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Politique locale, l'inconnue des citoyens

12 octobre 2021

Cela fait dix années que je siège au conseil municipal d’une commune des Yvelines (Montesson, 17 000 habitants). Dix années qui m’ont permis de découvrir et de mieux comprendre le fonctionnement de la démocratie locale et de la démocratie en générale. J’en tire une conclusion principale : la quasi-totalité des citoyens ignore tout du fonctionnement des collectivités locales. Certes, c’est un peu compliqué car il y a de nombreuses strates et juridictions mais le citoyen normal ne fait pas non plus beaucoup d’efforts pour se renseigner sur le fonctionnement de sa mairie ou de son département. Ce qui pose un grave problème de démocratie, car comment peut-on voter, c’est-à-dire faire un choix si, au préalable, on ne s’est pas renseigné sur le fonctionnement du produit et l’offre des choix ? Cette rupture entre le fonctionnement administratif et les citoyens apparait de plus en plus comme dangereux pour la survie du système démocratique. Alors que se tient cette semaine le salon des maires de France et que de nombreux élus locaux sont en rupture avec le gouvernement une plongée dans cette géopolitique locale permet de mieux comprendre l’origine du malaise. Par Jean-Baptiste Noé.

 

Le rapport à l’État : entre Père Noël et Père Fouettard

Le premier élément qui me frappe dans cette expérience d’élu local est le rapport à l’État et à l’administration qui oscille entre comportement immature et comportement irrationnel. D’un côté, la mairie est vue comme une sorte de Père Noël qui peut résoudre tous les problèmes. Grève des bus, trous dans la chaussée, tensions humaines dans un club de sport, violence à l’école, beaucoup de concitoyens pensent que c’est à la mairie d’agir et que par son action elle pourra résoudre les problèmes. Tout est finalement très simple : la mairie va intervenir et les écrouelles seront guéries. Corolaire de cette croyance quasi divine dans l’action publique, tout problème est mis sur le compte de la mairie : déchets déposés sur les trottoirs, inondation, grève des trains, fuite d’eau dans le toit de l’école ; la mairie est responsable de tout. Ainsi, beaucoup de citoyens oscillent entre une révérence presque divine à l’égard de l’administration et une haine quasi pathologique. Ce qui s’accompagne d’une méconnaissance du fonctionnement administratif.

D’une part, le pouvoir des élus est très limité. Leur action ne peut se faire que dans les limites imposées par les lois et les règlements, qui sont de plus en plus contraignants. Que ce soit en matière d’urbanisme, de gestion des écoles, d’aménagement du territoire, les marges de liberté sont de plus en plus réduites. Bien souvent, les élus locaux ne peuvent faire autre chose que d’appliquer les directives, sans pouvoir mener des projets un peu originaux. Sur la question du logement par exemple, le préfet a désormais le pouvoir de préempter des terrains, de les bâtir et d’imposer la population qui habitera dans les logements. Cela n’est plus du ressort des élus municipaux. D’autre part, le pouvoir des élus est faible par rapport aux personnels administratifs. Les élus locaux exercent leur mandat en plus de leur vie professionnelle et familiale quand les personnels des collectivités locales exercent eux leur métier à temps plein. Ils ont donc une meilleure connaissance des dossiers que les élus et ils sont plus à même de les suivre et de les faire aboutir. L’élu est donc relégué à la périphérie de la décision, soit qu’il manque de connaissance technique soit qu’il manque de temps pour s’investir pleinement dans les dossiers. L’alternance politique est donc un leurre puisque le véritable pouvoir est entre les mains des fonctionnaires territoriaux.

 

L’ignorance des strates administratives

Le fonctionnement des collectivités locales est complexe, car cinq strates se superposent : mairie, communauté d’agglomérations, département, région, État. Sur un espace de vingt mètres il peut y avoir quatre juridictions différentes : l’entretien du trottoir qui est du ressort de la mairie, la route départementale qui est gérée par le département, le lycée en bordure de la route qui est gérée par la région et on peut imaginer un parc, géré par la communauté d’agglomération. Il y a aussi ce que l’on ne voit pas : les réseaux qui passent sous la route. Les canalisations d’eau sont du ressort de l’entreprise gestionnaire de l’eau, tout comme les câbles électriques, la conduite de gaz, les fils des télécoms. Quant aux déchets, ils sont ramassés par une entreprise privée mandatée par un syndicat intercommunal de gestion des résidus urbains. Il y a donc de nombreuses entreprises, syndicats intercommunaux et juridictions administratives qui interviennent sur un même territoire pour gérer des services différents. Mais cette réalité, qui fonctionne somme toute bien, échappe au citoyen qui pense que c’est la mairie qui gère tout cela.

Ainsi, le citoyen se tourne vers la mairie pour signaler un nid de poule dans la chaussée ou des détritus dans le parc, sans comprendre que cela n’est pas du ressort de la mairie, mais d’autres collectivités locales. Pour un citoyen lambda, cet état de fait est incompréhensible. Ce qui pose un grave problème démocratique, car si les citoyens ne comprennent pas le rôle de chacune des juridictions, comment peuvent-ils faire un choix éclairé lors des élections ? La faute en revient certes à la complexification administrative, mais aussi aux citoyens eux-mêmes. Des consommateurs qui sont capables de passer plusieurs heures à faire des recherches sur internet pour comparer les meilleurs jeans ou les meilleures voitures et ainsi faire l’achat le plus judicieux se désintéressent complètement de la vie civique et ne font aucun effort pour en comprendre le fonctionnement, alors même que toute l’information est à portée de main et en libre accès. On peut certes reprocher, parfois, la complexité administrative, mais il y a aussi un désintérêt flagrant des citoyens à l’égard du fonctionnement de leur pays et de leurs territoires. C’est en partie là que réside la source de la rupture entre les Français et leurs dirigeants. Les citoyens ne comprennent plus les hommes politiques parce qu’ils ne savent pas quel est le rôle de chacun.

 

Ignorance économique

L’autre élément de rupture est l’ignorance économique, qui est très manifeste dans les communes. Si les Français veulent moins d’impôt, combien veulent aussi la diminution de la dépense publique et la redéfinition du périmètre de l’État ? L’ambiguïté n’est jamais levée. Grâce à une saine gestion, la dette de ma commune sera éteinte dans deux ans et la pression fiscale y est l’une des plus faibles du département, alors que nous sommes une commune pauvre : nous avons très peu d’entreprises sur notre territoire. Mais en échange, nous subventionnons moins les associations que d’autres communes du département. Or si beaucoup loue la faiblesse des impôts locaux, il n’est pas rare que les mêmes demandant que la mairie subventionne davantage les repas de la cantine et les voyages des écoles et des retraités. Une équation qui est bien évidemment difficile à tenir. Deux choses ont fait chuter Emmanuel Macron : la pression fiscale et la rupture avec les élus locaux. Sa promesse de campagne de suppression de la taxe d’habitation est impossible à honorer. Celle-ci est la première source de revenus des communes. Si on supprime la taxe d’habitation, alors il faut aussi que les communes puissent supprimer une grande partie de leurs dépenses. Or celles-ci ne peuvent pas licencier les fonctionnaires municipaux, dont l’État décide des salaires, mais dont le paiement est à la charge des communes. L’ignorance économique a fait que beaucoup de personnes ont cru sincèrement qu’il était possible de supprimer la taxe d’habitation, sans toucher à l’équilibre des finances publiques. La rupture d’avec les élus locaux vient aussi de l’empilement des normes et de la multiplication des contraintes. Emmanuel Macron n’en est pas le seul responsable, il hérite d’une réalité qui lui a prévalu, mais cela n’a fait que croître depuis 2017, sous l’effet de la croissance naturelle de l’administration.

Or le discours des élus locaux est souvent plein d’ambigüité et de contradictions. Eux aussi veulent une diminution de l’État et une résorption de la dette publique, mais sans diminuer le paramètre étatique ni réduire les dépenses. Ils sont les premiers à demander l’intervention de l’État, comme à Marseille où l’effondrement des immeubles a été l’occasion de demander des aides étatiques, alors que la cause en est ailleurs, notamment dans la ruine des propriétaires qui n’ont plus les moyens d’entretenir leurs biens immobiliers.

Cette incohérence des élus et des citoyens à l’égard des finances publiques rend la situation inextricable. De même que la méconnaissance profonde du fonctionnement des collectivités locales et du système démocratique. L’inclusion des citoyens dans la vie démocratique est pourtant l’unique condition de la pérennité de la démocratie.

 

Des élus trop payés ?

On entend souvent dire qu’il y a trop d’élus en France et qu’il faudrait simplifier le millefeuille administratif. Là aussi, cela dénote une ignorance du système. La quasi-totalité des élus en France sont bénévoles ; c’est le cas de tous les conseillers municipaux. Quant aux maires, leurs indemnités sont très faibles par rapport à leur charge de travail et aux exigences du poste. Un maire d’une commune de 19 000 habitants touche une indemnité de 2 500€ par mois. Or il s’agit d’un poste qui correspond aux compétences d’un cadre dirigeant. Il faut maîtriser le droit de l’urbanisme et les finances, être DRH et savoir gérer une administration, pouvoir conduire l’équipe des élus et démêler les coups bas politiques. Pour une charge horaire de plus de dix heures par jour, tous les jours, et même la nuit. Certes, le maire est aidé par son administration, mais s’il ne comprend pas les dossiers, c’est l’administration qui prend le pouvoir. Le maire, comme les élus d’ailleurs, se font constamment attaqué par les habitants qui trouvent que rien ne va jamais assez bien. C’est rare d’être arrêté dans la rue pour un remerciement. C’est le lot de la politique locale et chacun l’assume, mais contrairement aux idées reçues, les élus locaux sont soit bénévoles soit très mal payés. D’où la nécessité du cumul des mandats afin d’aboutir à un salaire qui correspond au temps passé et aux compétences requises. La démocratie a un coût. Le risque de mal rémunéré ses élus, c’est d’avoir des élus corrompus ou incompétents. Un avocat spécialisé dans le droit de l’urbanisme aura du mal à accepter d’être maire adjoint d’une commune de 10 000 habitants, pour travailler plusieurs heures par semaine pour une indemnité d’à peine 1 000€, alors qu’il gagne beaucoup plus dans son cabinet.

 

Trop de strates ?

Faut-il supprimer des strates administratives ? Pas forcément et uniquement si les collectivités le veulent. Regrouper des juridictions ne fait pas d’économie car cela ne supprime pas les postes de dépenses. Par exemple : on peut supprimer les départements, cela ne supprime pas les collèges dont les départements ont la charge. Donc cela ne fait pas nécessairement des économies. C’est même souvent l’inverse : regrouper les collectivités crée des grosses entités qui génèrent plus de dépenses.

Alors que faire ? D’abord, que les citoyens s’intéressent à leurs collectivités locales et qu’ils se renseignent afin de mieux voter. Ensuite, interdire aux collectivités locales toute subvention aux associations, afin d’éviter la corruption de connivence et les achats de voix. Enfin, interdire aux fonctionnaires de se présenter à une élection, car ils sont ainsi juge et parti.

Du côté des communes, nous devons mieux expliquer le fonctionnement des collectivités locales et le rôle des syndicats intercommunaux. La pédagogie et l’instruction sont indispensables pour une saine démocratie.