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Italie : les brutes et les truands

30 janvier 2020

Nous allons finir par croire que la diplomatie est une chose beaucoup trop sérieuse pour être laissée aux politiques. Ainsi de chaque côté des Alpes, nous assistons depuis quelques mois à des jeux puérils d’enfants en mal de quête de voix, qui prennent à partie leur population et font usage de leur diplomatie à des fins électorales. L’échéance à venir des élections européennes, importante autant pour le président Macron que pour la coalition italienne fait que ceux-ci instrumentalisent leurs différends pour remporter le scrutin.

 

Le premier à dégainer a été Emmanuel Macron, qui a tiré la ligne de partage des eaux en Europe : d’un côté les populistes de l’autre les progressistes ; ou comment rejouer le camp du bien face au camp du mal. Désigner le gouvernement romain comme faisant partie de « la lèpre nationaliste » n’était pas chose à réchauffer les relations entre Paris et Rome. Avoir fait de Matteo Salvini son ennemi européen afin de s’opposer à lui et de prendre la tête de la ligue des progressistes n’était pas non plus très habile. Sur la scène européenne, Emmanuel Macron est aujourd’hui seul. Plus personne ne le suit, ni le Royaume-Uni qui va bientôt partir, ni l’Espagne, ni l’Europe centrale, ni l’Allemagne qui ne veut pas se couper de l’Europe centrale. Il a beau faire, en Europe c’est un homme seul. Il cherche alors à surjouer le différent qui l’oppose avec Rome afin de remobiliser derrière lui le camp du bien contre la lèpre qui menace encore et toujours. Par Jean-Baptiste Noé.

Le match entre la Ligue et Cinque stelle

En Italie, la coalition au pouvoir est hétéroclite et fragile tant les programmes et les électorats de la Ligue et du mouvement cinq étoiles sont différents. Le M5S est arrivé en tête des dernières législatives, mais, de façon habile, la Ligue l’enserre et capte une partie de ses voix, si bien que M5S recule et que la Ligue progresse. Pour Luigi Di Maio, l’enjeu est de conserver un grand score lors des Européennes et, si possible, d’arriver devant la Ligue. Il renoue donc avec la rhétorique de son mouvement, anticapitaliste et antifrançais. D’où son opposition à la construction du TGV Lyon-Turin et sa visite aux gilets jaunes. Quant à Salvini, il est ravi de pouvoir se placer en opposant de Macron et il accepte tout à fait le rôle imposé par le metteur en scène français, jouant à merveille son personnage de populiste. Dans ce trio infernal, difficile de répartir les rôles entre le bon, la brute et le truand. Sûrement jouent-ils en même temps ces trois rôles, mais davantage encore la brute et le truand que le bon.

Dans le match qui oppose la Ligue à M5S, c’est la première qui est en train de prendre l’ascendant, comme en témoignent les élections régionales dans les Abruzzes. C’est certes une petite région, 1.3 million d’habitants, mais l’élection du 10 février dernier montre une chute de M5S et une montée de la ligue. En effet, cette région gouvernée par M5S depuis 2014 a été perdue par elle, au profit de la coalition de droite regroupant trois parties : Fratelli d’Italia, Forza Italia et la Ligue. M5S a perdu 200 000 voix entre 2014 et 2019, alors que la Ligue est passée de 2 000 voix en 2014 à 165 000 dimanche dernier. C’est la première fois que la coalition de droite remporte une élection dans le sud de l’Italie, qui était jusqu’à présent la chasse gardée de M5S. La dynamique est en faveur de la Ligue alors que Luigi Di Maio et son mouvement sont en régression. Pour ne pas perdre le pouvoir, Di Maio est donc contraint de faire de la surenchère afin de remobiliser son électorat. Et c’est la diplomatie qui en fait les frais.

 

La diplomatie en otage

Il a donc fallu cette rencontre entre Di Maio et une poignée de gilets jaunes pour que le président Macron décide de rappeler notre ambassadeur. Salvini a temporisé et Di Maio a laissé faire. D’un fait divers banal, nous entrons dans une crise diplomatique majeure à cause de trois enfants qui se chamaillent les voix électorales des Européennes à venir. Le jeu de rôle et de tartuffe risque de durer encore jusqu’en mai. Mais la crise est néanmoins d’importance. C’est la première fois depuis 1940 que l’ambassadeur français est rappelé à Paris. Ce n’est pas rien. On ne peut quand même pas aller jusqu’à la rupture des relations diplomatiques. Il faudra donc que l’ambassadeur revienne, sans rien avoir obtenu. Cette bravade risque de se terminer en Canossa. Quand M. Erdogan est venu en France et en Europe faire la tournée des mosquées turques en enjoignant sa diaspora de rester fidèle à Ankara, Paris n’a pas cru bon de rappeler son ambassadeur. Quand M. Bouteflika crache sur la France, avant et après être venu se faire soigner au Val de Grâce, il n’y a pas plus de soubresauts diplomatiques. Quand Riad et le Qatar financent les islamistes qui sévissent en France, il n’y a pas de protestation. Là où il faudrait réagir et témoigner de sa désapprobation, il n’y a rien. Pour un incident mineur, on déclenche une crise grave. La diplomatie est prise en otage par des politiques qui semblent avoir perdu le sens des réalités et des enjeux réels de leur civilisation.

 

La France s’efface de Rome

Mais il y a plus grave. En retirant l’ambassadeur du palais Farnèse, la France n’a plus de représentant diplomatique à Rome. Voici plus de six mois que l’ambassadeur de France près le Saint-Siège n’a pas été pourvu. L’ancien, Bruno Joubert, est parti en juillet 2018 et le siège est depuis vacant. Son départ était prévu et annoncé, il y avait donc tout le temps nécessaire pour pourvoir à son remplacement. Plus d’ambassadeur au palais Farnèse, plus d’ambassadeur à la villa Bonaparte, cette situation ne s’était pas vue depuis 1870. À cela s’ajoute le fait que la villa Médicis n’a plus de président, l’ancien n’ayant pas, lui non plus, été remplacé. C’est donc tout l’appareil de la diplomatie culturelle et étatique qui se retrouve sans tête et sans commandement. Or Rome est une place hautement stratégique, étant donné le réseau d’information dont dispose le Saint-Siège et l’ensemble des personnes qu’il est possible de rencontrer grâce à l’art et aux échanges culturels. La présence française s’efface à Rome et avec elle la puissance de la France. C’est le sens même de la diplomatie qui est perdu. Depuis que Laurent Fabius a restreint l’action diplomatique sur son volet économique, tout le reste a été effacé : action culturelle, politique d’influence, réseau d’informations, etc. Ce rétrécissement de la diplomatie cause son affaiblissement et, à Rome, sa disparition. Comment peut-on laisser aussi longtemps vacant le siège de la villa Bonaparte, alors que c’est l’un des plus importants du réseau diplomatique français ? Cela témoigne d’un très grand amateurisme au sommet de l’État, amateurisme inquiétant pour la puissance française.

 

L’Italie va mal

Quant à l’Italie, elle va mal. Ses problèmes structurels ne sont nullement réglés par l’actuelle coalition, ni la dette, ni la réforme des retraites, ni l’amélioration du tissu économique. Beaucoup de jeunes diplômés savent qu’ils n’ont pas d’avenir dans la péninsule et émigrent en France et aux États-Unis. Les infrastructures sont dans un état déplorable. Les autoroutes sont abîmées et vieillies, le réseau d’adduction d’eau est obsolète, comme en témoigne la pénurie d’eau de l’été 2017 à Rome. À Rome, de nombreuses rues sont trouées et défoncées et les déchets ne sont pas ramassés, comme dans un grand nombre de villes du sud. La gestion des déchets est un mal chronique du pays. Salvini peut accuser l’Europe et Bruxelles d’être la cause de ces maux, il n’en est rien et il faudra bien prendre les mesures essentielles au redressement du pays. Jusqu’aux Européennes il ne devrait pas y avoir grand-chose ; autant de mois de perdus. Et après, la coalition risque d’éclater et le pays de retomber dans l’incertitude politique. Il y a donc plus urgent et mieux à faire pour le bien des peuples que de se livrer à des chamailleries puériles entre brutes et truands.