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Le Caucase : lieu de puissance de l’influence russe

5 août 2021

Difficile de comprendre et d’englober le Caucase, qui regroupe de nombreux peuples, cultures et langues. La montagne est toujours le refuge des opprimés et des chassés qui y trouvent un lieu propice à la défense et à la résistance. Le petit et le faible sont renforcés par les montagnes, qui les protègent et où il est plus facile de se mouvoir avec peu d’hommes qu’avec une grande armée. Raison pour laquelle les empires ont toujours beaucoup de mal à tenir la montagne tant chaque col, chaque haut plateau est un pays en soi qui nécessite une guerre propre pour être conquis. Les Alpes sont ainsi le refuge de nombreuses principautés qui, jusqu’au XVIIIsiècle, ont vécu en autonomie par rapport à leurs voisins, faisant basculer les alliances au gré de leurs intérêts.  Par Jean-Baptiste Noé.

La montagne, une valeur refuge

Il en va de même pour le Caucase, autre grand massif montagneux d’Europe, cœur de l’Eurasie, frontière avec le monde russe au nord, les mondes iranien, turc et arabe au sud, à cheval entre deux mers. Si la Géorgie et l’Arménie sont les deux principaux États de cette montagne, on y compte une multitude de républiques autonomes et indépendantes, qui jouent leur partition propre pour essayer de le rester. 

Sur le plan géographique, le Caucase s’étire sur 1 200 km, de la mer Noire à la mer Caspienne. Le Caucase du Nord est appelé Ciscaucasie et le Caucase du sud Transcaucasie. Loin d’être une barrière, c’est un carrefour et un lieu de passage entre plusieurs peuples, empires et histoire. Aujourd’hui, ce sont les énergies qui transitent par cette région, pétrole et gaz. Le Caucase est là aussi un bon exemple du fait que la montagne n’est pas toujours un espace vide ni un espace fermé. Pensons aux Pyrénées, lieu de transit multiple, et même à la chaîne himalayenne, qui est elle aussi un lieu de passage. Les hommes de la montagne ont su développer de nombreuses techniques pour s’aventurer dans ces espaces hostiles au climat souvent rude.

 

Lieu de mythes et de vins

C’est sur le mont Caucase que fut enchaîné Prométhée, puni par Zeus d’avoir volé le feu pour les hommes. C’est là aussi, sur le mont Ararat, que s’échoua le bateau de Noé à la fin du déluge. À sa sortie, il découvrit la vigne et le vin, et l’ivresse qui va avec. Les archéologues ont découvert en Géorgie de très anciens pépins de raisin fossilisés, ce qui confirme que le Caucase est l’origine mondiale du vin. Les Géorgiens ont encore aujourd’hui un rapport particulier au vin. Ils le produisent en faisant fermenter le moût du raisin dans des dolines (des conteneurs en terre enfouis dans le sol) et ils le boivent en grande quantité dans des cornes de chèvre décorées. En Géorgie, le vin est plus qu’une boisson, c’est une façon de vivre. On y trouve d’ailleurs de très bons vins, la viticulture s’étant remise de la période soviétique et de la collectivisation des vignes.  

 

Le Grand jeu russe

La Russie s’est intéressée au Caucase dès le XVIIe siècle. C’est le pendant de sa politique d’expansion menée au nord (Baltique) et à l’est (Sibérie). Il s’agit d’accéder aux mers chaudes, de tenir le nœud de communication que représente cette région et de s’appuyer sur les populations chrétiennes pour faciliter la politique d’influence. La Géorgie est annexée en 1801 puis l’Empire russe combat la Perse et l’Empire ottoman. Alexandre 1er vainquit les Perses à deux reprises, les chassant du Caucase et assurant le contrôle russe sur la montagne. (Traités de Golestan 1813 et Turkanchai 1828). Ce faisant, dans sa lutte contre la Perse, il s’agissait aussi de répondre à l’expansion anglaise menée depuis les Indes et le Pakistan et de s’affirmer dans ce Grand jeu oriental. La Perse est un territoire d’influence entre la Russie et l’Angleterre au sein du Grand jeu, ce que la découverte des champs pétroliers n’a fait qu’aviver. Si les Anglais puis les Américains ont d’abord mis la main sur la Perse, la révolution de 1979 a rapproché Téhéran de l’URSS puis de la Russie. Les Perses n’ont pas semblé trop rancuniers de la défaite caucasienne infligée par Moscou. 

Pour s’assurer le contrôle du Caucase, les Russes ont construit trois grandes routes traversant la montagne et permettant les circulations : la route militaire géorgienne, la route militaire d’Ossétie et la route transcaucasienne. Avantage de ces routes : elles permettent tout autant le passage des commerçants et des voyageurs que des militaires, ce qui est toujours commode quand il s’agit de contrôler un pays.   

 

La Transcaucasie et la fin de l’URSS

À l’époque de l’URSS, la Russie a une frontière commune avec la Turquie et l’Iran, portant sa présence jusqu’aux confins du Moyen-Orient. Or la chute du régime communiste puis la dislocation de l’URSS provoquent un repli territorial, de nombreux peuples demandant et obtenant leur indépendance. La fin de l’URSS fait donc naître de nouvelles frontières et de nouveaux États, ce qui complique d’autant la géopolitique du Caucase. La Russie parvient néanmoins à éviter un recul trop massif et à conserver une influence dans ce que les Russes nomment leur étranger proche et qui est pour eux un enjeu important de leur action diplomatique.   

 

La sécession géorgienne

Le premier pays à avoir demandé l’indépendance est la Géorgie, avec Édouard Chevardnadze, qui était pourtant ministre des Affaires étrangères d’URSS puis qui devint le premier président de la Géorgie. La trahison, aux yeux des Russes, vint donc de l’intérieur et par celui qui avait un pouvoir important au sein de l’appareil d’État soviétique. Mieux valait pour lui être premier en Géorgie que deuxième dans l’empire soviétique. Mais sitôt l’indépendance proclamée, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie firent sécession, ce qui affaiblit la Géorgie. C’était non seulement une perte territoriale, mais aussi d’axes de communication majeurs. Cela permis à la Russie de rester dans la zone en maintenant la présence de son armée. Affront suprême pour Moscou, la Géorgie demanda son intégration dans l’OTAN. Cela n’est pas encore fait, mais la demande est répétée. Si tel était le cas, il serait ensuite difficile de nier que l’OTAN sert à encercler la Russie et à limiter son extension.

Mikhaïl Saakachvili devint président de la Géorgie en 2004. Il mena une politique très antirusse et chercha à reprendre le contrôle des trois territoires sécessionnistes : l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie et l’Adjarie. En 2004, il prit l’Adjarie, sans aucune réaction. Une telle passivité internationale donne toujours des ailes, et il décida donc de lancer son armée contre les deux autres territoires. La Russie était alors aux prises avec la Tchétchénie, autre région difficile du Caucase, et elle ne pouvait pas gérer deux dossiers majeurs en même temps.  

En 2008 donc, il lança une attaque éclair contre l’Ossétie du Sud. Mais cette fois-ci la Russie était plus libre et surtout ne voulait pas laisser la Géorgie s’étendre. La réplique fut immédiate et Moscou envahit la Géorgie lors d’une guerre éclair de cinq jours. Mais les armées s’arrêtèrent aux portes de Tbilissi. La Russie stationna des troupes en Ossétie et en Abkhazie, afin d’éviter toute nouvelle attaque géorgienne, ce qui lui permit de protéger ces territoires et de les contrôler. Grâce à l’imprudence géorgienne, Moscou a pu revenir dans le jeu de la Transcaucasie. Le président géorgien tenta alors de déstabiliser le Caucase pour fragiliser Moscou en soutenant la cause de peuples rebelles, mais cela échoua. Il soutint également des manifestations anti-Poutine à Moscou. Battu lors des présidentielles de 2013, son successeur se montra moins vindicatif à l’égard de la Russie, même s’il souhaite toujours adhérer à l’OTAN.

 

L’Arménie, point délicat  

L’Arménie et la Russie ont toujours entretenu des liens de bonne amitié, mais Moscou essaye aussi de bien s’entendre avec l’Azerbaïdjan, adversaire d’Erevan dans le conflit du Karabakh. Cette région a été intégrée par Staline au sein de l’Azerbaïdjan, mais elle est revendiquée par l’Arménie. Cela déboucha sur un conflit ouvert dès les années 1980 qui dura jusqu’en 1994 lorsque la Russie intervint comme médiateur pour établir un cessez-le-feu. La région demeure une zone chaude, même si les confrontations sont moins violentes. La Russie essaye de jouer son rôle de puissance conciliatrice, ce qui est aussi pour elle une façon de ne pas prendre position pour l’un ou l’autre et de conserver une place d’équilibre. 

Quant à la Turquie, elle a cherché à étendre son influence dans le Caucase, profitant de la présence de peuples musulmans. Cela a été un échec relatif. La haine que lui voue l’Arménie d’une part, la méfiance des autres peuples d’autre part, qui n’ont pas un bon souvenir de la rudesse ottoman, font qu’Ankara ne perce pas dans la zone. En dépit de la dislocation de l’URSS, le Caucase demeure une zone d’influence russe. La tentative de putsch en Turquie et la crainte de voir les Kurdes syriens disposer d’un sanctuaire militarisé en Syrie ont provoqué un retournement d’alliance de la Turquie qui s’est rapprochée de Moscou, ce qui était loin d’être évident après l’épisode de l’avion abattu. Les deux pays ont conclu la vente de missiles S-400 russes et la construction du Turkish Stream, qui fait de la Turquie un hub gazier. Acheter des missiles et transporter du gaz, quelle belle façon de sceller une amitié retrouvée. Moscou a ainsi réussi à conserver son influence dans le Caucase et à se maintenir dans une zone qui est sous son ombre depuis désormais plus de trois siècles.