"Les urgences ont toujours été le prétexte sur lequel les protections des libertés individuelles ont été érodé" - Friedrich HAYEK
"Un peu d’internationalisation éloigne de la patrie, beaucoup y ramène" - Jean JAURÈS
"On n’est jamais mieux gouverné que lorsqu’il n’y a pas de gouvernement" - Jean-Baptiste SAY
"Les hommes ne voient la nécessité que dans la crise " - Jean MONNET
"Le changement du monde n’est pas seulement création, progrès, il est d’abord et toujours décomposition, crise " - Alain TOURAINE
"Moins le risque est grand, plus les spéculateurs fuient" - Maurice ALLAIS
"Le budget est le squelette de l'État débarrassé de toute idéologie trompeuse" - Joseph SCHUMPETER
"Gold is money. Everything else is credit " - J.P. MORGAN
"Chaque génération se doit de payer ses propres dettes. Respecter ce principe éviterait bien des guerres à l'humanité" - Thomas JEFFERSON
"Le problème avec la réduction des impôts sur le revenu c’est que ça stimule suffisamment l’économie pour que tout le monde rentre dans la tranche supérieure" - Harold COFFIN
12 février 2021
Le Royaume d’Arabie saoudite a été fondé en 1932 par Ibn Séoud. Il est le fruit de l’alliance d’une famille, les Séoud, et d’un courant de l’islam, le wahhabisme, courant issu du penseur Mohammed Ben Abdelwahhab qui vécut au XVIIIe siècle. Depuis 1943 et le traité d’alliance signé sur le pavillon militaire le Quincy, l’Arabie Saoudite est alliée des États-Unis ; ce qui marque fortement sa politique intérieure et extérieure. Troisième ingrédient du particularisme saoudien : le pétrole. Non seulement il est abondant, mais il est facilement accessible et de bonne qualité. L’argent issu du pétrole fait la richesse du pays et lui permet de soutenir le wahhabisme à travers le monde. Pays de la rente pétrolière, l’Arabie en tire sa force et y entrevoit sa faiblesse. Avec la baisse des cours initiée depuis 2009 les rentrées financières se tarissent et le modèle social d’État providence commence à connaître quelques ratés. D’où le plan « Vision 2030 » lancé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, ensemble de mesures cherchant à diversifier les ressources économiques d’Arabie.
Par Jean-Baptiste Noé, IdL
Un pays rentier qui s’essouffle
L’argent facile a permis d’édifier un État providence qui assiste et encadre la population. Santé et éducation y sont gratuites, c’est-à-dire payées par l’État. L’impôt y est très faible et une très grande majorité des Saoudiens travaille dans le secteur public. En 1970, le royaume a débuté son premier plan quinquennal visant à assurer la modernisation du pays. Depuis lors, les plans quinquennaux ne cessent de se succéder. Le plan « Vision 2030 » présenté en avril 2016 s’inscrit dans cette démarche. Les précédents cherchaient à accroître l’emprise des infrastructures, à moderniser les villes, à créer des écoles et des hôpitaux. Tous s’inscrivent dans une logique d’État providence qui semble toucher à sa fin, faute d’argent.
L’équilibre budgétaire du pays est fondé sur un prix du baril à 105 dollars. Or il est descendu à 96 dollars en 2014 et à 49 dollars en 2015. Cette baisse a provoqué un accroissement de la dette publique, passant de 1,6% du PIB en 2014 à 12,3% en 2016. L’inflation, quant à elle, est passée de 2,2% en 2015 à 3,5% en 2016. Le gouvernement a gelé les investissements, les salaires et les embauches. Cela commence à provoquer quelques mécontentements, d’autant qu’il est aussi prévu d’introduire une TVA en 2018 et de poursuivre la hausse des prix. Les indicateurs virent au rouge et le pays craint que ceux-ci ne reviennent jamais dans le vert, le mal étant structurel.
Initiatives multiples
Pour y pallier, le plan « Vision 2030 » prévoit plusieurs mesures. D’abord, le recrutement privilégié de Saoudiens dans le secteur privé, le chômage étant de plus en plus important dans la population, notamment chez les jeunes. Mais avec un tiers de la population qui n’est pas saoudienne, la chose n’est pas aisée. Les expulsions de travailleurs étrangers sont en augmentation. Salmane prévoit également une amende pouvant atteindre 50% du salaire des travailleurs étrangers pour contraindre les entreprises à embaucher des Saoudiens. Ces mesures volontaristes sont vouées à l’échec. La main-d’œuvre étrangère travaille essentiellement dans le bâtiment et la construction ainsi que dans des emplois difficiles et peu qualifiés. On voit mal les Saoudiens se précipiter pour occuper les places rendues vacantes. L’économie tire parti de cette main-d’œuvre peu onéreuse et traitée souvent dans des conditions très dures. Embaucher des Saoudiens obligerait les entreprises à accroître leurs coûts et à revoir leurs modes de production, ce qui est un grand défi pour l’économie du pays.
Deuxième initiative : le tourisme. L’Arabie possède sur son territoire les villes saintes de La Mecque et de Médine. Le plan veut multiplier par cinq le nombre de visiteurs et atteindre 30 millions de touristes en 2030. Le pays y met les moyens. La Mecque est rasée et transformée. La forteresse Ajyad, construite au XVIIIe siècle à l’époque des Ottomans, a été rasée en 2002 pour y bâtir à la place une série de gratte-ciel contenant des hôtels. Cette forteresse dominait le cœur religieux de La Mecque (la mosquée sacrée qui contient la Kaaba). Les immeubles construits à sa place sont d’un goût douteux et défigurent complètement le paysage. Riad espère que les touristes visiteront d’autres régions du pays, mais hormis le désert il n’y a rien de bien attrayant et la chaleur extrême rend peu probable la bronzette à la plage.
Troisième initiative : créer un grand fonds souverain d’investissement pour pallier la réduction de la rente pétrolière. Pour cela, le gouvernement a vendu 5% des parts d’Aramco. Le fonds souverain créé dispose d’une somme de 2 000 milliards de dollars, ce qui lui octroie une grande force de frappe. Encore faut-il le gérer correctement.
Une politique étrangère hégémonique
La guerre menée au Yémen se révèle extrêmement cruelle pour les populations yéménites. L’antagonisme entre l’Arabie et le Yémen est très ancien. Déjà, le pays y avait affronté l’Égypte à l’époque de Nasser pour tenir l’hégémonie dans le monde arabe. Compte tenu de l’importance de l’Arabie, les puissances occidentales ne réagissent pas. Saddam Hussein avait été attaqué pour moins que cela à la suite de son invasion du Koweït.
Le jeu trouble mené au Liban a quelque peu terni l’image de Riad. Le quasi-enlèvement de Saad Hariri et sa démission forcée ont montré que l’Arabie continue à vouloir intervenir dans le jeu politique du Liban. C’est une façon de contrecarrer la Syrie et l’Iran, ses deux ennemis héréditaires. Désormais que l’Irak est à terre, il reste à Riad deux adversaires : la Syrie baasiste et alaouite et l’Iran chiite. Mais le clan Hariri est discrédité, Saad ayant mal géré les affaires de sa famille et étant perclus de dettes et d’actifs toxiques. Le financement de l’islamisme international par Riad jette l’opprobre sur le pays et le clan des Saoud.
Peut-on reformer un pays ?
La vraie question posée au prince Salmane est de savoir s’il peut recréer une nouvelle Arabie Saoudite. Il a fait arrêter un certain nombre de dignitaires corrompus. C’était une façon de témoigner de sa probité, mais aussi de prendre la main en évinçant des opposants. En donnant plus de droits aux femmes, en desserrant l’étau de l’État sur le secteur économique, il joue avec la structure même du pays. 70% de la population du royaume a moins de trente ans. Une révolte de la jeunesse n’est pas à exclure si celle-ci se rend compte qu’elle n’a pas d’avenir possible. Réformer est donc d’une nécessité urgente. Mohammed ben Salmane, 32 ans, appartient lui aussi à cette génération consciente qu’il faut rénover le pays. Son père, le roi actuel, a 81 ans. Derrière les réformes économiques et politiques il y a donc aussi la question du choc des générations. L’histoire le montre, on n’introduit pas sans dommage de la liberté dans un système autoritaire. L’Arabie appartient aux Saoud. Le clan est suffisamment nombreux pour se partager les pouvoirs et les contrôles du pays. En donnant de la liberté aux Saoudiens, Salmane prend le risque de diluer le pouvoir de son clan et de fragiliser l’équilibre du pays. Que vont en penser les chefs bédouins et les chefs des tribus ? Comment vont réagir les religieux dont l’action est si importante ? L’Arabie Saoudite s’est construite sur le wahhabisme. Elle ne peut ni l’édulcorer ni y renoncer, au risque de s’effondrer elle-même. Il est très délicat pour un pays construit sur une idéologie de renoncer à cette celle-ci, et même d’édulcorer celle-ci.
Abandonner l’État providence pour enjoindre les Saoudiens à travailler est un autre défi quand des générations entières ont vécu sans rien faire et en touchant les subsides du pétrole. Les remous populaires sont à craindre. L’armée est-elle apte à intervenir pour mater si besoin des émeutes ? Salmane lui-même peut-il continuer à gouverner sans craindre une révolte ou un renversement conduit par ses cousins ?
Si les problèmes et les défis du pays sont bien posés, les solutions pour y remédier sont délicates. « Vision 2030 » c’est une façon de préparer le pays à célébrer son centenaire. Pour cette dynastie issue de la dislocation de l’Empire ottoman, l’enjeu est de taille. Toutes les autres dynasties ont échoué : Farouk en Égypte, les Hachémites en Irak et en Syrie. Les Saoud ne veulent pas connaître ce sort et ils ont compris l’importance de préparer le futur. D’autres pays se sont essayés à la perestroïka ; ils n’ont pas fait long feu.