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Projet d'accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union Européenne

27 juin 2013

Les Etats-Unis et l'Europe se sont lancés dans un processus de négociation commerciale. Le but est de créer une vaste zone de libre-échange afin de favoriser et d'accroître les échanges commerciaux de part et d'autre de l'Atlantique Nord. Le traité qui pourrait être signé s'appellerait alors le Partenariat Transatlantique (PTA). Le processus menant à ce traité pourrait s'avérer long au regard des nombreux défis qu'un tel accord suppose, notamment du point de vue politique. Après plusieurs semaines de discussions entre les différentes parties prenantes européennes, la Commission Européenne vient de recevoir son mandat de négociation. Les négociations porteront avant tout sur des aspects économiques, mais les enjeux géoéconomiques de long terme induits sont au moins aussi importants et engageants. Dans ce cadre, il apparaît que la France est fortement concernée par un accord. En effet, les négociations devraient porter sur plusieurs domaines dans lesquels la France est encore relativement présente.

Relations commerciales entre les Etats-Unis et l'Union Européenne

 

Eléments de compréhension du libre-échange

Un accord de libre-échange se caractérise par une diminution ou la suppression des barrières à l'échange à l'intérieur d'une zone ou entre plusieurs zones. L'abaissement des barrières concerne les biens et services inclus dans le mandat de la négociation. Un accord de libre-échange est généralement la première étape vers une intégration plus forte des marchés.

En pratique, l'abaissement des barrières à l'échange renvoie aux barrières tarifaires (BT) et aux barrières non-tarifaires (BNT). Les barrières tarifaires sont les droits de douanes dus à un pays lorsqu'une marchandise ou un service entre sur son territoire, alors qu'une barrière non-tarifaire correspond aux normes et aux règles administratives concernant la production ou la distribution d'un bien ou d'un service (typiquement les normes sanitaires ou financières). Sans juger du caractère pertinent ou non en soit des barrières, il convient néanmoins de souligner que l'existence de barrières constitue par définition un obstacle au développement des échanges. Dès lors, une diminution de ces barrières permet de stimuler les échanges. Le postulat derrière ce constat, est que le développement des échanges permet également d'accroître la croissance économique, et donc l'emploi, des pays concernés.

Probabilité et portée d'un l'accord

Concernant les barrières tarifaires, il apparaît que les marges de manœuvres sont très faibles. En effet, mise à part certains produits, les droits de douanes sont déjà très faibles et sont compris entre 3% et 5% en moyenne. Dès lors, la suppression totale des barrières tarifaire aurait un impact mécanique limité. Les Etats-Unis et l'Union Européenne sont déjà des partenaires commerciaux très proches. Pour preuve, la majorité des investissements européens sont dirigés vers les Etats-Unis, et inversement, ce qui traduit des marchés déjà fortement interconnectés. Par conséquent, même si les barrières tarifaires devaient totalement disparaître à l'issue des négociations, la relation commerciale ne serait pas fondamentalement changée et n'évoluerait pas vers une forme qui n'existait pas auparavant.

Les négociations porteront en réalité essentiellement sur les barrières non-tarifaires. L'idée serait d'organiser une harmonisation ou une reconnaissance mutuelle des normes réglementaires de part et d'autre de l'Atlantique, afin de permettre l'accès au marché des différentes industries. Or, il existe pour le moment de fortes différences car les systèmes sont basés sur des philosophies et des mécanismes administratifs différents. Un exemple typique de cette différence d'approche est le principe de précaution. En substance, le principe de précaution renvoie au fait que dans le doute, même minime, un produit ou un service ne peut être lancé sur le marché, ou doit être retiré en cas d'incident, même supposé. En Europe, ce principe est largement partagé, il existe un relatif large consensus politique à son égard et les pays lui accordent beaucoup d'importance. Inversement, aux Etats-Unis, un tel principe n'existe pas, ou alors dans une forme beaucoup plus restreinte. Il est beaucoup plus facile de mettre des produits ou des services sur le marché. En revanche, en cas de problème avéré, l'entreprise qui aura développé ou distribué ce produit devra supporter de façon beaucoup plus importante les coûts des désagréments engendrés. Schématiquement, il est possible de dire que la vision européenne des normes et des règles est "Régulation puis mise sur le marché", alors qu'aux Etats-Unis la philosophie s'apparente plus à "Mise sur marché puis responsabilisation". Au final, la différence de philosophie entre les deux zones est symptomatique de la relation des sociétés avec la notion de prise de risque et de responsabilité.

Il existe plusieurs agences de régulation, que ce soit au sein de l'UE ou des Etats-Unis, même s'il convient de préciser que l'UE en détient probablement plus. Il est peu probable que ces différentes agences soient enclines à abandonner leurs pouvoirs de régulation et des freins apparaitront nécessairement. Ensuite, s'il y a harmonisation, il est peu probable que les Etats-Unis soient prêts à harmoniser en mettant plus de règles pour se rapprocher du modèle européen. De l'autre côté, l'environnement politique européen ne paraît pas propice à ce que les Etats évoluent vers moins de régulation, sur un modèle américain. Dans ce cadre, un consensus apparaît difficile à faire émerger, au moins à court terme.

Enfin, la longue expérience européenne de plus de 20 ans concernant la mise en place d'un marché commun souligne à quel point il peut être compliqué de faire converger des positions sur ces aspects. Même après une convergence des philosophies, il demeure toujours les freins pratiques liés aux éléments administratifs purs et politiques. De plus, si de façon conceptuelle, les deux parties arrivent à se mettre d'accord, la mise en place pratique de ces normes communes et leurs fonctionnements risquent d'être également compliqués. Les accords concernant les aspects purement tarifaires sont généralement beaucoup plus simples à faire émerger.

Enjeux économiques

D'un point de vue comptable, les bénéfices d'un tel accord pourraient s'élever à près de 100 milliards d'euros par an pour les Etats-Unis et près de 120 milliards d'euros par an pour les pays de l'Union Européenne. Au niveau de la croissance, cela se traduirait par une augmentation compris entre 0,5% et 1% de la richesse annuelle des deux zones. En pratique, le résultat serait que les consommateurs auraient accès à des services et des produits en plus grand nombre, plus diversifiés et moins chers, le tout grâce notamment à l'accroissement de la concurrence. Les consommateurs auraient donc accès à un choix plus grand. Dans ce cadre de transformation de l'environnement économique, il existe deux grandes stratégies pour les producteurs, soit s'orienter vers des produits low cost (bas coût) à faible valeur ajoutée, soit une montée en gamme avec des produits de luxe ou de meilleure qualité. Dès lors, le résultat serait une destruction des secteurs anciens qui bénéficient actuellement d'une rente d'activité, au profit des producteurs les plus efficaces et les plus capables de s'adapter au changement de l'environnement, ainsi que des nouvelles industries.

L'accord de libre-échange englobera des secteurs très différents tels que les marchés agricoles, les normes alimentaires, les marchés publics, le secteur de la défense, la régulation financière et bancaire, etc. L'un des aspects sur lequel les négociations vont très probablement achopper concerne les aspects agricoles. Il convient ici de rappeler que l'idée d'une large zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union Européenne est une idée qui a plus de 20 ans. Le projet avait déjà échoué, notamment du fait de ces aspects agricoles. L'enjeu actuel est d'accorder l'accès aux marchés européens pour le bœuf aux hormones américain et les cultures OGM, en échange de débouchés pour les fruits et légumes, ainsi que les produits laitiers européens sur le marché américain.

L'Union Européenne a déjà indiqué qu'elle excluait de la négociation les aspects culturels et audiovisuels. La France est à l'origine de cette décision car elle a voulu défendre "l'exception culturelle française". La notion d'exception culturelle  provient de l'idée que la culture n'est pas un bien comme les autres. Il renvoie à "l'âme" d'un pays et à son rayonnement, et qu'à ce titre il est stratégique. Toutefois, il convient de regarder cet élément de façon pragmatique. En effet, si la culture est un élément stratégique et un bien différent des autres, il semble que la défense et l'agriculture sont également des éléments qui présentent des caractéristiques spécifiques et stratégiques.

Si le secteur de la défense est évidement un secteur stratégique, il convient de le souligner pour le secteur agricole. L'agriculture présente un aspect géostratégique de première importance. Il permet d'assurer l'indépendance et l'autosuffisance alimentaire. En cas de crise, l'autosuffisance permet de ne pas se trouver confronté à l'incapacité de répondre à la demande ou la fermeture d'un marché sur lequel un pays à l'habitude de s'approvisionner. Ainsi, il n'y a aucune raison objective de plus exclure la culture que l'agriculture ou la défense du champ des négociations. Une des raisons, qui pourrait expliquer ce choix pourrait correspondre à des considérations politiques et électoralistes françaises. En effet, le milieu culturel français est réputé voter largement à gauche, alors que les secteurs agricoles et militaires sont réputés voter à droite.

Concernant l'exclusion du secteur culturel, d'autres éléments sont à mettre en avant. L'exclusion de ce secteur suppose de fait qu'il ne pourrait pas survivre sans subventions face à la concurrence des Etats-Unis. Par conséquent, cela signifie que cette industrie n'a pas suffisamment de clients, et qu'en cas d'une augmentation du choix pour le consommateur, celui-ci s'orienterait vers d'autres produits culturels. Les conclusions sont cruelles. En effet, cela montre que la culture française n'est pas aussi performante qu'elle ne le prétend, car si elle était "supérieure" elle ne devrait pas avoir peur de la concurrence. D'autre part, l'exception culturelle consiste dans les faits à maintenir une activité grâce à la réglementation et à des aides financières pour un secteur qui n'est pas suffisamment efficace et sans public captif, le tout financé par le contribuable et engendrant une destruction de croissance et d'emplois dans d'autres secteurs non protégés.Bien entendu, l'enjeu de la culture va plus loin et les remarques ci-dessus visent à soulever des points qui sont rarement soulignés dans le débat public. Néanmoins ces points devraient pouvoir poser question, au moins sur les conséquences et la signification pratique de cette "exception culturelle" sans occulter une partie du débat.

Enjeux géoéconomiques

Le libre-échange suppose l'ouverture des frontières pour favoriser l'échange de biens et de services, ce qui suppose que toutes les nations participant à un accord y trouvent un intérêt, c'est-à-dire un "gain à l'échange". Dès lors, le gain à l'échange suppose une approche coûts-bénéfices. Or, cette approche ne permet pas de prendre en compte les différences d'horizons temporels entre le court terme et le long terme. Autrement dit, si des avantages peuvent apparaitre à court et moyen terme, ceux-ci ne sont pas forcément les mêmes à long terme.

La stratégie américaine, quant à la signature d'un accord de libre-échange avec l'Europe, est relativement ancienne mais le regain d'intérêt et assez récent. En effet, l'administration Obama constate la montée en puissance de la Chine et les intentions de ce pays de devenir la première puissance mondiale et de se passer à terme du dollar dans les transactions internationales. Dans ce contexte, le changement de stratégie américaine se traduit notamment par une volonté "d'encerclement de la Chine". A ce titre, le retour du Japon dans le giron occidental est symptomatique de cette stratégie avec les négociations en cours concernant un Partenariat Trans-Pacifique qui engloberait toute l'Asie du Sud-Est, à l'exception de la Chine.

Toutefois, dans la stratégie américaine, un marché commun qui exclurait la Chine doit avoir son pendant du côté de l'Atlantique, d'où l'idée d'un partenariat Trans-Atlantique. Le Président de la Commission Européenne, José Manuel Barroso, étant libre-échangiste, cette proposition a reçu un accueil de principe plutôt positif. Dans ce cadre, deux pays européens poussent à ratifier un accord : Angleterre et Allemagne. L'objectif principal de l'Angleterre est d'ouvrir les marchés afin de développer la "City" (quartier financier de Londres) et le transport maritime. Du côté allemand, l'intérêt de court terme n'est pas évident et il participe à une stratégie plus globale. En effet, les droits de douanes étant déjà très bas, un nouvel abaissement aurait des résultats marginaux en terme de développement du commerce. De plus, l'Allemagne est déjà largement excédentaire en terme de commerce avec les Etats-Unis et le pays fabrique déjà plusieurs de ses produits sur place pour fournir le marché américain. En revanche, une harmonisation des normes permettrait de relocaliser une partie de l'industrie aux Etats-Unis afin de bénéficier d'usines robotisées, d'une main d'œuvre moins chère qu'en Europe et d'un dollar moins "fort" que l'euro. Le but n'étant pas de fournir davantage le marché américain mais de se servir des Etats-Unis comme base d'exportation pour réexporter des produits vers l'Europe et éventuellement l'Asie.

Toutefois, pour accepter cette stratégie, les Etats-Unis doivent pouvoir bénéficier de contreparties minimums. Dès lors, ce qui intéresse les Etats-Unis, c'est surtout l'ouverture des marchés agricoles, de santé, de défense et des nouvelles technologies tels que les réseaux et internet. Or, il se trouve que ce sont des secteurs sur lesquels la France est encore relativement présente. Dès lors, en réalité, l'accord concerne fortement la France. Or, la France arrive à la table des négociations dans une position de faiblesse relative car sa situation économique et politique actuelle ne favorise pas l'émergence d'un poids crédible. Il faut espérer pour la population française que le seul avantage de la France ne soit pas déjà acquis. A savoir, la préservation d'un secteur culturel et de pouvoir continuer à subventionner une industrie non performante, à fortiori si cela est motivé par des intérêts politiques et électoralistes de court terme.

Décryptage connexe

Sylvain Fontan, “Accord de libre-échange entre USA et Union Européenne : Opportunité ou Piège?”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 22/04/2013.

Citation

Sylvain Fontan, “Projet d'accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l'Union Européenne" décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 27/06/2013.