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Etude sur les compétences techniques des décideurs politiques

25 mars 2021

La question de la compétence des décideurs politiques est un débat récurrent, notamment dans les domaines liés à l'économie, et à fortiori en période de crise. L'idée sous-jacente est que des gouvernants incompétents ont une propension plus forte à prendre de mauvaises décisions. En prenant ces mauvaises décisions, ils auraient engendré la crise, ou en tout cas l'auraient favorisée ou aggravée, et ils seraient maintenant incapables d'y mettre un terme du fait de leur incompétence. Une étude américaine (voir l'étude) essaye de mettre en relation compétences techniques et niveau de responsabilité. Si l'étude ne permet pas d'identifier un effet de cause à effet entre compétence et résultats, il en ressort néanmoins un certain nombre de conclusions intéressantes.

Eléments de compréhension des données

L'étude concerne 1200 décideurs politiques issus des pays de l'Union Européenne et de l'OCDE entre 1973 et 2010.  L'étude se concentre uniquement sur les postes politiques dont le domaine est directement lié à la gestion de la politique économique d'un pays, et pas aux fonctions périphériques. L'étude se concentre uniquement sur les périodes démocratiques des pays étudiés. Typiquement, l'analyse du Chili ne porte pas sur les années antérieures à 1990 pendant lesquelles le Général Pinochet était à la tête du pays.

Les trois figures en anglais ci-dessus sont directement tirées de l'étude en question. Chaque figure représente une catégorie de décideur politique : Premiers Ministres, Ministres des Finances, gouverneurs des banques centrales. L'axe vertical représente les pays étudiés. L'axe horizontal représente la part de décideurs qui se sont succédé au poste étudié en fonction de leur niveau de diplôme en économie depuis 1973. Le rond rouge correspond à un Doctorat en économie, le triangle bleu correspond à un Master en économie, et enfin le carré gris correspond à une Licence en économie.

Afin de donner un exemple de lecture, prenons le cas des Ministres français des Finances qui se sont succédé depuis 1973. L'analyse des résultats indique que seulement 10% d'entre eux détenaient un Doctorat, 15% une Licence et 20% un Master. Il est probable que les Ministres ayant ces titres universitaires soient en réalité les mêmes, autrement dit que ceux avec un Doctorat détiennent probablement aussi une Licence et un Master.

L'observation rapide des trois figures indique que la grande majorité des premiers ministres qui se sont succédé depuis 1973 dans les pays étudiés ne détenaient pas de diplômes universitaires en économie. Le constat est le même pour les Ministres des Finances, même si la proportion est néanmoins un peu plus élevée. En revanche, la grande majorité des banquiers centraux détenaient un diplôme universitaire en Economie.

Sept conclusions majeures de l'étude

Dans les conclusions qui suivent, le sens de "compétent" doit être entendu comme "diplômé en économie".

1) Les décideurs politiques ont tendance à devenir plus compétent lorsque le pays est touché par une crise financière.

2) Les pays de la zone euro sont les pays avec le moins de premiers ministres compétents.

3) Plus les pays sont une démocratie récente, plus les décideurs politiques sont compétents.

4) Les gouvernements de gauche sont moins compétents hors période de crise mais plus compétents en période de crise.

5) Les systèmes présidentiels ont des Ministres des Finances plus compétents.

6) Plus le gouvernement est en poste depuis longtemps, moins les Ministres des Finances sont compétents, mais plus les banquiers centraux le sont.

7) Plus le niveau général moyen des diplômes tous domaines confondus est élevé parmi les décideurs politiques, plus le niveau de compétence technique en économie est faible.

L'étude soulève un certain nombre de réflexions

Il est généralement reconnu deux qualités à un décideur politique: sa probité et sa compétence. Autant le critère de la probité est difficile à évaluer et revêt un caractère subjectif, autant celui de la compétence peut être évalué au regard de critères objectifs : les diplômes dans une spécialité donnée. Dès lors, même si le critère du diplôme n'est pas forcément pertinent pour évaluer la compétence d'un homme, il permet néanmoins d'appliquer une grille de lecture objective permettant de réaliser des comparaisons.

Le critère de compétence ne garantit pas l'efficacité des politiques. En effet, au-delà du caractère pertinent ou non des mesures prises, l'efficacité d'une politique tient au moins autant à la capacité de s'entourer qu'à la compétence intrinsèque du décideur politique. Ainsi, le fait de maîtriser un domaine donné (ici l'économie) n'implique pas nécessairement la capacité à comprendre et à utiliser à bon escient les rouages  de l'administration pour rendre efficaces les politiques menées. Enfin, un bon technicien peut également être un piètre politicien, qui ne réussit pas à faire accepter les réformes et les changements dans la société, autrement dit la forme est souvent aussi importante que le fond dans les sociétés démocratiques.

La compétence des décideurs politiques correspond aussi à une logique d'offre et de demande.

  • En effet, du côté de la demande, il ne faut pas oublier que dans les sociétés démocratiques, c'est le choix du peuple qui détermine les dirigeants politiques d'un pays. Autrement dit, même si les postes en question ne sont pas forcément issus du suffrage universel direct, il n'en demeure pas moins que les décideurs politiques en poste sont généralement le reflet du souhait né d'un vote démocratique. Si ce dernier n'est pas en faveur de personnalités compétentes, il n'y a pas de raison pour que les décideurs politiques reflètent un choix différent de celui du peuple.
  • Enfin, du côté de l'offre, il faut d'une part que les pays en question aient suffisamment de personnes compétentes, et d'autre part, il faut que les partis politiques traditionnels proposent aux électeurs ces personnels compétents.

Citation

Sylvain Fontan, “Etude sur les compétences techniques des décideurs politiques ”, décryptage publié sur «www.leconomiste.eu» le 07/05/2013.