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Conséquences de l'assouplissement monétaire lié à la crise globale

23 juillet 2013

Afin de faire face à la crise financière de 2008-2009, la plupart des banques centrales ont notamment mis en place des politiques d'assouplissement monétaire (baisse des taux d'intérêts) pour soutenir le secteur bancaire et l'activité économique. Si les effets initiaux ont permis d'éviter une grande dépression comme dans les années 1930, le prolongement de ces politiques pourrait s'avérer délétère. En effet, les politiques actuelles sont probablement en train de créer les conditions de la prochaine crise économique.

Evolution des taux directeurs de la BCE depuis la création de l'Euro en 1999

 

Politique monétaire et assouplissement monétaire

La politique monétaire se définit comme le moyen d'agir sur l'activité économique par l'intermédiaire de la monnaie et du taux d'intérêt. Idéalement, elle doit procurer à l'économie la quantité de monnaie nécessaire pour favoriser la croissance économique et l'emploi, tout en préservant la stabilité de la valeur de la monnaie au niveau interne (taux d'inflation), comme au niveau externe (taux de change).

La politique monétaire est mise en œuvre par des autorités monétaires. Leurs rôle est de concevoir la politique monétaire d'un pays et de s'assurer de son application. La principale autorité monétaire d'un pays est la banque centrale. Dans le cas d'une union monétaire (ex: Zone Euro) où plusieurs pays partagent la même monnaie (ex: l'Euro), les banques centrales nationales sont sous la tutelle d'une banque centrale supérieure (ex: Banque Centrale Européenne -BCE).

Les autorités monétaires cherchent principalement à encourager ou à freiner l'activité de crédit des banques. Pour ce faire, les autorités monétaires disposent de plusieurs instruments monétaires. Toutefois, l'instrument principal consiste à agir sur les taux d'intérêts. En effet, lorsque les banques empruntent des liquidités pour se refinancer auprès de la banque centrale, elles doivent s'acquitter d'un taux d'intérêt appelé "taux directeur". Le taux directeur est le moyen le plus traditionnel pour agir sur les taux d'intérêts. Lorsque le taux directeur augmente, les banques répercutent cette hausse sur leurs clients, qui sont ensuite incités à diminuer leur demande de crédit. Le phénomène inverse apparaît quand les taux diminuent. Dans ce cas, les banques sont en état de se refinancer à moindre coût, et peuvent ainsi accorder plus facilement des crédits aux agents économiques (ménages et entreprises). Dans ce cas, la politique menée consiste à un "assouplissement monétaire" visant notamment à stimuler l'activité économique.

Risques à court et moyen terme

Les effets et les objectifs pratiques d'une politique monétaire "accommodante" sont nombreux. Sans rentrer dans le détail de ces derniers, il convient de préciser qu'ils visent, d'une part, à stimuler l'économie (ou limiter les effets récessifs) via la production et l'emploi, et d'autre part, dans le cas présent, à gagner du temps afin de permettre le désendettement d'entités publiques et privées, et ainsi leurs éviter de faire défaut.

Toutefois, tous ces effets escomptés reposent fortement sur l'hypothèse que le système financier puisse transmettre les orientations de la politique économique au reste de l'économie. Or, il s'avère que, d'une part, les institutions financières sont confrontées à de plus en plus de normes prudentielles ne les incitant pas à accorder des crédits, et d'autre part, les entreprises et les ménages (parfois surendettés) ne souhaitent pas forcément emprunter plus, à fortiori dans un environnement économique incertain où les perspectives économiques futures ne sont pas nécessairement positives. Dès lors, pour que la politique d'assouplissement monétaire conserve ses effets sur l'activité économique, elle doit être encore plus marquée. Or, il apparaît que, à l'image de la BCE (voir graphique ci-dessus), les grandes banques centrales mondiales ont déjà des taux directeurs très bas (proche de 0%), ce qui limite fortement les marges de manœuvre traditionnelles. Plusieurs banques centrales se sont alors lancées dans des mesures dites "non-conventionnelles" (notamment Etats-Unis -Quantitative easing- et Japon -Abenomics-) qui consistent grosso modo à racheter des actifs (généralement des obligations) en grande quantité afin d'injecter des liquidités dans le système financier.

Bien qu'il soit nécessaire, l'assouplissement monétaire n'en demeure pas moins risqué. En effet, il était nécessaire dans un premier temps, au plus fort de la crise globale, afin d'éviter l'effondrement du système économique dans son ensemble. Il est toujours nécessaire afin de soutenir une économie mondiale qui est loin d'être sortie de la crise et qui peine à trouver une reprise autonome. Néanmoins, si tous ces points sont exacts, il n'en demeure pas moins que les risques inhérents à cette politique de soutien artificiel à l'économie sont bien réels :

1) Le prolongement de conditions monétaires accommodantes cache les problèmes structurels sous-jacents et incitent moins à s'y attaquer. (1) Au niveau des Etats, le rétablissement de la viabilité budgétaire est nécessaire afin d'assurer la stabilité macroéconomique et macro-financière des Etats, pour ensuite récupérer des marges de manœuvres suffisantes pour développer des politiques économiques plus ambitieuses. Toutefois, ces dernières sont conditionnées au fait que des réformes structurelles soient engagées. Or, le fait que les conditions monétaires soient accommodantes peut laisser penser que ces efforts peuvent être différés, à fortiori quand l'horizon politique des pouvoirs en place se limite généralement aux prochaines élections. (2) Au niveau des institutions financières, la présence de taux d'intérêts bas fait que les banques risquent de sous-estimer le risque lié à la capacité de remboursement de leurs débiteurs. Ainsi, l'octroi et la détention de prêts improductifs est plus élevé. Au final, cela pourrait induire une mauvaise allocation des crédits, et ainsi contenir les germes d'une nouvelle crise des subprimes, comme en 2007 avec des ménages dont la solvabilité n'était pas assurée, mais qui ont néanmoins eu accès au crédit grâce à des conditions particulièrement accommodantes.

2) Le prolongement de conditions monétaires accommodantes pourrait dégrader la rentabilité des banques. Entre 2008 et 2010, l'assouplissement monétaire a permis d'améliorer la rentabilité des grandes banques en facilitant la reconstitution de leurs fonds propres. Cependant, (1) au niveau du crédit bancaire, dans une période caractérisée à la fois par des taux bas, et  des rendements également très bas, les revenus retirés des prêts octroyés diminuent. De plus, (2) la faiblesse des rendements liés aux placements obligataires pour les entreprises d'assurance vie et les fonds de pension provoquent des difficultés. Si d'aventure les marges bénéficiaires devaient devenir négatives, alors un certain nombre d'entreprises opérant dans ces secteurs pourraient faire faillite. Il existe des moyens pour se couvrir contre ce risque, mais cela consiste en pratique à transférer le risque sur d'autres entités (ménages et autres établissements financiers).

3) Le prolongement de conditions monétaires accommodantes peut être source de distorsions sur les marchés financiers. Une distorsion est un déséquilibre entre des réalités économiques. Un des rôles des marchés financiers est d'allouer les ressources dans le temps et l'espace, entre les agents ayant un besoin de financement, et ceux ayant une capacité de financement. Or, étant donné le niveau exceptionnellement bas des taux d'intérêts, les prix sur les marchés financiers sont faussés et ne permettent donc pas d'évaluer les actifs (actions, obligations, etc) à leur juste valeur. Dès lors, l'allocation des ressources est biaisée et le système de prix ayant cours dans le système financier mondial ne reflète pas la situation économique comme il le devrait.

4) La faiblesse des taux peut entraîner le retour d'une prise de risque excessive. L'un des objectifs initiaux de l'assouplissement de la politique monétaire était de lutter contre l'aversion généralisée contre le risque. En effet, au déclenchement de la crise financière, l'aversion pour le risque de la part des opérateurs financiers était telle que les bourses se sont mises à chuter, et les banques refusaient de se prêter. Toutefois, une fois passée cette période de tension extrême, les rendements se sont tassés et sont dorénavant très bas. Dans ce contexte, la recherche de placements plus rémunérateurs est un comportement normal. Cependant, afin de bénéficier de rendements plus élevés, les opérateurs financiers doivent nécessairement se tourner vers des placements plus risqués. Dès lors, il n'est pas impossible que des institutions financières s'exposent de façon excessive au risque, courant ainsi le risque d'enregistrer de lourdes pertes en cas de retournement du marché.

Implications au niveau mondial

Les économies émergentes font face à des enjeux différents que ceux des pays développés. En effet, bien que toutes ces économies commencent à converger sur un certain nombre de points, les environnements économiques restent différents et l'objectif principal demeure la stabilisation intérieure, notamment au niveau de l'inflation (évolution des prix à la consommation).

Les pays émergents doivent pour la plupart composer avec des taux d'inflation élevés. Dès lors, ils présentent des taux d'intérêts plus élevés. En effet, généralement, les taux d'intérêts sont fortement corrélés avec le taux d'inflation (évolution des prix à la consommation) : lorsque les taux directeurs diminuent, l'inflation à tendance à augmenter; et inversement, quand les taux directeurs augmentent, l'inflation diminue (ou augmente moins vite).

Le différentiel de taux d'intérêts entre les pays développés et les économies émergentes drainent les flux de capitaux vers ces dernières. En effet, les zones économiques avec des taux d'intérêts plus élevés offrent par nature des possibilités de rendements plus élevés que celles où les taux d'intérêts sont proches de zéro. L'afflux de capitaux renforce les tensions inflationnistes dans les pays émergents, via l'essor du crédit et les prix des actifs (immobiliers, financiers) (cf. Chine). A terme, ces économies risquent de développer  des déséquilibres financiers proches de ceux qu'ont connu les économies avancées avant l'éclatement de la crise globale. Une correction identique ou comparable à celle qu'ont connu les pays développés aurait des effets en chaine planétaire étant donné la taille dorénavant atteinte par les économies émergentes.

Les autorités monétaires des pays émergents sont face à une problématique insoluble. Soit (1) elles augmentent les taux d'intérêts afin de contenir les poussées inflationnistes, au risque de renforcer le différentiel de taux d'intérêts avec les économies à faible taux d'intérêts, et ainsi renforcer l'afflux de capitaux cherchant à se placer pour obtenir de meilleurs rendements; ou alors, (2) elles diminuent les taux d'intérêts afin de freiner l'afflux de capitaux étrangers, au risque de laisser filer l'inflation, et ainsi affaiblir le pouvoir d'achat des populations dans une période où les autorités de ces pays cherchent à réorienter la croissance économique vers la demande intérieure.

 

Décryptages connexes pour aller plus loin

Sylvain Fontan, “USA : d'une crise à l'autre”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 30/05/2013.

Sylvain Fontan, “Abenomics : les trois flèches de la stratégie économique du Japon”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 18/06/2013.

Sylvain Fontan, “Abenomics : la nouvelle politique économique très agressive du Japon”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 21/05/2013.

Citation

Sylvain Fontan, “Conséquences de l'assouplissement monétaire lié à la crise globale”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 23/07/2013.