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Arabie-Saoudite, l'appel à la liberté

16 février 2021

Voilà un voyage qui a fait peu de bruit alors même qu’il est très important. Le cardinal français Jean-Louis Tauran s’est rendu une semaine en Arabie Saoudite, du 13 au 20 avril, pour rencontrer les dignitaires politiques et religieux du pays ainsi que les communautés chrétiennes qui y sont présentes. Le cardinal Tauran est le président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux et l’un des plus fins diplomates du Saint-Siège. Son poste n’est pas évident, car lorsque l’on dirige le ministère du dialogue interreligieux on ne peut pas faire autrement que d’enchaîner des banalités et de promouvoir « le dialogue » terme fourre-tout pour désigner généralement une attitude attentiste qui n’aborde pas les problèmes de fond et qui reste en surface des choses. Tel n’est pas le cas du cardinal Tauran qui, avec la prudence diplomatique qui sied lorsque l’on aborde le point délicat du terrorisme en islam, a su déjà dire des choses de façon claire et directe. C’est une visite sans précédent qui s’est déroulée la semaine dernière, durant laquelle le cardinal Tauran a rencontré le roi d’Arabie Saoudite, accompagné du ministre de l’Intérieur, le prince Mohammed ben Nayef ben Abdelaziz Al Saoud, le ministre des Affaires étrangères, Adel ben Ahmed al-Joubeir et le Secrétaire général de la Ligue islamique mondiale, le Sheikh Mohammed Abdul Karim Al-Issa. Par Jean-Baptiste Noé.

 

Lors de sa visite en Arabie Saoudite, il n’a pas dit des choses nouvelles, mais en un lieu nouveau. Il a dit des choses que l’on a déjà dites ailleurs, mais jamais dans la patrie du wahhabisme, et face aux soutiens du terrorisme islamiste et de Daech. C’est en cela que cette visite est mémorable. Lors d’un discours à la Ligue islamique mondiale, le cardinal a ainsi rappelé le véritable sens du martyre : « La religion est ce qu’une personne a de plus cher. C’est pour cela que certains, lorsqu’ils sont amenés à choisir entre conserver la foi ou rester en vie, préfèrent accepter de payer le prix fort : ce sont les martyrs de toutes les religions et de toutes les époques ». Le martyre n’est pas donner la mort, comme le font les suppôts de l’islamisme, mais refuser de renier ce qui nous tient le plus à cœur. C’est une différence fondamentale entre les chrétiens persécutés en Irak et leurs persécuteurs.

Il a aussi vigoureusement attaqué le fondamentalisme : « Il y a des radicalismes dans toutes les religions. Les fondamentalistes et les extrémistes sont sans doute des personnes zélées, mais qui ont malheureusement dévié d’une compréhension solide et sage de la religion.  De plus, elles considèrent ceux qui ne partagent pas leur vision comme des mécréants qui doivent se convertir ou être éliminés afin de maintenir la pureté.  Ce sont des personnes égarées qui peuvent facilement tomber dans la violence au nom de la religion, y compris dans le terrorisme.  Elles sont convaincues, par un lavage de cerveau, qu’elles sont en train de servir Dieu.  La vérité c’est qu’elles se font seulement du mal à elles-mêmes, en détruisant les autres et en ruinant l’image de leur religion et de leurs coreligionnaires.  C’est pourquoi ils ont besoin de notre prière et de notre aide ».

Une critique en règle qui s’oppose là aussi directement aux discours des djihadistes. Ces propos-là n’ont rien de nouveau, mais prononcés devant les dignitaires de la Ligue islamique mondiale, à Riyad, en terre wahhabite, ils ont une portée très forte.

De même lorsque le cardinal Tauran a abordé la question de la liberté religieuse. Il a rappelé que « la religion peut être proposée, mais jamais imposée, et ensuite acceptée ou refusée ». Ce qui implique donc la possibilité de changer de religion ; chose qui n’est pas acceptée en terre d’islam et qui est punie de mort. Et plus loin : « toutes les religions doivent être traitées de la même manière, sans discrimination, parce que leurs fidèles, tout comme des citoyens qui ne professent aucune religion, doivent être traités de la même manière », rappelant ainsi la nécessité de la pleine citoyenneté pour tous, chose qui n’est pas acceptée dans un certain nombre de pays du Moyen-Orient.

Il a aussi appelé les chefs religieux à combattre le terrorisme : « Les leaders spirituels ont un devoir : celui d’éviter que les religions soient au service d’une idéologie et être capable de reconnaître que certains de nos coreligionnaires, comme les terroristes, ne se comportent pas correctement. Le terrorisme représente une menace constante, c’est pourquoi nous devons être clairs et ne jamais le justifier.  Les terrorismes veulent démontrer l’impossibilité du vivre-ensemble.  Nous croyons exactement le contraire.  Nous devons éviter l’agression et le dénigrement. »

Dire qu’il ne faut jamais justifier le terrorisme en face de personnes qui le financent et le soutiennent est quelque chose de très fort. Comme son appel au dialogue interreligieux : « Tout dialogue interreligieux authentique commence par la proclamation de sa propre foi. Nous ne disons pas que toutes les religions se valent, mais que tous les croyants, ceux qui cherchent Dieu et toutes les personnes de bonne volonté qui n’ont pas d’affiliation religieuse, sont d’égale dignité.  Chacun doit être laissé libre d’embrasser la religion qu’il veut ».

Ces propos qui nous sont familiers doivent être replacés dans leur contexte et dans leur lieu. Dire cela en Arabie Saoudite c’est comme lancer un appel à la liberté politique et économique devant les apparatchiks du Kremlin. Cela ne fera pas bouger les lignes dans l’immédiat, mais c’est une brèche et un travail de sape effectué dans le mur des extrémismes. Le cardinal Tauran était accompagné par Monseigneur Khaled Akasheh, chef du département pour l’Islam. C’est un Jordanien francophile, fin connaisseur du Moyen-Orient, dont la tribu à laquelle il appartient a été évangélisée lors du premier siècle. C’est quelqu’un qui connaît très bien le monde musulman et qui sait quelle attitude adopter pour être le plus efficace. Le fait même que le voyage du cardinal Tauran ait été accepté montre que quelque chose est en train de changer en Arabie Saoudite. N’attendons pas de bouleversement. Les messes publiques sont encore interdites et les Philippins qui travaillent sur les chantiers sont très déconsidérés. Il y a quelques lieux où il est possible d’avoir des espaces de liberté religieuse, notamment dans les ambassades occidentales, où des messes sont régulièrement célébrées.

 

L’essoufflement plutôt que l’affrontement

Face à l’islamisme, le Saint-Siège a opté pour une stratégie similaire à celle qu’il adopta face au communisme : pas d’affrontement direct, pas de déclaration fracassante qui ne servent à rien, mais qui braque la partie adverse et qui pourraient aboutir à des répressions plus fortes sur les chrétiens vivant en terre d’islam. Mais plutôt mettre les musulmans en face de leurs contradictions et les pousser à une impasse doctrinale. Promouvoir la liberté religieuse peut sembler inefficace ; c’est en réalité très subversif. Cela met l’islam en face de ses contradictions. Soit les dignitaires musulmans refusent tout dialogue et tout échange, et dans ce cas ils se montrent officiellement intolérants et fermés, soit ils acceptent ce dialogue, mais ils ne peuvent pas tenir perpétuellement un double discours. Le message de liberté et de tolérance finit par s’infiltrer et surtout il place les dignitaires musulmans en face de leurs contradictions. Ils ne peuvent pas non plus avoir eux aussi ce discours-là et refuser toujours de le mettre en pratique. À terme, la contradiction est trop évidente pour être soutenable. C’est cette partition-là que la diplomatie vaticane est en train de jouer. Elle soutient les musulmans ouverts et avec qui il est possible de discuter. Elle organise des visites dans les lieux officiels de l’islam : ici le cardinal Tauran ; en avril 2017, le voyage du pape au Caire. Il s’agit aussi de montrer que la fermeture est portée par l’autre partie, et donc qu’en cas d’échec et d’affrontement, ce n’est pas le monde chrétien qui en sera responsable.

En discutant avec les différents pays et les différentes autorités religieuses, le Saint-Siège les met en concurrence. Elles se regardent elles-mêmes et se défient les unes des autres. Le Caire, Riyad, Téhéran et Ankara sont en concurrence. En entretenant de bons rapports avec ces différentes villes, le Saint-Siège oblige aussi les autres capitales musulmanes à se positionner. En septembre 2013, le pape s’était opposé à l’intervention militaire en Syrie et il l’avait dit publiquement. Cette fois, il n’a pas pris de position publique, si ce n’est pour prier pour la paix. Pourquoi une telle neutralité ? Peut-être pour ne pas mettre en danger le voyage du cardinal Tauran qui a débuté le jour même des bombardements. Peut-être aussi parce que le Saint-Siège avait reçu des assurances de la part des Occidentaux sur le fait que le bombardement serait très limité. Nous ne sommes-là que dans l’ordre des conjectures.

Les églises orientales, par la voix de leurs différents patriarches, se sont en revanche clairement et ouvertement opposées à ces bombardements et l’on fait savoir. En restant neutre, le Saint-Siège a évité de se mettre en porte-à-faux par rapport à elles, et cela lui permet de conserver sa liberté de parole et d’action pour la suite des événements. Fidèle à son habitude, le Saint-Siège privilégie la diplomatie du long terme et des petits pas aux démonstrations de force spontanée qui, en matière diplomatique, aboutissent souvent à peu de chose.