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L’Europe est née au XVIIIe siècle

24 septembre 2021

Bien sûr, ce titre est au mieux provocateur, au pire faux : la culture et l’identité européenne sont nées bien avant le XVIIIsiècle. Mais durant ce siècle, il s’est passé quelque chose, une sorte d’émulsion intellectuelle, qui a fixé l’idée d’Europe telle que nous la concevons encore aujourd’hui. Grâce à différents facteurs, notamment l’amélioration des communications, les intellectuels et les hommes de pouvoir ont pris conscience qu’ils appartenaient au même monde, différent des autres mondes. Le vêtement en est l’illustration ; on le voit notamment dans les grands musées européens. Jusqu’au début du XVIIIsiècle, les rois, les écrivains et les hommes illustres sont habillés différemment selon leurs pays. Le roi d’Angleterre Charles 1er (1600-1649) a ainsi un style anglais qui le différencie, dans les portraits officiels, de Louis XIII, son contemporain (1601-1643). À la cour de France, les habits sont plus colorés, surtout chez les hommes. À la cour d’Espagne, influencée par l’étiquette du duché de Bourgogne, c’est le noir qui domine. Dans le célèbre portrait de Philippe II d’Espagne par Anguissola, celui-ci ressemble à un prêtre, avec une soutane et une cape noire, quand son contemporain Henri III de France porte des habits verts et dorés et des pendants d’oreille. Par Jean-Baptiste Noé.

Perruque poudrée pour tous

Tout change au XVIIIe. Il n’y a plus un habit national et un marqueur des capitales d’Europe, mais une uniformisation du vêtement masculin. C’est perruque poudrée pour tous, bas de soie blanc, culotte et gilet. De Lisbonne à Naples, de Paris à Saint-Pétersbourg, le vêtement est le même, en dépit de quelques légères variantes. Au XIXsiècle, la culotte disparaît en Europe pour laisser sa place au pantalon. Désormais, quand une mode touche un pays prescripteur, elle se diffuse sur l’ensemble du continent. Il en va de même aujourd’hui où l’on porte costume et cravate partout en Europe. Il y a certes des différences de tenue entre le style anglais et le style napolitain, mais la base vestimentaire reste la même. Au XVIIIsiècle, les portraits royaux s’uniformisent : colonne, épée, lourde tenture en velours, même style de vêtements. Il en va de même pour l’armée où le port de la culotte se généralise dans l’infanterie. Chacun se copie et s’imite. Si une mode paraît bonne, elle est copiée ailleurs. C’est en ce sens que l’on peut dire que l’Europe, en tant qu’unité de civilisation et surtout prise de conscience de cette unité, est née au XVIIIsiècle. C’est aussi le moment où l’on cesse de parler de chrétienté pour désigner cette portion du territoire mondial.

Le musée Pouchkine à Moscou recèle à ce titre des tableaux qui illustrent bien ce phénomène. Jusqu’au XVIIe, les princes russes sont des seigneurs des steppes et des cavaliers perpétuels. Tout commence à changer avec Pierre le Grand, qui interdit le port des vêtements longs et de la barbe. Par l’adoption de ce nouveau style vestimentaire, il démontre à toutes les chancelleries que désormais la Russie n’est plus un pays de nomades regroupés autour de quelques villes, mais un pays d’Europe qui veut jouer un rôle de premier plan sur la scène continentale. Catherine II poursuit son œuvre, notamment en attirant les artistes et les écrivains à sa cour.

 

Versailles partout

Bien que classique, le style de Versailles est copié à travers l’Europe, souvent en y ajoutant des formes plus arrondies et plus souples, davantage XVIIIe. Après le tremblement de terre de Lisbonne du 1er novembre 1755 qui a causé la mort de près de 90 000 habitants (notamment à cause du raz-de-marée et des incendies), le marquis de Pombal rase la ville restante et édifie une ville nouvelle. Ce n’est plus le Lisbonne de l’époque médiévale, avec ses ruelles étroites et ses maisons en torchis, c’est une ville XVIIIe, avec ses maisons en pierre, son plan quadrillé et ses grandes avenues. À Naples, autre grande capitale européenne, Charles de Bourbon structure lui aussi une partie de l’urbanisme de la ville et fait édifier deux vastes palais : Capodimonte et Portici.

Capodimonte possède un superbe jardin à la française, avec un belvédère duquel on dispose d’une vue incomparable sur le golfe. C’est un modèle inspiré de Versailles. Comme le palais de Portici, avec son jardin à l’anglaise et ses salons composés de stucs, de parquet et de porcelaine fine. Le plus impressionnant reste le palais de Caserte, à l’extérieur de Naples, directement copié sur Versailles, mais avec quelques notes de mouvement toutes napolitaines.

Beaucoup plus au nord, en Allemagne, dans le Mecklembourg, se trouve le château de Ludwigslust, « le désir de Louis » en référence au duc Christian-Louis de Mecklembourg qui le fit bâtir dans les années 1730. Lui aussi est inspiré de Versailles, aussi bien pour le style du château que pour celui des jardins. En Pologne, le palais royal de Varsovie est lui aussi bâti sur le même style. On pourrait multiplier les exemples à travers le continent.

Du nord au sud, de l’ouest à l’est, on assiste donc en Europe, pour la première fois, à une uniformisation du style sur l’ensemble du continent. Les styles roman et gothique n’avaient pas connu une telle diffusion, même si l’on trouve des éléments communs, surtout dans les grandes capitales.

 

Les mots et les idées

À cela s’ajoutent les idées et les lettres. Le français bien sûr, langue parlée dans toutes les cours. Les livres circulent, les auteurs se lisent les uns les autres. Ils voyagent aussi de plus en plus. Les Anglais lancent la mode du grand tour pour les fils de bonne famille, mode reprise par les autres familles d’Europe. Cela explique que des événements comme la guerre d’indépendance américaine et la Révolution française ne sont pas limités à leurs pays respectifs, mais concernent toute l’Europe, alors que la Glorious revolution anglaise était restée cantonnée à l’Angleterre. Les idées circulent beaucoup plus vite et chacun regarde ce que fait l’autre. D’où la naissance d’une conscience commune à l’échelle du continent. C’est ainsi que l’on réfléchit aux moyens de bâtir une paix continentale, surtout après l’expérience de la guerre de Sept Ans (1756-1763) qui a tant marqué le continent et qui fut une guerre mondiale, des combats ayant lieu en Inde et en Amérique. Tentatives de paix ratées, comme le démontre l’extension des guerres révolutionnaires à l’ensemble du continent. Un des aspects marquants de cette guerre de la Révolution est sa diffusion chez les intellectuels d’Europe. Nombreux sont ceux qui y ont adhéré, préférant se rallier à des idées plutôt qu’à leur pays. Un tel phénomène était impensable au XVIe et au XVIIe siècle.

 

Le premier gilet jaune

Le premier gilet jaune, c’est Werther, le héros du roman de Goethe Les souffrances du jeune Werther (1774). Vêtu d’un pantalon bleu et d’un gilet jaune, Werther déclenche une mode quasi hystérique à travers l’Europe. Le succès du livre est considérable : on le lit partout. Certains se suicident, à l’imitation de leur héros. Les jeunes femmes s’habillent en Charlotte, en robe blanche et rose. Les messieurs se drapent en Werther, annonçant la mode romantique. Ce livre lance Goethe sur la scène européenne qui devient l’exemple type de l’écrivain du temps, qui voyage, se documente, se pique d’archéologie et de sciences. Goethe et son héros Werther symbolisent cette Europe nouvelle qui est en train de naître.

 

L’Europe et les autres

Pourquoi cette conscience européenne émerge-t-elle au XVIIIsiècle ? Parmi les nombreuses raisons possibles, il y a la découverte du monde. L’Amérique d’abord, l’Asie ensuite, l’Océanie, puis l’Afrique au XIXe siècle. Découvrir les autres conduit à se poser la question de savoir qui on est. Qu’est-ce qu’un Japonais, un Chinois, un Mélanésien ? Et donc, de façon implicite, qu’est-ce qu’un Européen ? C’est la question que pose l’ouvrage des Voyages de Bougainville, dont je ne peux que recommander la lecture, ne serait-ce que pour la découverte de ces nouveaux mondes. D’où la passion de la France pour les expéditions de La Pérouse et les notes de découvertes que l’on reçoit de lui. Dans le genre roman, c’est l’ouvrage de Jonathan Smith, Les voyages de Gulliver (1721)Smith utilise le thème du voyage et de la découverte de l’autre pour se livrer à une satire sociale de l’Angleterre de son temps. La même idée est reprise dans Les lettres persanes (1721) de Montesquieu et le Candide (1759) de Voltaire. Derrière la question « Comment peut-on être Persan ? » posée par Montesquieu, c’est surtout la question de savoir ce qu’est un Européen qui est posée. L’Europe, isthme de l’Asie, s’est toujours définie en creux par rapport aux autres. La question identitaire et culturelle posée par les politiques et les écrivains du XVIIIsiècle est toujours la même que celle que nous nous posons aujourd’hui : qu’est-ce que l’unité du continent européen dans sa diversité des peuples et des nations ?