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Retour critique sur l'étude d'OXFAM portant sur les inégalités mondiales

27 février 2015

Le texte qui suit est de l'économiste Alexandre Delaigue qui revient sur l'étude publiée en Janvier 2015 par l'ONG Oxfam et dont le thème était les inégalités mondiales. Dans le texte original, A. Delaigue qualifie « d'absurdes » les statistiques utilisées dans cette étude, allant ainsi à contre-courant du sensationnalisme malsain et démagogique suscité à l'époque par cette dernière.Oxfam logo

 

"Les 1% les plus riches vont bientôt détenir 50% de la richesse mondiale, soit plus que les 99% restant", "85 personnes détiennent autant que 3.5 milliards d'autres" voilà quelques-uns des titres que vous avez pu lire hier suite à la publication d'un nouveau rapport de l'ONG Oxfam sur les inégalités mondiales. Le tout illustré d'infographies, ou de photos de bon goût mettant en abîme des Africains aux yeux couverts de mouches et des ploutocrates allumant leur gros cigare avec des billets de 100 dollars dans une Lamborghini plaquée or.

Les inégalités sont un sujet important, ce qui est une raison de les traiter sur la base de faits. Or les données d'Oxfam, fondées sur un rapport de la banque Credit Suisse dont ils ont prolongé les courbes, sont trompeuses. Pour afficher des chiffres choc, qui seront aisément repris sans regard critique dans toute la presse, l'ONG donne une image totalement trompeuse des inégalités. Le journaliste Félix Salmon dénonce régulièrement ces données et leur utilisation.

 

Qui sont les pauvres?

Pour comprendre le problème, on peut regarder ce graphique issu de l'étude de départ, qui montre où se trouvent les patrimoines élevés et bas dans le monde :

Oxfam 1

Vous voyez tout de suite quelque chose de bizarre : il n'y a aucun Chinois parmi les 10% les plus pauvres du monde. Par contre (triangle en haut à gauche) environ 7.5% des 10% les plus pauvres sont... américains. Comment est-ce possible?

C'est simple : la mesure utilisée est le patrimoine net, c'est-à-dire les actifs des personnes moins leurs dettes. Et de nombreux Américains sont endettés, ont donc un patrimoine net négatif, ce qui les rend plus pauvres que des gens qui n'ont rien du tout.

Précisons : selon ce mode de calcul, un étudiant américain à Harvard, qui a pris un crédit pour faire ses études, est plus pauvre qu'un réfugié syrien qui cherche à survivre dans les montagnes libanaises. La personne la plus pauvre du monde n'est pas un Africain affamé : c'est Jérôme Kerviel, qui depuis sa condamnation doit environ 5 milliards d'euros à la Société Générale, ce qui lui vaut le patrimoine net le plus bas du monde, à moins 5 milliards.

Les Américains qui ont pris un crédit auto sont plus pauvres que des Chinois qui n'ont rien du tout. Selon ce calcul, deux milliards de personnes ont un actif net négatif, ce qui veut dire que même si vous n'avez rien, vous appartenez déjà aux 70% les plus riches; mon neveu, qui joue avec une pièce de 50 centimes d'euros, se retrouve d'un coup plus riche que 2.5 milliards de personnes.

 

Qui sont les riches?

A l'absurdité de prendre en compte l'actif net s'ajoute celle de faire un calcul au niveau mondial, agrégeant des situations nationales extrêmement différentes. Se poser la question des 1% les plus riches en France, ou aux USA, peut être pertinent; mais les "riches" au niveau mondial correspondent à des situations tellement différentes que ce groupe ne représente rien de précis. Pour entrer dans les 50% les plus riches au niveau mondial, il suffit d'un patrimoine net d'environ 3000 euros. Cette somme se trouve sur le livret A de nombreux Français qui n'ont probablement pas l'impression d'être parmi les plus riches.

De la même façon, appartenir aux 1% les plus riches mondialement dans ce rapport nécessite un patrimoine net de 650 000 euros. Ce n'est pas rien, bien évidemment. Mais cela signifie que la personne typique appartenant à cette catégorie n'est pas un jet-setter qui prend des bains de champagne en buvant des pina-colada avec des jeunes filles nommées Amber et Tiffany : c'est un retraité récent qui a acheté un appartement dans une grande ville française il y a une vingtaine d'années; ou le propriétaire d'un petit deux-pièces à Londres, et l'essentiel des propriétaires de résidences secondaires.

Il y a de bonnes chances, si vous êtes en train de lire cet article, que les 1%, ce soient vos papy et mamie. Si vous avez l'accès internet qui vous permet de vous indigner devant le rapport d'Oxfam, vous avez d'assez bonnes chances d'appartenir à ces mêmes riches que le rapport dénonce.

 

Projections hasardeuses

Pour prévoir l'évolution des inégalités de fortune au cours des prochaines années, le rapport s'appuie sur ce graphique qui prolonge les tendances depuis 2010 :

Oxfam 2

Sauf que, lorsqu'on prend le graphique sur plus longue période, on obtient ceci :

Oxfam 3

Ce qui pose deux problèmes. Premièrement, une illusion de précision : les données sur la richesse mondiale sont imprécises, et les fluctuations qu'on observe sont plus le résultat de cette imprécision que de réels changements. Deuxièmement, pourquoi choisir spécialement l'année 2010 comme déterminant des tendances? Les mêmes données pourraient justifier le titre "les inégalités de fortunes mondiales sont revenues au niveau de l'an 2000" ce qui, vous en conviendrez, est un titre nettement moins porteur que "les 1% les plus riches vont devenir plus riche que tout le monde en 2016", mais plus exact.

 

Sensationnalisme nuisible

Soyons clairs : les inégalités sont un sujet important, et leur augmentation dans les pays développés justifie que l'on s'en préoccupe. Mais se fonder sur des statistiques dépourvues de sens, présentées uniquement pour produire un effet de choc médiatique, est contre-productif. Parce que cela encourage les stéréotypes. On entretient les clichés sur l'Afrique misérable et en guerre permanente, oubliant que la réalité de ce continent au cours des dernières années, c'est une croissance économique forte. Lorsque les pays émergents s'enrichissent, les inégalités de fortune y augmentent, parce que tout le monde ne s'y enrichit pas en même temps ; mais cela signifie que le nombre de pauvres diminue, ce qui est plutôt une bonne nouvelle.

Lorsque vos statistiques conduisent à considérer que Jérôme Kerviel est plus pauvre qu'un réfugié africain se noyant dans la Méditerranée; que pour réduire les inégalités de fortune mondiales, il faudrait supprimer l'aide au développement et la remplacer par une subvention aux étudiants de Harvard. Avez-vous vraiment éclairé le débat sur les inégalités? Les images-choc sont peut-être nécessaires aux prises de conscience, mais lorsqu'elles sont tellement faussées, elles risquent surtout de conduire à l'indifférence et l'ignorance.

Citation

Alexandre Delaigue, « Retour critique sur l'étude d'Oxfam portant sur les inégalités mondiales », analyse publiée sur «www.leconomiste.eu» le 27/02/2015.

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