"Le socialisme cherche à abattre la richesse, le libéralisme à supprimer la pauvreté " - Winston CHURCHILL
"Un peu d’internationalisation éloigne de la patrie, beaucoup y ramène" - Jean JAURÈS
"J'ai déjà croisé le mensonge, le fieffé mensonge. Mais avec le ministère de l'économie, je découvre le stade ultime: la statistique" - Benjamin DISRAELI
"Vous et moi venons par route ou par rail, mais les économistes voyagent en infrastructures " - Margareth THATCHER
"Vous ne pouvez pas taxer les gens quand ils gagnent de l'argent, quand ils en dépensent, et quand ils épargnent" - Maurice ALLAIS
"L'inégalité est le résultat de la compétition entre technologies et éducation" - Jan TINBERGEN
"Si vous m'avez compris c'est que je me suis mal exprimé" - Alan GREENSPAN
"Si la méchanceté des hommes est un argument contre la liberté, elle en est un plus fort encore contre la puissance. Car le despotisme n'est autre chose que la liberté d'un seul ou de quelques-uns contre tous" - Benjamin CONSTANT
"Il n'y a que deux possibilités, soit un système dirigé par la discipline impersonnelle du marché, soit un autre dirigé par la volonté de quelques individus; et ceux qui s'acharnent à détruire le 1er contribuent, sciemment ou inconsciemment, à créer le 2nd" - Friedrich HAYEK
"L’économie se venge toujours" - Raymond BARRE
15 avril 2022
Cela pourrait être un conte pour enfants, une histoire d’ogre qu’on leur raconte pour leur faire peur et ainsi les éduquer aux dangers de la vie réelle. Mais c’est ici une histoire vraie. Il se trouve que je suis élu au conseil municipal de Montesson (Yvelines) depuis 2008 et que je m’occupe de la communication de la ville. En novembre 2018, nous recevons un message d’un habitant nous informant qu’une camionnette blanche a été aperçue à proximité du collège. Le conducteur attire les jeunes filles en leur proposant de voir des chiens qui sont installés à l’arrière de la camionnette. Elles les caressent, elles jouent un peu avec eux, puis l’homme les kidnappe. Un tel signalement est effrayant et l’on se doit bien sûr d’en avertir au plus tôt les établissements scolaires et les parents d’élèves pour que les enfants soient prudents. On est donc tenté, de prime abord, de diffuser largement cette information. Information qui a d’ailleurs déjà circulé sur les réseaux sociaux et qui a été annoncée par les groupes officiels des associations de parents d’élèves.
Mais, même si tout est probable, plusieurs choses clochent dans cette histoire. La police municipale contactée nous dit qu’aucune plainte n’a été déposée. Une rapide recherche sur le net nous informe qu’il y a déjà des histoires de camionnette blanche, et qu’elles se sont toutes révélées fausses. Du reste, après deux jours d’enquête, il apparaît que cette histoire est une pure invention. La consultation des bandes de la vidéosurveillance montre qu’il n’y a eu aucune camionnette de ce type à proximité du collège et des écoles. Des enfants reconnaissent avoir menti. Nous sommes donc là en présence d’une rumeur, d’une fausse information. Mais celle-ci est très instructive. Par Jean-Baptiste Noé.
La géopolitique de la peur
Dominique Moïsi a publié un livre très intéressant intitulé La géopolitique de l’émotion. Comment les cultures de peur, d’humiliation et d’espoir façonnent le monde. (Flammarion, 2008). La peur est apparemment irrationnelle. Elle s’empare des personnes et des foules et les amène à commettre des actes qu’elles ne feraient pas si elles pouvaient réfléchir froidement à la situation. En apparence irrationnelle seulement. Car en réalité les décisions prises sont tout à fait logiques au regard des informations captées et des dangers en présence.
Dans l’exemple de la camionnette blanche, il est logique que les parents d’élèves diffusent rapidement l’information : il faut protéger leurs enfants. Personne ne leur a reproché d’avoir diffusé une fausse information et de ne pas avoir pris le temps de la vérifier. Ici, on parle du principe de précaution. Mieux vaut mettre en branle toute une ville pour rien que de courir le risque d’avoir un enfant enlevé. Dans la panique, les personnes ont agi de façon très rationnelle : il y a moins de risque à propager une rumeur qu’à la vérifier. Imaginons que l’affaire soit vraie, mais que l’on prenne le temps de la vérifier. Comme cela prend un peu de temps si, dans l’intervalle, une jeune fille est enlevée, on reprochera à la mairie de ne pas avoir diffusé l’information. On jugera la mairie, et la personne qui s’occupe de la communication, responsable de l’enlèvement. Personne ne viendra temporiser la chose en disant qu’il fallait vérifier l’information et que propager de fausses rumeurs est quelque chose de grave. Derrière l’émotion et la panique, il y a la rationalité : nous avons intérêt à propager les rumeurs, nous courons un risque important à vérifier les rumeurs.
Dans un tel cas agit aussi le principe de foule. Celui qui va contre la foule est immédiatement jugé coupable. Que valent en effet le doute et le questionnement face à plusieurs témoignages qui affirment avoir vu une camionnette blanche et qui donnent des descriptions très précises de son conducteur ? Ces gens-là se sont auto-intoxiqués : ils sont persuadés d’avoir vu des choses qui n’ont jamais existé. Pour des enquêteurs, c’est ensuite très difficile de démêler l’écheveau, d’autant que personne ne voudra reconnaître qu’il s’est trompé et qu’il a menti, même si c’est involontaire.
C’est ainsi que les rumeurs se propagent, à vitesse accélérée avec les réseaux sociaux. Quiconque combat la rumeur ou bien prend le temps de l’interroger court non seulement le risque de l’accusation d’inertie, mais aussi se met à l’écart de la foule, ce qui n’est jamais bon dans un processus de bouc-émissaire. L’individu a intérêt à se fondre dans la foule et à rugir avec elle : là il sera au calme dans la tempête. Heureusement que, dans notre cas, la langue française dispose du conditionnel. Cela permet de diffuser une information tout en appelant à la vigilance quant à la réalité de celle-ci.
La chasse aux Roms
En mars 2019, la rumeur a pris un tour tragique débordant dans l’affrontement entre bandes roms et magrébines. Le 17 mars, deux hommes de la communauté rom sont accusés d’avoir enlevé un enfant maghrébin à bord d’une camionnette blanche. Le véhicule est stoppé par des membres de la communauté maghrébine et les deux occupants sont roués de coups. Ils parviennent à s’enfuir et à se réfugier dans un pavillon à Colombes (92). L’enlèvement est faux, mais la rumeur se propage. Le 25 mars, des « jeunes » conduisent des expéditions punitives contre les Roms dans plusieurs villes du 93. À Clichy-sous-Bois, une vingtaine de personnes armées de bâtons s’introduisent dans un pavillon squatté par 23 Roms. Ils les accusent d’avoir enlevé des enfants, probablement pour faire du trafic d’organes. À Bobigny, cinquante personnes armées de couteaux et de barres de fer incendient des camionnettes blanches de Roms. Des attaques sont signalées dans d’autres villes du 93. La police est intervenue toute la nuit pour séparer les belligérants. Vingt personnes ont été interpellées.
À l’historien, cela rappelle des textes du Moyen-Âge où déjà l’on trouve des rumeurs d’enlèvements d’enfants et des expéditions punitives. Cela touche au statut de l’enfant, qui est vulnérable et qui doit être défendu par la communauté. Mais il y a aussi un fond de vérité dans cette histoire. Des enfants enlevés, cela existe. Beaucoup sont ensuite utilisés dans le trafic d’organes et dans des réseaux de pédo-criminalité. C’est hélas une triste réalité, qui est menée par les mafias des Balkans et d’Europe centrale. Là aussi, dans ces pogroms, il y a une irrationalité apparente qui cache un fond de rationalité. Cela témoigne aussi d’une faillite de l’État central, qui ne parvient pas à assurer la sécurité de sa population ni à démanteler les mafias. Cela montre aussi que les populations ont besoin de sécurité, et que celle-ci se trouve souvent dans le groupe et dans la foule.