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Le front d'Orient, l'autre guerre mondiale

12 août 2021

C’est probablement le Proche-Orient qui a été le plus transformé par la Première Guerre mondiale et une grande partie des dossiers d’aujourd’hui se comprennent par les combats des années 1915-1922. Car il n’y a pas qu’à Verdun ou au chemin des Dames que les Français ont combattu durant la Première Guerre mondiale, mais aussi en Orient. C’est de là qu’est partie la mèche qui a déclenché les hostilités. Les Balkans ont connu plusieurs guerres au cours des années 1900-1913 qui avaient pour finalités de permettre l’indépendance des peuples contre l’empire austro-hongrois et l’Empire ottoman. Les années 1912-1913 voient ainsi les Bulgares, les Serbes et les Grecs se révolter contre les grandes puissances. C’est dans ce contexte de guerres balkaniques que s’inscrit l’attentat contre l’héritier de la couronne d’Autriche, François-Ferdinand. Le conflit est donc à l’origine localisé. Lorsque Vienne réagit puis lance un ultimatum à Belgrade, elle ne pense pas à une guerre continentale, mais à une guerre régionale, comme cela se déroule depuis près de vingt ans. Mais par le jeu des alliances et des rancœurs, ce conflit local entraîne tout le continent européen. Par Jean-Baptiste Noé.

 

L’échec des Dardanelles

Français et Anglais interviennent dans les Balkans dès 1915, avec la fameuse expédition des Dardanelles menée par Winston Churchill (mars 1915-janvier 1916). C’est la péninsule de Gallipoli que les Alliés tentent d’enlever, qui contrôle la rive nord des Dardanelles. C’est un échec cuisant. Les Ottomans tiennent ce territoire très bien fortifié et les Alliés n’arrivent pas à débarquer et à prendre position. La maladie touche les troupes qui connaissent alors de lourdes pertes. C’est la plus grande victoire turque dans le conflit, où s’illustre un jeune officier qui prend du galon, Mustapha Kemal, qui prend le contrôle de la Turquie quelques années plus tard. Australiens et Néo-Zélandais se sont illustrés dans cette bataille, qui est commémorée comme un grand événement dans ces pays. Ils célèbrent le débarquement du 25 avril, baptisé journée de l’ANZAC (Australian and New Zealand Army Corps), qui est la principale commémoration de la Grande Guerre chez eux.

 

L’expédition de Salonique

Le Front d’Orient se maintient dans la région de Salonique, de 1915 à septembre 1918. Il s’agit d’aider l’allié serbe et de fixer les empires centraux, notamment les Turcs et les Autrichiens, afin d’ouvrir un troisième front. Son intérêt stratégique est d’être un point de fixation plus qu’un front de percement. Côté français, c’est le général Franchet d’Esperey qui conduit les troupes nationales ainsi que le général Sarrail. Au cours de l’année 1916, le front s’étire le long de la frontière grecque. L’année 1917 est notamment marquée par la bataille de Monastir, en Macédoine, qui oppose les troupes françaises et serbes aux troupes bulgares et allemandes. La ville est reprise par les Alliés, même si elle subit les bombardements allemands jusqu’en 1918.

C’est en septembre 1918 que l’armée d’Orient dirigée par Franchet d’Esperey lance une grande offensive. Cette armée est composée de Français, d’Anglais, de Serbes et de Grecs. Elle a face à elle une armée germano-bulgare. Franchet d’Esperey mène l’offensive sur deux fronts. Il arrive à provoquer la rupture de l’armée bulgare et peut ainsi entrer en Serbie. Les Bulgares se retirent alors du conflit. Les Français atteignent la ligne ferroviaire Berlin-Bagdad et la coupent. L’Albanie est évacuée par les Allemands et les Autrichiens puis les Français atteignent le Danube le 19 octobre et entrent dans Belgrade le 1ernovembre 1918. À l’Est, les Alliés entrent en Bulgarie, ce qui permet aux Anglais de mener ensuite la marche vers Constantinople. L’armée d’Orient poursuit les combats même après l’armistice du 11 novembre, qui ne concerne que le front occidental. Elle entre en Roumanie et atteint Bucarest le 1erdécembre, puis elle se rend en Ukraine afin d’affronter le soviet d’Odessa. L’armée d’Orient est démobilisée en 1919 et une partie d’entre elle rentre en France. Une partie seulement, car des troupes restent dans les Balkans pour assurer que les différents traités soient bien appliqués.

 

Les traités d’Orient

Le cas ottoman est réglé par le traité de Sèvres conclu le 10 août 1920. Il est signé par le sultan Mehmed VI, mais il ne fut jamais ratifié puisque l’Empire ottoman a ensuite été renversé et Mustapha Kemal n’a jamais reconnu ce traité. Par le traité de Sèvres, l’Empire ottoman renonce à ses possessions au Maghreb et au Levant. Il recule dans les Balkans, au profit de la Serbie, de la Roumanie et de la Grèce. La Thrace orientale revient à la Grèce, sauf Constantinople. À l’Est, l’Arménie et le Kurdistan sont reconnus comme des États indépendants. Furieux d’un tel revers qui démantèle l’Empire ottoman et menace la survie du nouvel État, Mustapha Kemal mène une révolution, avec l’aide de plusieurs officiers de l’armée turque. Le sultan est renversé et la République turque est proclamée. Kemal refuse l’application du traité et débute une nouvelle guerre, contre la Grèce.

 

La nouvelle guerre médique

Les combats entre la Grèce et la Turquie ont débuté dès l’été 1919, mais ils s’intensifient avec le traité de Sèvres et ils durent jusqu’en 1922. Les Turcs attaquent l’Ionie et la ville de Smyrne, région qui avait été donnée à la Grèce. De nombreux Grecs vivent en effet dans l’ancien Empire ottoman, et notamment en Anatolie et dans la région du Pont. Or ces populations ont subi un massacre au cours de la guerre. Ce ne sont pas uniquement les Arméniens qui ont été déportés et massacrés par les Turcs, mais aussi les Grecs pontiques (c’est-à-dire les Grecs vivant dans la région du Pont) et les Assyro-chaldéens. Entre 1916 et 1923, ce sont près de 330 000 Grecs qui sont ainsi massacrés, soit par la déportation, soit par le travail forcé soit par la famine. Les Grecs qui n’ont pas été tués au cours de cette période sont expulsés en 1923 à la suite des accords de Lausanne qui entérinent des échanges de populations. Quant aux Assyriens, le nombre de morts est estimé entre 500 000 et 750 000, ce qui représente près de 70% de la population. Ce massacre des Assyriens a été mené conjointement par les Turcs et les Kurdes. En effet, les Assyriens vivaient dans la région actuelle du Kurdistan. Or les Kurdes voulant un pays autonome, ils avaient intérêt à mener une purification ethnique préalable afin d’être les seuls habitants de la région et d’éviter ainsi le partage du pouvoir avec les Assyriens. Raison pour laquelle, si un État leur a été reconnu en 1920 (Sèvres), il leur a été refusé en 1923 (traité de Lausanne), comme sanction à la suite des massacres.

La guerre gréco-turque se solde par la victoire de la Turquie qui récupère ainsi les territoires de Thrace et d’Ionie. Le traité de Lausanne (1923) reconnaît les pertes de la Turquie au Maghreb, au Levant et à Chypre, mais il revient sur l’indépendance de l’Arménie et du Kurdistan. Il reconnaît aussi la République turque et donc le pouvoir de Mustapha Kemal. Il entérine ainsi la disparition du quatrième empire, après les empires russe, allemand et autrichien. Lausanne organise aussi un transfert de populations entre la Grèce et la Turquie. Les Turcs vivant en Grèce rejoignent la Turquie, et les Grecs et les Assyriens ayant survécu au génocide sont expulsés de leur terre. La Turquie parachève ainsi la purification ethnique commencée en 1915 et assure de cette façon l’unité ethnique de son nouveau pays.

Le front d’Orient a donc duré beaucoup plus longtemps que le front occidental. Débutées dans les années 1910 avec les guerres balkaniques et achevées en 1923 avec le traité de Lausanne, les guerres d’Orient ont profondément modifié la géopolitique de la région. Au cours de son itinérance mémorielle, le président Macron aurait pu se rendre à Gallipoli et à Monastir pour honorer la mémoire des Français qui ont combattu dans cette région. Les modifications territoriales et les destructions de peuples opérées durant ces années de guerre ont encore des incidences fortes sur la politique des États contemporains et la mémoire des peuples. Au Levant, France et Angleterre se sont partagé les dépouilles ottomanes ; Paris récupérant la Syrie et le Liban. Le conflit actuel qui touche le Proche-Orient et le jeu d’Ankara dans la région ne peuvent être compris si ont exclu cet arrière-fond historique de la guerre d’Orient qui a conduit les Alliés à combattre entre l’Albanie et Constantinople.