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L'Europe n'est pas en paix

8 mars 2022

L’Union européenne a apporté la paix depuis 1945. C’est une phrase que l’on entend souvent ; rassurant les populations quant à la pacification du territoire continental. Mais c’est faux : depuis 1945 l’Europe a connu et connaît encore de nombreuses guerres sur son sol. Certes, il n’y a pas eu de nouveau conflit entre la France et l’Allemagne après les trois guerres subies entre 1870 et 1945. Mais cette réconciliation franco-allemande, absolument nécessaire pour le bien des peuples concernés et la stabilité du continent, n’est pas le résultat d’une superstructure européenne, mais de la volonté de deux hommes, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer, deux combattants des deux guerres mondiales qui sont parvenus à mettre un terme aux inimités entre les deux peuples. Cette réconciliation et cette entente furent ensuite poursuivies par tous les présidents français et chanceliers allemands. Pas de guerre entre la France et l’Allemagne donc, mais des guerres néanmoins en Europe. Par Jean-Baptiste Noé.

 

Des colonies à la Guerre froide

D’abord des guerres coloniales, et pour la France ce fut l’Indochine puis l’Algérie. Certes ces guerres n’avaient pas lieu sur le territoire européen, mais elles concernaient directement les pays d’Europe. Chaque pays a réglé sa décolonisation seul, sans chercher à se coordonner avec les autres pays colonisateurs, alors que la colonisation avait été un peu concertée, notamment avec la conférence de Berlin (1885).

Puis il y eut la Guerre froide (1945-1991). Il est vraiment curieux que l’on ose dire que l’Europe a connu soixante-dix ans de paix alors que les tensions militaires entre l’Ouest et l’Est ont été extrêmes. Certes, il n’y a pas eu d’affrontements directs, et les chars moscovites n’ont pas atteint Paris, mais ils ont réprimé les manifestations en Pologne, à Berlin, à Budapest et à Prague. Cette guerre a aussi été celle de la désinformation, de la propagande et de la déstabilisation. Les archives récemment ouvertes ont permis de démontrer que la Chine de Mao avait financé les mouvements gauchistes français lors de la crise de Mai 68. La menace d’un affrontement militaire était bien réelle et si elle n’a pas eu lieu c’est parce que les pays d’Europe de l’Ouest s’en sont prémunis. Ce n’est pas l’Europe qui les a aidés, mais les États-Unis, avec le traité de l’Atlantique nord (1949). La Communauté européenne de défense (CED) fut rejetée par l’Assemblée nationale en 1954, alors que les cinq autres pays membres l’avaient ratifiée. La CED prévoyait de créer une armée européenne placée sous la supervision du commandant en chef de l’OTAN, lui-même nommé par le président des États-Unis. La CED n’aurait donc été qu’une armée otanienne bis, laissant faussement croire à une indépendance militaire européenne. C’est bien en se plaçant sous la tutelle de l’OTAN que les pays d’Europe se sont protégés de l’URSS, non en développant leurs propres structures militaires. Les actuels pays d’Europe de l’Est préfèrent toujours aujourd’hui se placer sous la protection de l’OTAN plutôt que sous un éventuel parapluie européen.

 

Puis la Yougoslavie

La fin de la Guerre froide aurait pu laisser croire à un retour de la paix en Europe, il n’en fut rien. Le continent a connu la terrible guerre de Yougoslavie qui a duré près de vingt ans. Il y eut d’abord l’éclatement de l’ancienne fédération entre 1991 et 1995 (accords de Dayton). Puis la guerre au Kosovo entre 1998 et 1999, et des affrontements en Macédoine en 2001. Au Kosovo, le conflit dure encore de façon larvée. Les Albanais opèrent une véritable purification ethnique pour éliminer les Serbes de la province afin de la rattacher définitivement à leur pays. Albanie et Kosovo sont deux États mafieux, vivant du trafic de drogue, d’armes et de migrants. En Yougoslavie non plus l’Europe n’a pas été capable d’établir la paix. Il a fallu l’intervention de l’OTAN pour mettre un terme à la déchirure yougoslave et les accords de paix ont été signés aux États-Unis. En 1998, c’est encore l’OTAN qui intervient, à la demande de Bill Clinton. Quant à la situation au Kosovo, elle pourrit, loin des préoccupations de Bruxelles.

 

Donbass : un conflit oublié

Plus récemment, c’est en Ukraine et au Donbass que la guerre a sévi et sévit encore. L’Ukraine qui avait été le pays organisateur de l’euro de football 2012, des matchs de poule se tenant même au Donbass. La crise déclenchée en 2014 lors des manifestations de la place Maïdan n’est pas résolue, en dépit de la signature des accords Minsk II (2015). La sécession du Donbass est désormais un état de fait. Des élections présidentielles se sont tenues le 11 novembre dernier dans les Républiques populaires de Donetsk (RPD) et de Lougansk (RPL). Le conflit a fait plus de 10 000 morts et les tirs de mortiers et de roquettes se poursuivent tous les jours. Les milices du Donbass continuent à affronter l’armée d’Ukraine. C’est ce contexte qui permet aussi de comprendre le raidissement de la Russie et de l’Ukraine en mer d’Azov. Marioupol est le dernier port ukrainien de la partie est du pays, qui donne sur la mer d’Azov. Kiev a besoin de ce port pour lancer ses opérations militaires contre le Donbass. Moscou en revanche, veut limiter l’accès des bateaux ukrainiens afin de s’attacher de façon définitive la péninsule de Crimée. La montée des tensions qui courent depuis le début de la semaine sert davantage le gouvernement de Kiev que celui de Moscou. En effet, des élections présidentielles se tiennent prochainement en Ukraine. L’actuel président, Petro Porochenko, est très impopulaire. En réveillant le nationalisme ukrainien contre la Russie, il espère agréger la population autour de lui et tisser une union nationale qui pourrait conduire à sa réélection. Il n’est pas exclu non plus qu’il mène une grande opération militaire contre le Donbass. De plus, en instituant la loi martiale sous prétexte de protéger le pays contre la Russie, il limite les libertés publiques et il contrôle davantage la police et l’armée, ce qui est toujours très utile en période électorale. En Ukraine, c’est Washington qui mène la danse. La France et l’Allemagne ont été incapables de trouver une solution et elles s’enferment dans une opposition stérile avec la Russie. C’est d’autant plus stupide que le Donbass n’est pas la priorité de Moscou et que l’Europe a des sujets beaucoup plus importants à traiter avec la Russie, comme la reconstruction en Syrie, la gestion de la Libye ou la riposte face à la Chine.

Donc non, l’Europe n’est pas en paix. Dire cela, c’est très insultant pour ceux qui meurent actuellement au Donbass, pour les civils et les militaires tués lors de l’horrible siège de Sarajevo (1994) et pendant toute la guerre en Yougoslavie, comme pour les dissidents qui ont lutté contre le totalitarisme communiste. Le projet de paix européen est donc encore à construire et à consolider.

 

Des guerres inter-étatiques

Il y a d’autres guerres que l’Europe n’a pas su endiguer, celles menées par les terroristes, que ce soit ceux de l’ETA ou de l’IRA. Ce sont l’Espagne et l’Angleterre qui ont résolu ces crises, avec l’aide de leurs voisins, grâce à des accords bilatéraux. L’ancien président François Hollande a d’ailleurs lui-même reconnu que nous étions en guerre contre le terrorisme. Ce n’était peut-être qu’une formule électorale, mais les mots ont un sens. Si nous menons cette guerre contre le terrorisme, c’est donc que nous ne sommes pas en paix. Les gouvernements ont par ailleurs pris une série de mesures restreignant les libertés publiques au prétexte de lutter contre le terrorisme. Il ne faudrait pas que ces mesures d’exception deviennent la règle. Chacun a bien vu que l’Europe (c’est-à-dire l’Union européenne) est incapable de gérer la crise migratoire et que ce sont les pays qui ont pris, de façon individuelle, les mesures qu’ils ont estimé nécessaires. Il en va de même pour la prolifération des mafias et l’infiltration des terroristes via ces flux migratoires.

Donc non, depuis 1945 l’Europe n’est pas en paix, et la France non plus. Elle ne le sera d’ailleurs jamais, la guerre étant inhérente à l’histoire des hommes. C’est une folie que de croire que l’on pourra bâtir un monde sans guerre ; contentons-nous de les limiter et de les réduire au maximum. Et puisque l’Europe n’est pas en paix et que la guerre est une réalité, il est indispensable de former la population aux notions militaires, non pour en faire des soldats, mais pour que les conflits soient intelligibles au plus grand nombre et pour y faire face si, un jour, la guerre devait se faire plus intense. Les guerres connues par nos ancêtres, hélas, n’appartiennent pas qu’au passé.