les Américains développent leurs réseaux de coastland afin d’empêcher l’expansion communiste : OTAN à l’ouest, pacte de Bagdad dans le monde arabe, alliance avec la Corée du Sud, Taïwan et le Japon dans le Pacifique.
L’OCS d’aujourd’hui est une réponse à la prééminence américaine. Le groupe de Shanghai a d’ailleurs refusé l’adhésion du Japon et des États-Unis.
L’étranger proche de la Russie
Pour la Russie, l’OCS répond à sa volonté de contrôler l’étranger proche, c’est-à-dire ces territoires qui furent intégrés à l’Empire russe ou à l’URSS et où les intérêts de Moscou sont encore présents, comme la présence de populations russes et russophones. C’est le cas notamment des pays en « Stan » de l’Asie centrale. Une union douanière et commerciale doublée d’une union politique et militaire permettrait de disposer de tous les atouts de l’URSS, sans en avoir les inconvénients (gérer un territoire immense). Pensée dès les années 1990, l’OCS est bien une façon de recomposer l’Asie centrale et orientale après la dislocation de l’URSS. L’union de la Russie et de la Chine est une façon de revenir à la bonne entente des années 1950, avant la rupture avec Mao. Avec l’Afghanistan, le Népal et le Cambodge, c’est l’ancien monde soviétique que l’OCS est en train de reconstituer, monde où un empire central tente d’imposer sa domination à des vassaux.
Un seul homme à la tête
L’histoire humaine nous apprend néanmoins qu’il ne peut y avoir qu’un seul chef et une seule puissance dans un espace donné. Un attelage composé de la Chine, de la Russie et de l’Inde est trop composite et antinomique pour espérer aller bien loin. En Asie centrale, la Chine a autant de velléités de puissance que la Russie. La Mongolie ne doit son indépendance qu’à son rôle d’État tampon entre les deux grands, comme le Népal l’est pour l’Inde et la Chine. Mettre dans le même panier institutionnel le Pakistan et l’Inde, les deux frères ennemis du sous-continent est s’assurer d’un échec. Il pourra y avoir discussions et échanges, mais surement pas une coopération approfondie. L’OCS va se heurter aux ambitions de la Chine dans l’océan Indien, que New Delhi se refuse à cautionner. Quant aux petits États, leur force et leur raison d’être sont de jouer des rivalités entre les grands afin de se faire courtiser. Là semble être la destinée d’un État tampon qui dure tant que perdure son tamponnage entre les empires. Les États-Unis connaissent les failles de l’OCS et les rivalités internes, mais ils se doivent néanmoins d’être prudents. Ils disposent de nombreuses bases miliaires en Asie centrale, qu’ils ont bâties aux débuts des années 2000, quand la Russie était affaiblie, au motif de lutter contre le terrorisme. Les États centraux pourraient être tentés ou incités à faire comme de Gaulle en son temps et à faire fermer les bases US, ce qui obligerait Washington a un repli stratégique.
Dans ses statuts, l’OCS entend œuvrer à l’édification d’un nouvel ordre mondial, plus juste et plus démocratique. Pour une organisation qui comprend un certain nombre de dictatures de la planète, cela ne manque pas de charme, mais démontre aussi que l’organisation a un projet politique et pas seulement économique ou militaire. Il s’agit bien, pour ses membres, de concurrencer la puissance américaine et de s’ériger comme un autre pôle mondial et un autre monde. On en revient à la partition tripartite du monde que l’on croyait effacée avec la fin de l’URSS. Il n’est pas certain que l’OCS soit efficace et perdure dans le temps. En revanche, l’attrait pour l’Eurasie et la volonté de concurrencer les États-Unis demeurent des vecteurs majeurs d’organisations géopolitiques.