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La Méditerranée, promesses et dangers

14 juillet 2021

La Méditerranée est la mer des civilisations et des cultures ; elle est aujourd’hui la mer des dangers et des déstabilisations potentiels. Ces dangers sont le fruit de la stratification historique de la zone, qui produit aujourd’hui des chocs et des étincelles à venir. Il y a toujours beaucoup d’émotions à se baigner dans une mer qui a vu passer les Grecs et les Romains, les raids arabes et les Croisades, les Normands et les Anglais, l’expédition de Marc-Antoine et celle de Bonaparte. On n’en finirait pas d’écrire l’histoire de cette mer et c’est cette accumulation de strates historiques qui fait de ce lac romain un enjeu géopolitique majeur. Mais plusieurs défis et problèmes graves se profilent en Méditerranée qui vont accroître l’actualité des mois à venir.

Méditérranée

Par Jean-Baptiste Noé, IdL

 

Défis de stabilisation étatique

Nous avons déjà évoqué ici le cas de la Libye et de l’Égypte, pays instables pour des raisons diverses dont l’effondrement, surtout de la Libye, serait un danger grave pour l’Europe.

Le problème algérien est autrement plus compliqué. On n’en finit pas d’attendre avec angoisse la mort du président Bouteflika, dont on sait qu’elle ouvrira immédiatement un trou de chaos. Est-ce son frère cadet qui arrivera à prendre le pouvoir ? D’autres militaires ? Les frères musulmans ? La déstabilisation algérienne risque de se propager en Tunisie, pays affaibli, et au Maroc, dont la stabilité est fragile. Un effondrement du Maghreb est à craindre. Pour y faire face, il faudra comprendre la situation et disposer d’une armée efficace. Ne comptons pas sur nos partenaires européens pour nous aider, il y a longtemps qu’ils ont signé un bail à long terme avec l’Otan qui leur sert d’armée de substitution. C’est le retour aux mercenaires (dans une vision positive) ou à l’asservissement impérial (vision plus négative, et peut-être plus juste).

C’est là qu’un double problème se pose. D’abord le vide intellectuel de l’élite politique, qui la rend incapable de comprendre les enjeux internationaux du moment. Ensuite, l’état d’épuisement de notre armée, dont le matériel est usé, et qui risque de ne pas être en mesure de faire face au défi d’un effondrement de l’Afrique du Nord. Baisser le budget de l’armée de 850 millions d’euros n’est pas la mesure la plus intelligente qui ait été prise. Nous sommes en guerre nous dit-on. Je n’ai pas d’exemple, dans l’histoire, de gouvernement qui ait diminué son budget militaire en temps de guerre, surtout pas pour augmenter le budget général de 7,3 milliards d’euros. D’ordinaire, on fait plutôt l’inverse.

Puisqu’Édouard Philippe est de la promotion Marc Bloch de l’ENA, nous ne pouvons que lui conseiller de reprendre L’étrange défaite, œuvre brillante d’un historien honnête et intelligent :

« Notre machinerie de partis exhalait un parfum moisi de petit café ou d’obscurs bureaux d’affaires. Elle n’avait même pas pour elle l’excuse de la puissance, puisqu’elle s’est effondrée aux premiers souffles de l’arbitraire, comme un château de cartes. Prisonniers de dogmes qu’ils savaient périmés, de programmes qu’ils avaient renoncé à réaliser, les grands partis unissaient, fallacieusement, des hommes qui, sur les grands problèmes du moment -on le vit bien après Munich- s’étaient formé les opinions les plus opposées. » (p. 174)

Il n’y a pas que l’Afrique du Nord qui soit fragile. La Grèce n’a toujours par réglé la question de sa dette et de ses budgets déficitaires. Le problème grec a été reporté, non pas résolu. Un nouveau défaut de paiement risque cette fois de faire sauter l’euro, et d’entraîner avec lui les pays à l’économie défaillante.

L’Italie quant à elle est submergée par la crise migratoire. Les premiers sentiments charitables passés, la population commence à être excédée par ces vagues qui n’ont ni solution ni fin. Les villages de Sicile sont de plus en plus envahis par les flux migratoires, comme ceux du sud de l’Italie. La mafia s’enrichit de ce trafic, des ONG en profitent pour déstabiliser le pays. On peut craindre ici la colère des peuples et l’embrassement armé des milices.

 

Défi migratoire

Ce dernier n’est toujours pas résolu depuis 2013, même si l’on a cessé de projeter les images d’embarcation à la télévision. Les rapports officiels de la Commission européenne, d’Europol et des ONG démontrent que les migrants ne fuient pas la guerre, mais viennent pour des raisons économiques. 90% d’entre eux viennent en Europe par l’intermédiaire des réseaux mafieux. L’UE a montré son incapacité à protéger sa frontière sud, celle de la Méditerranée. Les bâtiments militaires qui y sont envoyés n’ont pas d’ordre pour agir réellement et se contentent d’opérations humanitaires bien dérisoires au regard du défi réel.

Le risque est cette fois une déstabilisation des pays d’Europe. Jusqu’à quand les Italiens vont-ils supporter cette situation et la gabegie de leurs représentants politiques ? Jusqu’à quand les habitants de Calais vont-ils supporter les affrontements entre groupes d’Érythrée et d’Éthiopie, les barrages routiers, les vols et les cambriolages ? Pour l’instant la population demeure pacifique, mais jusqu’à quand ? Le nombre de licenciés de la Fédération française de tir est passé de 145 000 en 2011 à 200 000 en 2016. Une épidémie d’amour du tir sportif, sans aucun doute. De même, le nombre de personnes passant le permis de chasse est en hausse constante : 2 600 en 2016, en Île-de-France, un record. Rappelons que le permis chasse et la licence de tir sportif permettent de posséder légalement une arme, et qu’une carabine pour chasser le sanglier est très puissante.

De plus en plus de personnes ressentent le besoin de s’armer pour se protéger d’éventuelles attaques, preuve que la confiance dans l’État a complètement disparu. Or la mission première d’un État est d’assurer la sécurité de sa population, non de fournir des cantines gratuites ou des pass culture.

 

Défi turc

La Turquie est, pour l’Europe, un défi à elle seule. Un an après le putsch raté contre Erdogan, qui a permis à ce dernier de renfoncer son pouvoir et d’établir une dictature lui assurant le contrôle de son pays, Ankara continue son double jeu vis-à-vis de l’État islamique. Il nargue l’Europe et manie la vanne migratoire comme moyen de pression à l’égard de l’Allemagne. De la Méditerranée on passe vite en Mer noire (la région du Pont chez les Grecs) et donc en Crimée où les Russes sont désormais installés. Nul doute que Moscou regarde cette zone avec grand intérêt. La proclamation de l’indépendance du Kurdistan est un risque réel pour la région. La Turquie ne va pas laisser se développer un État qui revendique une partie de son territoire. Une intervention armée n’est pas à exclure, qui rajouterait du chaos à un Moyen-Orient déjà bien empêtré.

 

Défi des profondeurs

La Méditerranée ne se limite pas à ses côtes. Son espace s’étend jusqu’au Sahara pour le sud et jusqu’à la Mésopotamie pour l’Est. Plus que jamais, la Méditerranée demeure l’espace romain par excellence. L’infiltration de l’État islamique au Sahara, la fragilité du Mali, du Tchad et de la Centrafrique a des répercussions sur le Maghreb et donc sur l’Europe.

Même si Mossoul a été repris à l’État islamique (dans une guerre urbaine plus longue que Stalingrad), ce dernier n’est pas mort. Il mute et il s’adapte à la nouvelle donne. Damas est une ville de la Méditerranée et tant que dure le conflit syrien c’est tout l’espace qui est menacé.

 

La Terre du chaos

Au sud comme à l’est, la Méditerranée baigne les rives de ce que les géopoliticiens appellent la Terre du chaos : un territoire où se concentrent les conflits, le terrorisme et la dissolution des États. Le chaos a toujours un mouvement expansif et s’accélère dans sa propagation. Le défi de l’Europe est de le circonscrire et de le rétracter. Pour cela, la force militaire seule ne suffit pas, encore faut-il être conscient des défis du temps.

 

Solution aux défis

La mer se tient par une flotte. La France et les pays d’Europe ne pourront pas faire l’économie d’une marine puissante et moderne pour tenir et donc contrôler cet espace aquatique, au risque de la voir devenir plus que jamais une mer des larmes. Si elle souhaite garder sa souveraineté, la France ne pourra pas se passer d’un deuxième porte-avions.

Le chaos se résout par la stabilisation, ce qui implique de renouer avec une diplomatie réaliste fondée sur le soutien aux États résistants au chaos. Fortifier Le Caire, Rabat, Amman et Damas d’une part, prendre acte de la partition de la Libye et de l’Irak et accompagner la nouvelle gestion de ces territoires d’autre part. Enfin, lutter contre les réseaux mafieux qui s’enrichissent par l’industrie migratoire.

Il est encore temps, pour l’Europe, de prendre son destin en main, avant que d’être conduit par d’autres qu’elle-même :

« Nous nous trouvons aujourd’hui dans cette situation affreuse que le sort de la France a cessé de dépendre des Français. Depuis que les armes, que nous ne tenions pas d’une poigne assez solide, nous sont tombées des mains, l’avenir de notre pays et de notre civilisation fait l’enjeu d’une lutte où, pour la plupart, nous ne sommes plus que des spectateurs un peu humiliés. » (Marc Bloch).